L’article 2 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, adopté le 9 mai 2018 par le Conseil des ministres et qui sera débattu en séance publique à l’Assemblée nationale du 10 au 19 juillet 2018, est relatif à l’environnement.
Il dispose qu’à l’article 34 de la Constitution déterminant le domaine de la loi, « après le mot : ‘environnement’ sont insérés les mots : ‘et de l’action contre les changements climatiques’ ». En clair, cet article prévoit que le Parlement via les lois (et non le gouvernement par des décrets) peut déterminer les principes fondamentaux qu’il estime utiles relativement au changement climatique.
L’exposé des motifs de ce projet de loi constitutionnelle nous apprend que, à en croire le Conseil des ministres, son article 2 « répond à l’un des enjeux les plus importants de notre temps ». Loin de cet enthousiasme bien excessif au regard de la portée effective de cet article, le Conseil d’Etat a pour sa part considéré, dans son avis n° 394548 du 3 mai 2018, « que cette disposition aura sans doute peu d’incidence sur les compétences respectives du législateur et du pouvoir réglementaire » (para 12 ; ce paragraphe de l’avis comporte par ailleurs une coquille matérielle).
C’est qu’en effet, en l’absence même d’une telle habilitation constitutionnelle explicite, le Parlement agit aujourd’hui déjà (ou du moins peut agir) en ce sens, puisque, ainsi que le rappelle le texte même de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle, le législateur est depuis une loi constitutionnelle du 1er mars 2005 compétent pour déterminer les principes fondamentaux de « la préservation de l’environnement », qui comprend la « lutte » contre le réchauffement climatique. En ce sens, le 8 juin 2018, le rapporteur du projet de loi constitutionnelle pour la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a reconnu, dans l’exposé des motifs de son amendement n° CD46 en date du 8 juin 2018, que « la notion d’environnement englobe plus largement celle des changements climatiques ; le Parlement est donc déjà compétent, depuis 2005, pour légiférer afin de mettre en œuvre des actions permettant de lutter contre les changements climatiques ».
Le 20 juin 2018, le ministre de la Transition écologique et solidaire a implicitement convenu que l’article 2 du projet de loi constitutionnelle était d’effet platonique en tant qu’il modifie l’article 34 de la Constitution. En déplacement en Bretagne aux côtés du président de la République, il a bafouillé, annonçant une modification formelle par rapport au projet de loi constitutionnelle initial consistant à faire « remonter » l’ajout envisagé de l’article 34 à l’article 1er de la Constitution : « C’était à l’article 34. Là ce sera à l’article 1. Ca c’est pas fait par un pincement de doigts (sic), ça veut dire que dans l’ombre on travaille, non non mais c’est important. Ce sera dans l’article 1. Maintenant la formulation il faut regarder parce qu’il y a des appréciations juridiques différentes, notamment la portée juridique, personnellement je souhaite qu’environnement, climat et biodiversité y figurent, je voulais que la finitude des ressources également y figure, mais ça pose un problème juridique donc ce n’est pas aussi simple que ça, mais nous aurons dans l’article 1 de la Constitution, alors après attendez c’est le vœu gouvernemental, et puis laissez au Sénat et puis après à l’Assemblée (sic, l’Assemblée nationale étant saisie en premier lieu) s’exprimer leurs prérogatives. Mais déjà ce qui est important c’est qu’on est passé de l’article 34 à l’article 1. Donc vous voyez qu’il y a des choses qui avancent et essayez de regarder ailleurs dans d’autres pays il y a pas d’équivalent ».
Ces phrases gonflées d'autosuffisance (« des choses qui avancent » ; « pas d'équivalent ») sont d’une insignifiance juridique et politique tellement manifeste qu’on a du mal à croire qu’elles ont été prononcées par un ministre d’Etat, qui se présente comme attaché à la cause de l’environnement depuis des décennies maintenant.
