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Billet de blog 22 juin 2024

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2Ø27 (extrait des Mémoires de monsieur O)

Malgré leur maladresse et leur inactualité, on a cru bon de donner au public les écrits d'un homme politique d'une certaine importance, et dont la trajectoire a croisé celles de nombreuses personnes illustres.

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Depuis sa réélection, le président Macron n’avait eu garde de laisser croire à ses ennemis, depuis les socialistes les plus rebelles en apparence, quoique soumis en réalité, jusqu’aux partis gauchistes les plus factieux, que l’heureux succès dont il se voyait à nouveau couronné adoucirait ses manières à leur égard. Tout au contraire, il avait invité madame Le Pen, alors en faveur par les démarches qu’elle avait entreprises peu avant une défaite accordée le plus honnêtement du monde, à commander la police. Elle ne tarda pas à faire valoir tout le zèle dont elle s’était vantée, et monsieur Darmanin, dont la disgrâce récente entachait encore l’honneur du gouvernement, fut bientôt oublié.

Madame Le Pen n’était pas femme à se contenter de la louange universelle, et son caractère la déterminait au coup d’éclat. Elle en eut l’occasion quand son maître voulut attirer l’attention de la nation sur la question islamique. Monsieur Le Franc tenait alors la préfecture du Pas de Calais, malheureusement fameuse pour la quantité d’étrangers indésirables qui s’y accumulaient dans les plus horribles conditions. On y voyait errer tout le jour des hommes au teint sombre, bizarrement vêtus et d’allure menaçante, retournant la terre à la recherche de leur nourriture ; la nuit, on racontait qu’ils déshonoraient toutes celles qu’ils rencontraient, et ceux qui volaient au secours de la pudeur ne s’en trouvaient guère mieux. Monsieur Le Franc n’avait su mettre ordre à cette situation, qui durait depuis l’excessive négligence des prédécesseurs du président Macron. Il n’attendait que son prochain emploi, et n’avait garde de risquer son nom et son honneur, par crainte de commettre un geste qui déplût au président. Mais son inaction était commentée dans l’entourage du maître. Monsieur Lallement, qui connut les plus grands honneurs depuis, raillait son manque de panache. Monsieur Valls, qu’une intrigue heureusement tournée avait rapproché, contre toute attente, du président, fit remarquer qu’il n’y avait guère de gloire à ne rien dire ou ne rien faire devant une cible aussi débile, sans soutien dans la population. Monsieur Le Franc prit à mal ces propos. Il décida, contre son caractère, de montrer son zèle et sa loyauté ; mais la fortune lui fut contraire, et alla favoriser madame Le Pen.

Le président avait exigé que le pays fût nettoyé de la peste de Calais, et madame Le Pen entendait lui obéir le plus loyalement qu’on eût jamais vu ; mais, ayant crainte que ses ennemis et ceux de son maître en profiteraient pour contester son autorité, elle eut soin de faire venir de nombreux régiments de police qui, outre les indésirables, eurent l’occasion d’exercer leurs talents sur les factieux venus leur porter secours. Ce déploiement de force était déjà considérable, mais monsieur Le Franc, croyant sentir l’occasion, renchérit sur sur sa maîtresse et envoya de nombreux officiers municipaux surnuméraires, commandant des hommes peu habitués aux combats. Cette inexpérience donna du cœur aux ennemis. Oubliant le visage farouche de madame Le Pen, leurs traits se concentrèrent sur la maigre figure de Le Franc. Les factieux se mirent à harceler ses hommes, qui pensèrent être submergés, et réagirent hors de propos. Les combats s’intensifièrent ; on déplora bientôt plusieurs morts chez les étrangers, et peut-être même chez les factieux. Ceux-ci appelèrent à la rébellion, et l’opinion pensa faire scandale. Elle en fut quitte néanmoins pour la disgrâce de monsieur Le Franc et quelques discours prononcés par messieurs Barbier et Giesbert. En Pas de Calais, cependant, les combats ne discontinuaient pas. Madame Le Pen, trop fine pour n’avoir pas senti le vent de la disgrâce qu’elle venait d’esquiver, en profita pour s’accorder toute la gloire de rétablir la situation. Il fallait pour cela intervenir plus énergiquement que ne l’avaient fait les troupes de Le Franc, alors en déroute. Monsieur Blanquer lui en offrit bientôt le moyen.

Il avait reçu la charge des armées après avoir fidèlement servi son maître depuis son premier gouvernement. À cause des changements qu’il avait introduits dans l’école quelques années auparavant, lorsqu’il en avait la charge, on voyait arriver de plus en plus souvent, aux portes des casernes, des jeunes gens sans fortune ni talent, qu’il fit en sorte qu’on recrutât au plus vite. Son action était encore modeste, comme il n’en était qu’au premier mois de sa charge, mais déjà le mot se répandait, dans l’opinion et parmi la population générale, que l’on pouvait faire carrière sous les armes. Parmi les plus basses classes, nombreux furent les jeunes hommes qu’attirèrent ses promesses. Il s’engagea à les tenir. Madame Le Pen lui fut en cela d’un précieux secours.

Cette dame était adorée de ses troupes. Elle avait la faveur des plus obscurs comme des plus illustres, et pouvait compter sur une police loyale. Monsieur Blanquer n’avait pas cette grâce auprès des armées : c’était un homme gris, de peu d’air, ayant plus l’allure d’un censeur que d’un soldat, sans aucun esprit ni aucune flamme propre à gagner le courage de ses combattants. Mais il sut s’allier à madame Le Pen par un lien public, et dont l’opinion tira parfois des conclusions trop peu fondées pour les prendre en crédit. Cette amitié lui donna de l’esprit, et il persuada madame Le Pen d’unir ses forces aux siennes dans l’affaire de Calais. Elle n’eut garde de refuser, calculant qu’elle saurait se prévaloir d’un heureux succès, tandis qu’une défaite retomberait sur lui. Monsieur Le Franc était perdu, il n’appartenait pas à madame Le Pen de le relever, mais elle pouvait tirer profit d’une occasion qui se présentait à un moment si crucial de son ascension. L’état d’urgence fut donc déclaré et l’armée intervint. La disproportion des armes coûta cher aux factieux, qui perdirent de nombreux combattants et quelques chefs. La rébellion fut enfin soumise et le président fut content.

Cet événement eut une conséquence inattendue mais excessivement importante pour les années qui suivirent. Dans le Pas de Calais, comme partout ailleurs par la suite, on ne fit bientôt plus la distinction entre la police de madame Le Pen et l’armée de monsieur Blanquer. Monsieur Fillon, alors premier ministre, n’eut garde d’intervenir. C’était un homme terne qui ne voulait rien moins que s’introduire dans les affaires de ses subordonnés, et le président, qui l’avait choisi pour cela en le relevant, à la surprise de tous, d’une disgrâce déjà ancienne, voulant être la seule autorité qui comptât dans le pays, l’en récompensa par la suite avec magnanimité. Mais le mois de juin finissait à peine, Calais lavée de sa flétrissure, la Le Pen en grande faveur, et monsieur Blanquer en passe de l’être, qu’on vit revenir l’homme le plus bizarre que l’esprit français eût jamais la fantaisie d’enfanter.

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