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Vendredi 11 octobre 2019, la plupart des médias ont véhiculé deux fausses informations.
La plus retentissante par son ampleur et son évidence concerne un fait divers : la prétendue arrestation à Glasgow de Xavier Dupont de Ligonnès, mis en cause pour avoir assassiné sa famille en 2011.
L'autre fausse information est moins facile à identifier ; elle porte sur des éléments de nature juridique.
En effet, à suivre les commentaires instantanés publiés sur les réseaux sociaux et dans les médias, il faudrait tenir pour acquis que, par sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres, le Conseil constitutionnel aurait « consacré » le principe de gratuité de l’enseignement supérieur public. C’est en tout cas ce que l’on pouvait lire des premiers comptes rendus de cette décision (v. par ex. : Marie-Estelle Pech, « Etudiants étrangers : le Conseil constitutionnel consacre la gratuité », lefigaro.fr, 11 octobre 2019 ; Camille Stromboni, « Gratuité de l’enseignement supérieur : cinq questions sur la décision du Conseil constitutionnel », Le Monde, 13-14 octobre 2019, p. 9 : « vendredi 11 octobre, le Conseil constitutionnel a consacré le principe de ‘gratuité’ de l’enseignement supérieur »), sous la plume d’auteurs et d’autrices qui n’avaient peut-être pas à l’esprit le texte même de la Constitution française.
Celui-ci est pourtant ancien et d’une rare limpidité.
Gratuité de l’enseignement public à tous les degrés
Le 13ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie de la Constitution de la Vème République, comporte une seconde phrase ainsi rédigée : « L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ».
Il n’est pas inutile de rappeler, ainsi qu’il ressort du préambule de ce Préambule, que les droits et libertés qu’il véhicule (la dignité de la personne humaine, la Déclaration des droits de 1789, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et une liste de 16 « principes (...) particulièrement nécessaires à notre temps », parmi lesquels figure la gratuité de l'enseignement public) sont des « droits inaliénables et sacrés ».
C’est donc la Constitution elle-même, et en aucun cas le Conseil constitutionnel appelé à se prononcer sur la règle de droit invoquée par les demandeurs au soutien de leurs prétentions, qui « consacre » la gratuité de l’accès à l’enseignement public.
A cet égard, chacun sait que les enseignements publics dans le primaire et dans le secondaire sont effectivement gratuits pour les élèves et leurs parents – c’est-à-dire financièrement pris en charge par les contribuables nationaux – quel que soit le revenu des familles des élèves, ainsi que le rappellent les articles L. 132-1 (« L'enseignement public dispensé dans les écoles maternelles et les classes enfantines et pendant la période d'obligation scolaire définie à l’article L. 131-1 est gratuit ») et L. 132-2 du Code de l’éducation, lequel vise au surplus certains enseignements dispensés à des néo-bacheliers (« L'enseignement est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent l'enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et à l'enseignement supérieur des établissements d'enseignement public du second degré »).
Il aurait été indispensable, pour la parfaite application de la Constitution par les pouvoirs publics, que le Code de l’éducation comporte une disposition comparable pour tous les établissements de l’enseignement supérieur public (et donc pas seulement pour les classes préparatoires aux grandes écoles), ainsi que le prévoyait l’article 3 de la belle et courte loi du 18 mars 1880 relative à la liberté de l’enseignement supérieur (abrogé le 26 février 1887) qui disposait que « les inscriptions prises dans les facultés de l’État sont gratuites ».
Les établissements de l'enseignement supérieur public entrent évidemment dans le champ de l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946, puisque le supérieur est à la fois un « degré » de l’enseignement public au sens de la seconde phrase de cet alinéa – c’est le plus élevé des degrés, celui qui est « supérieur » aux autres, autrement s'il était autonome il aurait fallu trouver un autre adjectif pour l'identifier, le troisième degré donc –, et que la première phrase de cet alinéa se réfère indifféremment « à l’enfant et l’adulte ». Aussi, c’est avec stupeur que l’on peut lire, dans les écritures produites le 19 août 2019 par le Premier ministre devant le Conseil constitutionnel, au nom de la République française, sous le visa de la devise de la République et à la signature d’un membre du Conseil d’Etat (la directrice des affaires juridiques du ministère de l’Enseignement supérieur est elle aussi membre du Conseil d’Etat, tout comme le président et le secrétaire général du Conseil constitutionnel ; dans le contentieux de la légalité des frais d’inscription des étrangers extracommunautaires, il n’y a donc guère que les requérants qui n’ont aucun lien avec le Conseil d’Etat), que la règle constitutionnelle de gratuité « renvoie nécessairement au seul enseignement scolaire, qui ne se compose que d’un premier et d’un second degrés ». Fort logiquement, le Conseil constitutionnel a rejeté cet argument fallacieux dans sa décision du 11 octobre 2019, considérant que « l'exigence constitutionnelle de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur public » (pt 6).
