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Billet de blog 11 janvier 2024

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Loi sur l’immigration : Anatomie d’un désastre politique

Avec ce texte explosif, le Rassemblement national a obtenu une victoire idéologique, Emmanuel Macron apparait comme un gagnant paradoxal tandis que la gauche a touché le fond de la décrédibilisation et que les Républicains ont été de parfaits dindons de la farce.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 « Une victoire idéologique du RN ». Marine Le Pen n’a pas le triomphe modeste, en ce 19 décembre 2023, quelques minutes après le vote « abracadabranqueste » du projet de loi immigration. Et que dire de la déclaration surréaliste de Gérald Darmanin se félicitant du vote de cette loi en espérant qu’elle soit retoquée par le Conseil Constitutionnel ?

Le recul de quelques semaines – et alors qu’une nouvelle phase politique s’amorce avec la nomination de Gabriel Attal à Matignon – permet de faire un décryptage à froid de cette séquence parlementaire qui restera sans doute dans les annales de la République.

Indépendamment du fond du texte – sur lequel je ne manquerai pas de revenir -, on peut déterminer les gagnants et les perdants politiques de cette mauvaise comédie.

Le premier vainqueur est sans conteste le Rassemblement national, moins en raison du contenu du texte que du sens de la stratégie dont il a fait preuve.

En effet, la victoire idéologique que revendique Marine Le Pen est bien réelle mais n’est pas exactement celle que l’on croit. Dans le domaine de l’immigration, la ligne historique du FN - devenu RN - est « la préférence nationale ». La loi votée prévoit que, pour bénéficier des prestations sociales, les étrangers en situation régulière devront avoir plusieurs années de présence sur le territoire et ce délai n’est pas le même selon qu’ils sont en emploi ou non. En moyenne, 2,5 ans pour les premiers et 5 ans pour les autres.

Cette différence avec les détenteurs de la nationalité française par naissance ou naturalisation est injuste, discriminatoire et une atteinte au principe d’égalité, ce qui est contraire aux valeurs républicaines ainsi que le Conseil constitutionnel devrait le juger. Mais, ce n’est pas pour autant de la préférence nationale. Celle-ci aurait consisté à exclure les étrangers de toute aide sociale. On notera par ailleurs qu’un tel délai de carence existe déjà. Les étrangers ne peuvent bénéficier du RSA qu’après 5 ans de présence sur le territoire en situation régulière et cette disposition avait été votée en 1988 par une majorité de gauche, sous l’impulsion de Michel Rocard lorsque le RSA s’appelait RMI.

De même, les opposants au texte dénoncent la remise en cause du droit du sol avec la disposition selon laquelle, les jeunes nés de parents étrangers ne deviendront pas automatiquement français à leur majorité mais devront en faire la demande. Est-ce vraiment une entorse au droit du sol ? Cette disposition existe dans de nombreux pays et a été en vigueur en France dans les années 80 sans que cela ait empêché les acquisitions de nationalité. Le droit du sol serait écorné si des critères nouveaux étaient exigés pour obtenir la nationalité ou si des quotas ou tout autre disposition plaçaient des obstacles sur le chemin de l’acquisition de la nationalité pour les jeunes étrangers. Là, il s’agira seulement de remplir un formulaire.

La victoire idéologique revendiquée par le RN ne se situe donc pas dans le texte de la loi mais dans son esprit et le contexte de son écriture. Avec ces dispositions sur les prestations sociales et l’acquisition de la nationalité, âprement négociées en commission mixte paritaire, la loi fait éclater une frontière et lève un tabou. Il est ainsi démontré – et peu importe si le Conseil constitutionnel retoque ces règles – qu’il est possible d’obtenir une différenciation entre nationaux et étrangers. Le ver est dans le fruit parce que le message politique est clair : une majorité différente pourra aller vers la préférence nationale, y compris avec un référendum réformant la Constitution. C’est là que se trouve le caractère nocif de cette loi, dans la « lepénisation » de son esprit. 

L’autre vainqueur de cette tragi-comédie est…Emmanuel Macron. Oui, c’est contre-intuitif, contre toute apparence et va à l’encontre des torrents de commentaires et de réactions – y compris de plusieurs ministres – entendus depuis. Mais, cela peut se démontrer.

Avec la majorité relative sortie des urnes en juin 2022, la vie parlementaire est chaotique. Le gouvernement doit louvoyer pour faire passer chaque texte et avoir recours au fameux article 49.3 mais moins souvent qu’on le croit. Les lois budgétaires de l’Etat et de la Sécurité sociale ont toutes été votées avec cet artifice mais beaucoup de textes ont été avalisés avec une majorité en bonne et due forme, le gouvernement ralliant à sa cause soit une partie de la gauche, soit les LR. Si une partie de ces projets ne sont pas très importants, certains sont essentiels comme la loi de programmation militaire ou celle sur la transition énergétique qui prévoit la relance du nucléaire qui ont donc rassemblé une majorité.

Mais dès qu’un projet de loi a une forte valeur politique et clivante, c’est le principe revisité d’Archimède qui s’impose « toute loi plongée dans un liquide idéologique subit une poussée verticale vers le haut égale au poids du volume de fracturation déplacée » et c’est la crise.

