Faire la course en tête dans une épreuve sportive, ne préjuge pas toujours loin de là, du résultat final, même constat en politique ou dans l'économie marchande, savoir partir au bon moment, au risque de s'épuiser ou d'épuiser ceux que l'on veut séduire. Ce raisonnement prévaut dans ce qui est infiniment petit, à l'échelle de l'individu ou d'une entreprise mais dés lors que votre projet met en musique un groupe d'individus clefs sur un sujet porteur, un territoire ou un réseau alors, faire la course en tête est une stratégie gagnante et innovante.
Savoir se différencier et savoir innover sont pour les territoires, les conditions nouvelles et pérennes de leur attractivité. L’attractivité territoriale repose sur deux piliers: le développement endogène (structuration de l'offre) et la prospection (nationale et internationale de la demande). Entre les récepteurs d'offres (les collectivités, les métropoles etc..) et les émetteurs de demandes (les entreprises, les entrepreneurs, les repreneurs..), est né progressivement un métier qui est resté au fil du temps très singulier: le Marketing territorial. A l'âge d'or de la Silicon Valley dans les années 60-70, il fallait bien structurer, organiser et accompagner les nombreuses demandes d'implantations, si captives d'ailleurs que prospecter n'était pas nécessaire. La priorité était plutôt de permettre aux PME américaines de pénétrer les marchés européens, sud américains et asiatiques et la boîte à outils se trouvait au sein des Trade & Commerce Agencies, pilotées directement par les gouverneurs des Etats. La Californie fût à ce titre un Etat précurseur en créant le Foreign Office Department, en clair, l'Agence de Promotion Californienne des investissements internationaux. Composés de fidèles lieutenants du gouverneur, ces agences élaboraient principalement des outils de communication et d'information et n’effectuaient tout au plus qu’une mission officielle par an à l'étranger. A partir des années 90, ces agences renforcèrent leurs contenus et intervinrent sur des thèmes porteurs comme la reconversion de sites industriels ou militaires, la recherche de partenaires, la structuration de clusters. En France, de 1970 à 1990, l'innovation fût du côté de la french Riviera avec le porte drapeau Sophia Antipolis à Nice, un site exceptionnel qui attira les meilleures entreprises technologiques du monde pendant une bonne vingtaine d'années. Aujourd'hui, la Silicon Valley est restée de loin le terrain de chasse le plus courtisé du monde pour les prospecteurs du monde entier, tandis que Sophia peine à rester dans le grupetto *. Les efforts publics pour promouvoir Sophia sont pourtant conséquents en comparaison des moyens consentis par l'Etat Californien pour promouvoir sa "Silicon Valley". En réalité, celle-ci s'auto promeut par les success stories qui la composent. Le rapport des effectifs dans les agences en France et aux Etats-Unis est d'environ 5 contre 1. Pourquoi un tel déséquilibre ? La mondialisation des marchés a exacerbé en Europe une concurrence farouche des territoires, animant la volonté publique d'intervenir à tout prix, aux conséquences de créer notamment en France, un mille feuille institutionnel unique justifiant la mainmise de la promotion économique a chacun des niveaux. Les offres territoriales "packagées" généralement autour de lieux emblématiques (Orsay/ Paris, Rennes Atalantes, Grenoble Minatec...se multiplièrent et se firent concurrences à l'intérieur d'une même aire régionale, les fonctions de développeurs/ prospecteurs en France, historiquement pourvues par des agents territoriaux en mobilités, muèrent en des postes de Foreign Office Specialists, les réseaux s'organisèrent à l'échelle des pays, des régions, des départements, demain sans doute des métropoles. La professionnalisation des acteurs fut une bonne chose, face à la demande mondiale qui s'élargissait. Les agences de développement en France poussèrent comme des champignons, chaque département ou presque disposa alors de son outil de promotion, incarnant parfois à l'excès, le zèle de son leader. De 2000 a 2005, les places de marchés se figèrent peu à peu, et les hiérarchies compétitives s'inscrivirent dans le marbre, il devint alors difficile de faire bouger les lignes. Les têtes de séries restent têtes de séries c'est bien connu en sport de compétition, se maintenir dans l'élite est plus aisé que d’y accéder. En Silicon Valley on l'a souligné, c'est la force de ses composantes intrinsèques qui maintinrent le modèle hors d'atteinte de la compétition, c'est pourquoi quinze personnes suffirent à assurer la promotion de 6ème puissance mondiale. La recette ? Le Story telling et l'imagination de quelques leaders d'opinion that's it ! Le branding territorial est bien né en Silicon Valley il y a 50 ans, et son efficacité fût redoutable. Pendant ce temps en France, on continua de se quereller sur les questions de couts de production, le poids des charges patronales, les non coûts, le niveau des aides publiques etc... Trop forts ces américains ! Non seulement ils scénarisent, emballent et signent leurs territoires et leurs modèles, mais ils contre signent le notre avec force et jalousie, et nous dessinent un costume pour le restant de nos jours. Le Story telling Blockbuster d'un côté, la série dramatique avec sous titrage en français de l'autre.
Avec des contraintes macro économiques plus ou moins égales en Europe, nous perdons notre temps à arbitrer des positions après la virgule alors que le jeu se joue désormais sur le terrain de l'image et de la perception or l’image d'un territoire est lente a construire, à contrario d'un individu. Prenons Marseille et le bashing dont elle est la cible depuis un demi siècle, quid de la stratégie marketing des acteurs clefs de cette ville à répondre sur la durée aux nombreux détracteurs, tous d'accords dés lors qu'il s'agit de noircir de tableau. Le Story telling ne serait il pas le chaînon marketing manquant pour Marseille et sa future métropole ? Les investisseurs adorent qu'on leur racontent des histoires, des success stories dans lesquelles ils peuvent s'identifier et ainsi confier les clefs du coffres au territoire qui l'accueille. C'est pourquoi encore cataloguées comme des puits sans fonds et sans réelle légitimité d'intervention, les agences de Promotion pour "survivre", doivent innover et passer à l'offensive: changer de modèle et progresser vers un partenariat Public/ Privé, s'adapter aux nouvelles réalités de marché, cibler davantage de nouveaux prospects, inventer de nouveaux marchés, se mobiliser pour une signature marketing unique: un enjeu de taille pour nos institutions qui ne savent plus trop comment se "reingénierer" autrement qu'en diminuant les budgets de promotion/ prospection.
La décision de Marseille de candidater au concours de la Capitale européenne du sport en 2017, illustre ce changement de paradigme que l'agence Provence Promotion, la (future) probable Agence de Développement économique métropolitaine tente de pousser, au risque de heurter les esprits conservateurs. Pourquoi le tourisme, la culture, le sport ne deviendraient ils pas un fil rouge thématique naturellement enrôlé dans les stratégies des agences ? On se meurt de compartimenter les champs les uns vis à vis des autres. L'image d'une métropole qui place la valeur Sport au cœur des enjeux d'attractivités économiques, sociaux, technologiques, et qui communique dans ce sens sur le long terme n'est elle pas une assurance vie, un actif intangible comme on dit comptablement, dont l'affichage et l'appropriation publique sera le meilleur des pare feux, a même de soulager la souffrance de la cité phocéenne et modifier l'image de la ville durablement. Marseille à la chance avec le Sport et la compétition 2017 de faire la course en tête, ne nous privons pas de cet immense plaisir et profitons en pour élaborer collectivement notre Story telling.
* Grupetto: terme utilisé en cyclisme désignant le petit groupe qui s'est fait distancé par le peloton