Cette gratuité à tous les degrés de l’enseignement public prévue à la seconde phrase du 13ème alinéa, qui est bien davantage qu'une simple « exigence » en dépit de la manière dont le Conseil constitutionnel en a rétréci la portée (le Préambule qualifie ce droit de « principe particulièrement nécessaire à notre temps »), a pour finalité de permettre à la Nation d’atteindre les trois objectifs puissamment émancipateurs et modernes énoncés dans la première phrase : garantir « l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». Les établissements de l'enseignement supérieur public prennent gratuitement, à l'égard des adultes qui le souhaitent, le relais de ceux du primaire et du secondaire. Quel privilège formidable de vivre dans une Nation qui élève l'enseignement public au rang de bien commun universel !
Législation prévoyant des frais d’inscription dans le supérieur
Toutefois, cette règle constitutionnelle intangible de la gratuité de l’enseignement supérieur public ne trouve pas de translation législative, tout au contraire.
En effet, pour l’enseignement supérieur, l’article 48 de la loi de finances n° 51-598 du 24 mai 1951 prévoit que « seront fixés par arrêtés du ministre intéressé́ et du ministre du Budget (...) Les taux et modalités de perception des droits d’inscription, de scolarité́, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État ». Cet article est toujours en vigueur aujourd’hui et c’est sur son fondement par exemple qu’a été pris l’arrêté interministériel du 19 avril 2019 relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur, lequel a prévu une hausse des droits d’inscription pour certains étudiants extracommunautaires (comme traduction juridique du programme dit « Bienvenue en France » : v. « Augmenter les frais d’inscription des étudiants étrangers ? Pas en mon nom », 22 novembre 2018), dont la contestation est à l’origine de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2019. Au surplus, l’article 719-4 du Code de l’éducation, issu d’une loi du 26 janvier 1984, prévoit que les établissements publics d’enseignement supérieur « reçoivent des droits d'inscription versés par les étudiants et les auditeurs ».
Codicille constitutionnel
Il n’est guère besoin d’être juriste pour déduire de la lecture du texte limpide du 13ème alinéa du Préambule de 1946 que le troisième et dernier degré de l’enseignement public doit être tout aussi gratuit que les deux autres. Chacun est évidemment libre de s’en réjouir ou de le déplorer, peu importe : qu’on le veuille ou non, ainsi est rédigée la Constitution de la Vème République française, laquelle doit être scrupuleusement appliquée ou, le cas échéant, modifiée – avec tous les risques symboliques que de telles modifications impliquent s’agissant de droits énoncés comme « sacrés ». Seule cette application notariale de la Constitution aurait été susceptible d’ébranler l’ensemble du système de l’enseignement supérieur public français, en plaçant enfin les établissements du supérieur sur le pied d’égalité financière qui aurait dû être le leur depuis 1946.
En revanche, il est nécessaire d’être juriste pour parvenir à tordre – violer, insistons-y – la Constitution tout en feignant de la respecter, ainsi que l’a fait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 octobre 2019. Ce dernier a en effet ajouté au Préambule de 1946 la prescription permissive suivante : la gratuité seule prévue par la Constitution « ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ».
Ainsi, non seulement le Conseil constitutionnel n’a pas lui-même « consacré » une disposition constitutionnelle qui lui préexistait, mais il a dévoyé la Constitution dont il est pourtant l’un des gardiens, en faisant de la règle générale et absolue de gratuité un droit aliénable et relatif dans le champ de l'enseignement supérieur : il a diminué, rétréci, scarifié, une liberté fondamentale constitutionnelle qui ne souffre pourtant aucune exception ni atténuation.
Cet ajout – une verrue constitutionnelle – est scandaleux et inadmissible, à trois égards.