Les lois sur les retraites et l’immigration l’ont démontré. Dans les deux cas, le Président de la République a été confronté à une situation de blocage venant de la gauche. Sur les retraites, LFI a empêché le débat par sa stratégie assumée d’obstruction. Sur l’immigration, c’est la motion de rejet déposée par les écologistes qui a tué le débat.

Dans le premier cas, Emmanuel Macron a demandé à Elisabeth Borne de faire jouer le 49.3 pour faire passer le texte.

Dans le second cas, le Président a laissé la main au Parlement et cela a abouti au résultat que l’on sait.

A chaque fois que le gouvernement utilise le 49.3, on a droit au refrain sur « le passage en force, le mépris du Parlement » et à un petit couplet sur « le Président n’a pas compris qu’il n’a pas de majorité et qu’il n’est plus Jupiter ».

Avec l’immigration, pas de 49.3. Les députés ont été invités à jouer leur rôle, à débattre et à voter. Mais après le vote, la foudre s’est abattue sur le Président, accusé d’ouvrir les bras au Rassemblement national.
Mais il faudrait savoir. Emmanuel Macron doit-il opter pour le passage en force ou laisser les élus débattre et prendre leur responsabilité ?
Le Président est vainqueur relatif de cette séquence parce qu’il a démontré que tous ceux qui plaident pour une lecture plus parlementariste de la Constitution ne sont pas capables ou ne veulent pas assumer leur responsabilité, que tous ceux qui lui demandent de développer une culture du compromis devraient apprendre que, par définition, pour qu’il y ait compromis, il faut accepter la discussion et pas la fermer et que la balle est aussi dans leur camp.

Bref, il a démontré que, plus que lui, les parlementaires n’ont pas compris les implications de la configuration de l’Assemblée qui leur impose de prendre leur responsabilité.

C’est aussi le sens de sa saisine du Conseil constitutionnel par laquelle il signifie que les députés ont voté – en toute connaissance de cause - des dispositions manifestement anticonstitutionnelles et qu’en tant que garant de l’Etat de droit, il demande au gardien de la Constitution de se prononcer.

La gauche qui se drape dans la morale pour dénoncer cette lepénisation de la loi sur l’immigration devrait avoir conscience qu’elle en porte la responsabilité.

C’est en ce sens que la gauche dite de gouvernement – essentiellement le parti socialiste – est – avec LR – la grande perdante dans cette affaire.

Lorsque le texte revient à l’Assemblée nationale- dans une version tellement remaniée au Sénat que Bruno Retailleau se vante qu’il s’agit d’un texte LR et plus Darmanin - la gauche dépose une motion de rejet pour dit-elle marquer son opposition à ce projet. Mais c’est une imposture.

Une motion de rejet n’exprime pas une opposition à un texte mais un refus de débattre, ce qui n’est pas la même chose. La gauche tombe dans le piège que lui a tendu le RN. Les frontistes votent cette motion qui est adoptée et le texte n’est pas débattu autrement qu’en commission mixte paritaire sur la base de la version sénatoriale. On en arrive à cette situation extraordinaire où le RN n’a plus rien à faire, la gauche et la droite lui déroulent le tapis rouge.

Si la gauche avait accepté le débat, elle aurait pu déposer des amendements, tendre des perches à l’aile gauche de la macronie et peut-être trouver un texte de compromis allant dans son sens avec la majorité. Bref, elle aurait joué le jeu de la démocratie parlementaire qu’elle réclame à cors et à cris et que le Président lui avait apporté sur un plateau.

Au lieu de cela, par irresponsabilité et idéologie, elle a laissé la main à la droite et à l’extrême droite.

Le PS, les écolos et le PC qui se targuent de faire partie de l’arc républicain ont ainsi touché le fond de la décrédibilisation.

Du côté des Républicains, ce n’est pas plus glorieux. Le soir du vote, ils grimpaient aux rideaux. « C’est notre texte qui a été voté », « nous avons tenu la plume » exultaient-ils.

Ils ont tenu la plume en effet. Mais laquelle ? Celle du Rassemblement national. Compte tenu du rapport de force au Sénat et dans la commission paritaire, les LR étaient en première ligne. Enivrés de leur supposé pouvoir, ils sont allés loin dans le durcissement du texte, tellement que dès la conclusion de l’accord en CMP, Marine Le Pen annonçait avec tambour et trompette que son groupe allait voter le texte parce qu’il « reprend nos propositions et c’est une victoire idéologique » pour le RN.
C’est avec ce coup magistralement joué que la crise politique a éclaté sur le thème « d’un texte d’inspiration lepéniste ».

Les LR – qui avaient fait tout le travail – ont disparu au profit du RN qui se retrouve au centre du jeu.

En cette veille de Noël, Les Républicains ont été parfaits dans le rôle de la dinde. Cuits et dorés à point, ils sont désormais prêts à être dévorés par le RN.

Mais, experte aussi dans l’art d’accommoder les restes, Marine Le Pen va les laisser encore un peu mijoter.
En effet, dans son scénario rêvé, elle accède à l’Elysée en 2027. Il lui faudra une majorité à l’Assemblée nationale. Il n’est pas garanti que le RN l’obtienne à lui tout seul puisqu’on sait depuis 2022 qu’un président élu n’obtient pas automatiquement une majorité aux élections législatives.

Et c’est là que les dindons de la farce sur la loi immigration pourraient être réchauffés en servant de force d’appoint, de supplétifs de l’armée des populistes. Triste fin pour ceux qui se posent comme héritiers du général de Gaulle.

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