En Sarthe, entre Le Mans et La Flèche, dans les hameaux de Fouletourte, Le Réveille-Matin, Créant, La Motte, et d’autres encore, les maisons sont infestées de mouches, été comme hiver. On en impute souvent la responsabilité aux élevages de poulets alentours, mais les mieux informés savent que l’excès d’insectes naît d’un lieu peu connu et peu fréquenté : le cimetière des éditorialistes.
C’est là que sont enterrés les donneurs d’opinion de tous calibres, des gazettes régionales aux chaînes d’informations. Tous y ont leur tombe, mais aucun n’y a sa stèle. C’est qu’ils y sont jetés dans un charnier commun. On les y transporte à peine morts, souvent encore dans l’habit de leur profession, et de la terre et la chaux dont on les recouvre rapidement ressortent parfois une manche de costume ou la pointe encore brillante d’un soulier en cuir vernis.
Pour leurs adeptes, le charnier est un lieu de recueillement. Beaucoup d’ailleurs qui s’y sont retrouvés morts y étaient venus vivants, dans leur jeunesse, quand ils rêvaient aux miracles de leur plume, ravivant l’atlantisme ou stigmatisant les débordements sociaux, voire conseillant un président. Les lecteurs les plus hargneux viennent honorer la mémoire de leurs défunts champions comme on fleurit la tombe de ses parents à la Toussaint.
Les mouches aussi s’y épanouissent. La putréfaction des éditorialistes produit des dégagements gazeux nouveaux et des écoulements bilieux incomparables. Gavées de la substance sublimée des corps déconstitués, les mouches se répandent en ronronnant lourdement dans la campagne alentours, et leurs chiures sur les vitres, noires contre le blanc des nuages, tracent des discours que les habitants, occupés à les nettoyer, préféreraient ne pas comprendre.