Crayon constitutionnel
En premier lieu, parce que le Conseil constitutionnel ne s’est pas borné à interpréter la Constitution, laquelle en l’occurrence ne nécessitait précisément aucune interprétation mais une application notariale à tous les degrés de l’enseignement public ; il a déformé le Préambule de la Constitution de 1946, qui doit désormais se lire ainsi : « L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat », sauf pour l’enseignement supérieur public ou des droits d’inscription modiques peuvent être exigés. Le Conseil constitutionnel a commis un excès de pouvoir en manipulant la Constitution. Il a transformé la règle d’airain « sacrée » de gratuité en simple « exigence », un principe relatif et contingent. Jusqu’au 11 octobre 2019, les observateurs de la jurisprudence du Conseil constitutionnel considéraient unanimement, à la suite du professeur de droit Georges Vedel, que cette institution, dans l’exercice de son contrôle, « dispose de la gomme et pas du crayon » ; cette auto-limitation est désormais dépassée, puisque le Conseil constitutionnel s’est hélas substitué au constituant.
Dans les six derniers mois, c'est donc la troisième fois au moins que le Conseil constitutionnel adopte un raisonnement téléologique, c'est-à-dire qu'il parvient à sauvegarder l'action des pouvoirs publics – le but final recherché coûte que coûte – tout en paraissant suivre un raisonnement objectif (v. Qui devrait publier le nombre de soutiens au référendum ADP ?, 16 septembre 2019, à propos d'une décision rendue le 10 septembre 2019 par le Conseil constitutionnel ; Privatisation d'ADP : l'Etat indemnisera les acheteurs potentiels !, 2 octobre 2019, à propos d'une décision rendue le 16 mai 2019 par le Conseil constitutionnel).
Différences de situations entre les trois degrés de l’enseignement public

En deuxième lieu, parce qu’avec cet ajout contraire au texte de la Constitution, le Conseil constitutionnel a instauré une discrimination injustifiable entre les trois degrés de l’enseignement public : pourquoi des droits d’inscription « modiques » ne seraient-ils pas (aussi) exigibles dans le primaire et le secondaire ? Qu’est-ce qui légitime une distinction tarifaire entre les élèves des établissements du primaire et secondaire bénéficiant d’une gratuité et les étudiants du supérieur soumis à une quasi, une fausse ou une pseudo gratuité ?
Insécurités juridiques
Enfin, en troisième lieu, parce que le Conseil constitutionnel a créé une désastreuse insécurité juridique, à deux titres.
D’une part, il a considéré que seules pouvaient être prises en compte, pour déroger à l’exigence de gratuité, les « capacités financières des étudiants ». Prise à la lettre et de manière restrictive, ainsi qu’il faut entendre les exceptions à un principe, cette formulation interdit que les capacités financières des familles des étudiants entrent en considération pour imposer ou non des droits d’inscription dans le supérieur. Or, il est rarissime que des étudiants disposent, personnellement, d’un patrimoine ou de revenus ; dans la plupart des cas donc, les « capacités financières des étudiants » devraient conduire à l’exonération des frais d’inscription. Au demeurant, on ne comprend pas bien l’incise « le cas échéant » figurant dans la décision du Conseil constitutionnel : pourquoi ne faudrait-il pas tenir compte de manière systématique des capacités financières des étudiants avant qu’un établissement du supérieur exige ou non des frais d’inscription ?
Frais d’inscription « modiques » ?
D’autre part, et surtout, le Conseil constitutionnel a admis que les ministres compétents puissent, par voie réglementaire, établir des droits d’inscription « modiques ». Modiques ! Modiques ? Certes, rapporté aux droits d’inscription dans le supérieur, le terme n’est pas inédit puisqu’on le trouve employé il y a moins d’un an sous la plume de la Cour des comptes, laquelle a visiblement inspiré le Conseil constitutionnel : « En application du principe constitutionnel de gratuité, les droits d’inscription pour la préparation d’un diplôme national ont longtemps été fixés à un niveau si modique que le service public de l’enseignement supérieur pouvait être considéré comme quasiment gratuit » (Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public, nov. 2018, p. 55).
Que ce terme figure dans un rapport de type administratif est une chose ; qu’il prenne place dans le champ de la normativité en est une autre, tant il est flou et insaisissable. Pour cette raison, il aurait de tout évidence été nécessaire d’en proscrire l’emploi à la fois au cas d’espèce et plus largement dans une décision de justice ayant pour effet de modifier la Constitution.
Au cas d’espèce : la règle constitutionnelle de gratuité de tous les degrés de l’enseignement public est évidemment incompatible avec l’existence même de frais d’inscription, quel que soit leur montant, pour la raison simple que la notion de gratuité telle qu'universellement définie (v. par exemple celle du Littré : « qui donne pour rien. Enseignement primaire gratuit », ou celle du Larousse : « qui est fait ou donné sans qu’il coûte rien ; dont on jouit sans payer : l’enseignement gratuit ») implique l’absence de la moindre contrepartie financière. Payer ne serait-ce qu’un euro symbolique de frais d’inscription interdit, en soi, de parler de gratuité ; mais c’est pourtant ce qu’a fait le Conseil constitutionnel, inventant par là-même un nouveau concept en forme d’oxymore : la gratuité payante ! Une prestation est pourtant gratuite ou elle ne l’est pas.
