« Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre. Vous avez choisi le déshonneur mais aurez aussi la guerre » tonne Winston Churchill au lendemain de la signature des accords de Munich le 30 septembre 1938 par lequel la France, la Grande Bretagne et l’Italie acceptaient le démantèlement de la Tchécoslovaquie et permettaient à Hitler de mettre la main sur les Sudètes en échange de l’engagement de celui-ci de mettre un terme à ses volontés de conquête.
On sait ce qu’il en est advenu. Pour le Führer, ces accords sont un chiffon de papier. Le 1er septembre 1939, il envahit la Pologne, et la France en vertu de son traité d’alliance avec Varsovie, déclare la guerre à l’Allemagne. Comme elle est mal, voire pas préparée à un conflit faute d’avoir écouté le Général de Gaulle qui a vainement plaidé pendant les années précédentes pour la création d’une armée de blindés, renforcée par une aviation moderne, elle s’effondre rapidement.
Si le contexte n’est pas le même avec la guerre en Ukraine, il y a néanmoins certaines analogies.
Les puissances occidentales sont confrontées à un autocrate dont le ressort est un nationalisme exacerbé qui l’amène à vouloir reconstituer la puissance de la Russie tsariste. Il a lancé « l’opération spéciale » contre l’Ukraine parce qu’il considère que ce pays est une province russe. Mais ses ambitions sont plus larges.
Comme Hitler, Poutine ne connait que le rapport de force. Il ne s’arrêtera que s’il est vaincu.
Les réactions – tant nationales qu’internationales - aux déclarations d’Emmanuel Macron indiquant qu’il ne fallait pas s’interdire pour l’avenir d’envisager d’envoyer des troupes en Ukraine relèvent du déni et de l’aveuglement de l’ambition de l’autocrate du Kremlin.
En récusant cette perspective d’engagement direct, les dirigeants politiques et les chefs de gouvernement ont fait preuve d’un esprit munichois parce que cela revient à dire à Poutine qu’on ne le combattra pas, qu’il a la voie libre.
En déclarant – manière d’enfoncer le clou -, le 5 mars à Prague qu’il était "nécessaire" de bousculer les alliés de l'Ukraine, qu'il a exhortés à "ne pas être lâches" face à une Russie "inarrêtable", Emmanuel Macron a, de manière à peine allusive, évoquer un esprit munichois.
S’il y avait un César du dirigeant le plus affligeant, il serait attribué à Olaf Scholz. Le chancelier allemand a contré le Président français en déclarant de manière abrupte que « ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l'avenir. Il n'y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les États européens, ni par les États de l'Otan sur le sol ukrainien ».
Les différends entre les deux pays majeurs en Europe sont fréquents depuis quelques années autour de l’évolution de l’Union européenne mais ils sont en général enrobés dans un langage diplomatique feutré. Là, c’est du « brutal » comme dirait Audiard et ce clivage entre les deux plus importantes puissances de l’Europe est un cadeau pour Poutine. L’ennui pour le dirigeant berlinois est que cela tombe mal. Non seulement, il marque une limite à l’aide que les occidentaux doivent apporter à l’Ukraine mais en plus, alors que l’Allemagne avait tendance à critiquer la supposée faiblesse de l’aide française, le chancelier refuse de livrer à Kiev des missiles Taurus, considérés comme les plus performants dans leur catégorie. Un choix, contesté d’ailleurs par les très hauts responsables de la Bundeswehr – dont la conversation a été captée par les services d’écoute russes parce que ces militaires ont commis l’erreur d’échanger sur une messagerie non cryptée – qui considèrent que cela renvoie l’Allemagne à son passé pacifiste.
Cette position de l’Allemagne est d’autant plus confondante que les Allemands sont les mieux placés pour savoir qu’on n’arrête pas un dictateur en lui faisant savoir qu’on ne se défendra pas.
Avec ces prises de position, les masques tombent. Depuis des années, le thème dominant qui anime le débat des Européens est la création d’une défense européenne pour gagner en indépendance par rapport aux Etats-Unis dont la protection n’est plus garantie. Et, voilà qu’au moment où la question d’un engagement direct contre un ennemi qui est à leur porte se pose, ils font savoir qu’ils refuseraient, le cas échéant, de prendre les armes.
