Cette primaire populaire ne me laissait pas totalement indifférent, mais je ne peux désormais souscrire à une opération qui met mal à l’aise.
Je ne suis pas certain, en effet, que ceux qui ont soutenu cette opération, tel Jean Baubérot dans un récent billet, auraient forcément abouti à la même conclusion en faveur de la primaire populaire s’ils avaient eu connaissance de l’intervention vidéo, révélée par Le canard enchainé, où l’on entend le concepteur et organisateur de cette opération, M. Grzybowski, fixer à ses partenaires des objectifs bien éloignés d’un comportement démocratique exemplaire.
Selon les propos qu’il a tenus, l’idée de cette primaire est en effet d’organiser un scrutin qui, dans un premier temps, trie en quelque sorte les candidats en suggérant de bloquer les candidatures de « Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Roussel, Montebourg », les seuls candidats qu’il cite nommément, invitant ainsi implicitement à faire en sorte que les participants à la primaire évitent de leur accorder leurs suffrages, le rôle de l’association étant alors, une fois la primaire passée, d’exercer auprès des maires les pressions qui conviennent pour les priver, eux et pas d’autres, d’un maximum de parrainages, ceci en application du « serment de Romainville » ?
Mais ce n’est pas tout. Un autre objectif fixé par M. Grzybowski invite les membres de son association à tout faire, par des moyens "numériques" appropriés, pour que baisse ou s’effondre dans l’opinion publique la cote de popularité de ces candidats bannis. Enfin, comment ne pas être indigné que ces individus sans légitimité politique particulière évoquent également l’idée d’empêcher ces mêmes candidats d’obtenir des prêts bancaires pour financer leurs campagnes !
Et puis, dans sa propagande, l’association qui porte ce projet insiste bien sur le fait que le choix doit se faire sur les personnes, et non sur des projets portés par les candidats, ce qui n'a aucun sens démocratique sauf à demander de choisir un candidat "à la tête du client" et non sur ce qu'il "a en tête" pour gouverner le pays. Voilà qui favorise bien entendu Christiane Taubira, certes une femme de qualité, mais qui présente sa candidature sans projet, sans rien à proposer, sauf deux ou trois slogans récités devant des caméras de télévision. C’est évidemment très insuffisant. Un projet pour gouverner la France dans un monde incertain, ça ne s’improvise pas quelques petites semaines avant l’élection. LFI et EELV, par exemple, y travaillent depuis des années, et l’on sait au moins, quand ils s’expriment, de quoi ils parlent et où ils comptent aller.
En réalité, il me semble que l'objectif principal n'est pas d'unir la gauche, mais d'imposer sournoisement un choix orienté.
Alors, supposons que ce soit Christiane Taubira qui sorte vainqueur de cette primaire.
Certes, il s'agit, encore une fois, d'une femme de qualité, mais comment pourrait-elle alors parvenir à unir la gauche autour d'un projet fédérateur après être restée si silencieuse ces cinq dernières années et, comme tous ceux à gauche qui se sont tus, avoir ainsi apporté la preuve de son indifférence à combattre publiquement les méfaits du néo-libéralisme mis en œuvre par la politique menée par le pouvoir en place, mais aussi de son désintérêt à s’engager pour proposer une vision politique de gauche, ou encore pour contribuer à construire un socle commun permettant de faciliter l’union des forces de gauche, au moins sur l’essentiel.
Et puis, que compte-t-elle proposer pour réunir les forces de gauche, par son propre pouvoir de conviction, en s’engageant à désapprouver et à ne pas soutenir les actions scandaleuses préconisées par les organisateurs de la primaire populaire à l’encontre des autres candidats ? Mais est-elle vraiment une femme de gauche, elle dont la candidature est soutenue par le Parti radical de gauche, un parti qui se positionne au centre gauche de l’échiquier politique et non pleinement à gauche ? Fera-t-elle clairement le choix de s’écarter radicalement du néo-libéralisme qui domine la vie de notre société depuis près de 30 ans ? C’est là un choix fondamental, celui qui distingue la gauche sincère de la gauche de circonstances.
Christiane Taubira aurait dû au moins répondre à ces questions préalables, à défaut de présenter un projet : n’y répondre qu’après le résultat du scrutin, ce sera piéger les électeurs.
Cette primaire populaire est bien, selon moi, un piège politique troublant qui n'aura d'autre effet que de désorienter les électeurs de gauche en les privant d'un véritable débat et en favorisant ainsi l'abstention : Christiane Taubira ne devrait pas cautionner cette opération en trompe-l'oeil et devrait s'en retirer au plus vite !