De manière plus globale, la limite tenant à la « modicité » des frais d’inscription est totalement inintelligible – elle est d’une « obscure clarté », si l’on veut continuer dans le registre des oxymores. La gratuité peut donc être coûteuse, à condition qu’elle ne soit pas trop chère…
Il est ici nécessaire de rappeler que l’enseignement supérieur public relève du statut des services publics à caractère administratif, où par essence même et à la différence des services publics à caractère industriel et commercial, le montant acquitté par l’usager doit être inférieur au coût réel de la prestation qui lui est fournie.
Très concrètement, en analysant l’éventuelle modicité au regard du coût d’une formation et non au regard du seul principe de gratuité, il serait tout à fait possible de considérer que si un étudiant coûte en moyenne 10 000 euros à un établissement, des frais d’inscription à 9 500 euros demeurent « modiques ». La Cour des comptes a laissé entendre que seuls quelques établissements du supérieur – Science po Paris, Dauphine, filières paramédicales, écoles publiques d’ingénieurs notamment – ou certaines formations – les diplômes d’université facultativement mis en place par chaque université – pouvaient être considérés comme ne pratiquant pas une « modicité » dans leurs frais d’inscription (p. 31 : « si la règle de la quasi-gratuité s’applique à plus de 82 % des étudiants de l’enseignement supérieur public, elle ne vaut pas pour ceux inscrits dans les établissements publics ayant entrepris, à des degrés divers et depuis plusieurs années, d’utiliser les droits comme des instruments financiers à part entière dans une stratégie d’accroissement de leurs ressources propres »). En tout cas, s’agissant des formations universitaires conduisant aux diplômes nationaux de licence, master et doctorat ouvertes aux étudiants français et européens, la Cour des comptes a d’ores et déjà considéré que les frais d’inscription demandés étaient « modiques » (v. rapport précité, p. 56 : « la grande majorité́ des étudiants acquittent des droits modiques dès lors qu’ils visent l’obtention d’un diplôme national dans une université́ » ; p. 20 : « les droits d’inscription sont, le plus souvent, modiques et fixés de manière déconnectée du coût des formations » ; p. 31 : « Au total, pour la grande majorité́ des étudiants de l’enseignement supérieur public, le montant des droits d’inscription représente une part marginale des coûts moyens de formation. Les étudiants n’ayant à verser que des sommes modiques et dont ils ignorent, comme tous les observateurs, la rationalité́, la contribution exigée des usagers du service public de l’enseignement supérieur s’apparente à une quasi-gratuité »).
Adaptation du droit constitutionnel aux faits

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En dépit des premières présentations qui en ont été trop hâtivement faites, la décision Droits d’inscription pour l’accès aux établissements publics d’enseignement supérieur du Conseil constitutionnel n’est ni une « victoire » pour les étudiants requérants et la gratuité de l’enseignement supérieur public, ni une « seconde claque pour Macron » au lendemain de l’humiliation planétaire que lui a fait subir le rejet par le Parlement européen de la candidature de Sylvie Goulard à la Commission européenne, ni une reconnaissance de l’illégalité de la discrimination tarifaire visant les étudiants étrangers extracommunautaires que la décision du 11 octobre 2019 n’aborde pas.
Cette décision donne largement satisfaction à l’exécutif, le Premier ministre ayant été globalement suivi dans ses écritures du 19 août 2019 par lesquelles il soutenait que « le principe de gratuité ne saurait être interprété (…) comme absolu ».
Pour parvenir à un tel résultat, le Conseil constitutionnel a inversé l’ordre normal des valeurs : il a mis la Constitution en accord avec la loi et la pratique, en validant la loi du 24 mai 1951 qui, de toute évidence, était inconstitutionnelle en l’absence de la réécriture de la Constitution à laquelle procède la décision du 11 octobre 2019. Les faits ont commandé l’essence de la règle constitutionnelle. A travers ce brevet de constitutionnalité conféré par une hérésie juridique, sont probablement absous de toute illégalité les montants en effet « modiques » (une quasi-gratuité) demandés aux étudiants pour l’inscription dans les cycles universitaires de licence, master ou doctorat, voire pourquoi pas les frais d’inscription réclamés par les établissements de type Science po - quand aux diplômes d'universités dont les tarifs sont librement fixés par les universités, il devrait être facile de démontrer que leur caractère facultatif, hors diplômes nationaux, ne les fait pas entrer dans le champ du Préambule de la Constitution de 1946.