Il est confondant de constater que paradoxalement le seul à avoir compris la portée stratégique du message d’Emmanuel Macron est… Vladimir Poutine. Dès le lendemain de la sortie de son homologue de Paris, il a violemment attaqué la France et a « ressorti » la menace nucléaire comme il le fait à chaque fois qu’il est en difficulté.
Il a compris que ses déclarations n’ont pas été improvisées et qu’elles ne sont en rien une foucade comme certains l’ont suggéré.
Le sens comme le timing témoignent que le Président fait une nouvelle fois preuve d’une compréhension de la situation et d’un sens majeur de l’anticipation.
Elles interviennent à un moment essentiel où la guerre peut basculer dans un sens ou dans l’autre.
Si on regarde la situation sur le terrain, on constate que le front est gelé. La grande contre-offensive lancée par les Ukrainiens a été un échec, les troupes russes n’ont pas reculé. Mais, l’armée russe n’a pas non plus fait de percée.
Poutine – qui a le temps pour lui contrairement à Zelensky et aux dirigeants occidentaux – joue la montre avec deux dates en ligne de mire : 6-9 juin et 5 novembre.
La première correspond aux élections du parlement européen qui pourraient rebattre les cartes au sein de l’Assemblée de Strasbourg. Dans tous les pays de l’Union, les partis d’extrême droite et populistes comme le RN français, l’AFD allemande, le Parti Frère de l’Italienne Meloni ou le Fidez du Hongrois Orban ont le vent en poupe et pourraient bien, y être sinon majoritaire du moins en position de force, ce qui ne manquerait pas d’entamer la détermination des Européens à aider l’Ukraine.
La seconde correspond à l’élection présidentielle américaine qui pourrait se traduire par le retour de Trump à la Maison Blanche et là, cela en serait fini du soutien au pays agressé. Depuis des mois, Joe Biden n’arrive pas à faire voter une tranche d’aide à Kiev de 60 milliards de dollars en raison du blocage des Républicains qui sont majoritaires à la Chambre des Représentants. Avec Trump – qui par ailleurs menace de quitter l’OTAN - l’affaire serait réglée.
Entre l’affaiblissement de l’Europe, la mise en sommeil de l’Otan et le retrait des Etats-Unis, le paysage géopolitique s’annonçait radieux pour Poutine, s’il n’y avait pas cet empêcheur de faire la guerre d’Emmanuel Macron.
Le russe a toutes les raisons de prendre la mesure des propos du locataire de l’Elysée et de son appel à un « sursaut stratégique ». La France est le seul pays de l’Union à posséder l’arme nucléaire et la menace de son emploi à son encontre par Moscou n’est pas crédible en raison de la capacité de riposte de la France. Sur le plan institutionnel, le Président français n’est pas entravé par le fait qu’il n’a qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Le fameux domaine réservé lui permet d’annoncer que, cette année, l’aide à l’Ukraine sera augmentée de 3 milliards d’€ sans que personne ne puisse contester.
C’est là que le message de fermeté et d’engagement d’Emmanuel Macron prend tout son sens et devrait faire réfléchir les « Munichois ».
Le retrait des Américains, en cas d’élection de Trump, laisserait les Européens seuls, face à l’agressivité de Poutine. Et si, dans ce contexte, Poutine arrivait à ses fins et occupait toute l’Ukraine, qui peut croire qu’il s’arrêterait en si bon chemin ? Lui, qui n’a jamais accepté l’éclatement de l’Empire soviétique, n’aurait-t-il pas des visées sur la Pologne et/ou sur les pays baltes ?
Il faut savoir qu’à la télévision russe, les propagandistes du Kremlin répètent tous les jours que les frontières de la Russie sont sans limite…
Il sera trop tard pour réagir lorsque les chars russes seront à Varsovie et regretter de ne pas avoir suivi l’appel du Président de la République française à « un sursaut stratégique » et à un vrai engagement, un certain jour de février 2024.