En creux, elles signifient ceci : le Conseil des ministres a visé trop bas en proposant, le 9 mai 2018, une modification de l’article 34 de la Constitution. Il est évident en effet que la modification initialement projetée ne permettait en rien de faire avancer la cause environnementale en général et la lutte contre le réchauffement climatique en particulier. C’était de l’esbroufe, de la pure communication avec la Constitution pour support publicitaire de luxe.
Le problème est qu’il en va probablement de même avec la modification désormais envisagée de l’article 1er de la Constitution, que la presse a présentée comme un succès politique pour le ministre de la Transition écologique et solidaire (« Nicolas Hulot veut inscrire le climat et la défense de l’environnement dans la Constitution », Le Monde, 22 juin 2018, p. 8 : « Cette victoire arrive à point nommé (sic) pour Nicolas Hulot, après plusieurs arbitrages perdus ») mais qui, au-delà de cet aspect purement personnel sans valeur ajoutée aucune pour l’intérêt général, ne change rien à l’absence de substance de l'insertion programmée (v. également en ce sens : Didier Maus, « La proposition de Hulot est un aimable baratin », Marianne.fr, 21 juin 2018), étant entendu que toutes les dispositions de la Constitution - de son Préambule à l'article 89 - ont exactement la même valeur normative.
Le 21 juin 2018, sur France Info, le ministre de la Transition écologique et solidaire a semblé avoir réussi à résoudre le « problème juridique » qu’il évoquait la veille, et qui ne devait donc pas être si compliqué que cela.
D'une part, il a ressorti la même rengaine creuse et purement verbeuse de la « nécessité-de-tout-faire-pour-préserver-l’environnement », à tel point qu’on pourrait croire à l’entendre sans connaître sa fonction que ce n’est pas lui qui était en charge de cette exigence : « si on ne règle pas l'enjeu climatique, tous les acquis démocratiques, tous les acquis civilisationnels peuvent être mis à néant dans le siècle. Donc il faut faire de ce combat notre priorité et une constance ». On voudrait bien savoir ce que M. le ministre d’Etat a fait, concrètement, depuis plus d’un an qu'il est au gouvernement avec un rang protocolaire particulier, pour « régler l’enjeu climatique » ; à l’expérience, il paraît plus spectateur consentant voire victime qu’acteur du « combat » qu’il évoque.
D'autre part, il a proposé que l’article 1er de la Constitution comporte l’alinéa suivant, à insérer par la révision constitutionnelle en cours d’examen au Parlement : « La République assure un niveau de protection de l'environnement élevé et en constante progression, notamment pour la protection de la biodiversité et l'action contre le changement climatique ».
Pour parvenir à cette insertion, il est probable que le gouvernement soutiendra en séance publique à l’Assemblée nationale, le cas échéant dans une version remaniée, les amendements n° CD46 (suppression de l’article 2 du projet de loi dans sa rédaction initiale), n° CD47, CD38 (inscription à l’article 1er d’un alinéa selon lequel la République « assure la préservation de l’environnement ») et CD26 (constitutionnalisation dans l’article 5 de la Charte de l’environnement du principe législatif de non-régression définit au 9° du II de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement depuis août 2016 en ce sens que « la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante ») au projet de loi constitutionnelle tels qu’ils ont été adoptés le 12 juin 2018 par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.
Toutefois, pour quatre raisons, à supposer même que la révision constitutionnelle en cours aille jusqu’à son terme ce qui paraît hautement (et heureusement) improbable, l’article 1er de la Constitution tel que complété par la déclaration ministérielle du 21 juin 2018 n’aurait pas une valeur ajoutée supérieure au projet initial de modifier l’article 34 de la Constitution.
D’une part, la modification désormais soutenue par le ministre est mal rédigée. L’adverbe « notamment » ne figure actuellement que dans trois dispositions de la Constitution de 1958, et il serait malvenu de l’insérer à l’article 1er, symbolique, car cet adverbe a pour seule fonction de donner des déclinaisons d’un concept juridique global. Autrement dit, cet adverbe est superfétatoire : ainsi qu’il a été dit par les parlementaires eux-mêmes, le terme générique « environnement » se suffit à lui-même en ce qu’il inclut l’action contre le changement climatique et la protection de la biodiversité.