En somme, la décision du 11 octobre 2019 permet de ne quasiment rien changer aux conditions tarifaires actuelles d’accès à l’enseignement supérieur public, avec toutes ses nuances (toujours défavorables aux universités où les droits d’inscription n’ont – heureusement – jamais été considérés comme un levier de financement).
Le Conseil d’Etat, juge de la « modicité » des frais d’inscription
Cette décision du 11 octobre 2019 renvoie, par le déplorable système de passe-plat juridique habituel entre les deux institutions du Palais-Royal, au seul Conseil d’Etat (appelé à trancher le litige relatif à la légalité de l’arrêté ministériel précité du 19 avril 2019, au regard également du principe d’égalité de traitement : v. Frais différenciés d’inscription des étudiants étrangers et principe d’égalité, 3 juin 2019) le soin de décider de manière totalement subjective si sont ou non « modiques » les frais d’inscription de 2 770 euros en licence (170 euros pour les européens) et 3 770 euros en master (243 euros pour les européens) demandés aux étudiants extracommunautaires par l’effet de l’arrêté ministériel du 19 avril 2019.
A cet égard, rien n’exclut que le Conseil d’Etat soit sensible à l’argument développé par le ministère de l’Enseignement supérieur en réaction à la décision du 11 octobre 2019 pour qui « ces frais d’inscription différenciés prévoient que les étudiants étrangers dont les familles n’ont jamais participé à ces financements publics payent à la hauteur d’un tiers du coût réel, soit 2770 euros. Alors que le coût d’un étudiant en licence pour la France est de 11 000 euros annuels. Il s’agit bel et bien selon nous d’un coût modique » (cité par lefigaro.fr, 11 octobre 2019), alors même que ce chiffre moyen et global de 11 000 euros est totalement « bidon » comme il est désormais classique s’agissant des dires des pouvoirs publics nationaux (pour d'autres illustrations : « La com' toxique de l'Etat à Rouen », Le Canard Enchaîné, 9 octobre 2019, p. 3 ; « Immigration : le gouvernement a-t-il donné de faux chiffres aux députés ? », liberation.fr, 12 octobre 2019 : « Un document, rédigé par l'exécutif et adressé aux parlementaires pour préparer le débat sur l'immigration, comporte des erreurs factuelles » ; Référendum sur ADP : les premières infox du pouvoir, 7 juin 2019) car, ainsi que l’a relevé l’Assemblée nationale à la suite de la Cour des comptes, il y a de fortes disparités selon les disciplines : « le coût moyen annuel d’une licence s’élève à 5 121 euros en mathématiques, sciences et technologie de l’information et de la communication, ingénierie et systèmes, et à 2 736 euros en sciences humaines et sociales. En d’autres termes, un étudiant extra-européen s’inscrivant en licence en sciences humaines et sociales sera amené à s’acquitter de droits d’inscription supérieurs au coût moyen estimé de sa formation » (Assemblée nationale, rapport n° 1763, 13 mars 2019, p. 27).
Rien n’exclut non plus que le Conseil d’Etat développe une conception modulée de la « modicité » en fonction du pays d’origine de l’étudiant extracommunautaire (par exemple, un étudiant australien moyen n’est, structurellement, pas dans la même situation financière qu’un étudiant yéménite moyen).
Rien n'exclut enfin que le Conseil d'Etat fasse droit, au moins partiellement et en reportant à l'année universitaire 2020/2021 les effets de sa décision, à l'annulation de l'arrêté ministériel litigieux, en considérant qu'une tarification uniforme des frais d'inscription des étudiants étrangers ne permet pas, au regard de la diversité des formations et des variétés de leurs coûts, de satisfaire au critère de la « modicité » de ces frais.
A vrai dire, le Conseil d'Etat peut donner à la notion constitutionnelle inédite de « modicité » le sens qui lui plaira. A vot’ bon cœur, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’Etat, à vot’ générosité : considérez s’il vous plaît tel tarif comme « modique » (ou pas), pour tel étudiant inscrit dans tel établissement ou telle discipline et ayant telle nationalité…
La simplification à la française…
Résumons : à l’arbitraire du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des frais d’inscription est en passe de s’ajouter prochainement l’arbitraire du Conseil d’Etat sur leur modicité. Et tout cela sur la base d’une disposition constitutionnelle pourtant cristalline et intangible…