D’autre part, le principe de non-régression figure d’ores et déjà dans un texte que n’évoque jamais le ministre de la Transition écologique et solidaire : la Charte de l’environnement, qui a pleine valeur constitutionnelle depuis le 1er mars 2005, dont l’article 2 dispose que toute personne, y compris donc les personnes publiques telle que l'Etat, doit « prendre part à l’amélioration de l’environnement ». Dans le même sens, l’article 34 de la Constitution prévoit depuis la même date que la loi doit déterminer les principes fondamentaux de la « préservation de l’environnement », ce qui fait écho aux termes moins juridiques de « constante progression » employés par le ministre d’Etat.
En troisième lieu, ce principe de non-régression, que le rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire envisageait avec beaucoup de circonspection (v. avis n° 1053 du 13 juin 2018 de la commission, p. 49 : « Des lois fixant des dispositifs trop ambitieux, inatteignables, pourraient difficilement évoluer, avec l’inscription d’un tel principe. Il en est de même des dispositions de fiscalité environnementale, pour lesquelles la question de l’évolution du taux ou de l’assiette à la baisse se pose. Cette constitutionnalisation semble prématurée, au regard de la jurisprudence dont nous disposons actuellement concernant ce principe tel qu’inscrit dans le code de l’environnement »), ne fait pas obstacle de manière inconditionnelle à ce que le législateur prenne une nouvelle mesure en matière environnementale moins favorable à l’environnement que la mesure ancienne qu’elle remplace. Ainsi qu’il est clairement expliqué dans l’exposé des motifs de l’amendement CD26, « le principe de non régression n’interdit nullement au législateur de modifier l’état du droit. Il lui impose surtout de mieux évaluer et de mieux justifier ses choix par rapport, notamment, aux objectifs qu’il s’est fixé ou qui s’imposent à lui ». C’est que, comme quasiment tout principe y compris de valeur constitutionnelle (à l'exception de l'interdiction de la torture, de la peine de mort et de la préservation de la dignité de la personne humaine), celui de non-régression n’a pas et n’aura jamais de valeur absolue, en ce sens qu’il doit être combiné et mis en balance avec les autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel à propos de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement (CC 4 août 2016, déc. n° 2016-737 DC, Loi pour la reconquête de la biodiversité, para. 11 : le principe de non-régression « ne saurait priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel »). Son « effet cliquet » est donc relatif et contingent, de même que le droit de propriété peut être limité par la nécessité publique, le principe de légalité par celui de sécurité juridique, la liberté d'aller et de venir par l'ordre public, l'égalité par des considérations d'intérêt général...
Enfin, la protection constitutionnelle de l’environnement est dès à présent inscrite à un niveau plus symbolique encore que celui de l’article 1er : la première phrase du Préambule de la Constitution dispose, depuis le 1er mars 2005, que « le peuple français proclame solennellement son attachement (…) aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ». Impossible de faire plus fort en termes de « priorisation », contrairement à ce qu'a indiqué le ministre d'Etat le 20 juin au cap Fréhel. Malgré cela, ni cette inscription dans le Préambule, ni l’existence d’une Charte de l’environnement de valeur constitutionnelle depuis plus de treize années désormais n’ont empêché la dégradation de notre environnement à laquelle nous assistons et participons quotidiennement comme l’adoption, parfois avec la signature du ministre d’Etat Nicolas Hulot, de textes législatifs ou réglementaires ayant des conséquences désastreuses pour l’environnement.
En espérant qu’il ne soit pas pas déjà trop tard pour préserver ce qu’il en reste, l’environnement a besoin d’actes, pas de gesticulations internationales (telle que l’improductif et polluant « One Planet Summit » du 12 décembre 2017) ou constitutionnelles purement communicationnelles.