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Billet de blog 11 février 2025

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Trump à la Maison Blanche : l’Europe au défi du jour d’après

Avec la guerre commerciale qu’il lui promet, l’Europe est la prochaine cible du Président américain qui, tel un mammouth, écrase tout sur son passage. Mais, face à cette menace, le vrai risque pour l’Union est l’implosion avec la montée des partis populistes tentés par la course en solo. Les taxes douanières seront un véritable « crash test » pour l’Union européenne.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsqu’un événement dramatique ou une catastrophe se produit, le plus difficile, ce n’est pas le jour où cela se déroule mais le lendemain, celui où on découvre l’étendue du désastre et où on se pose la question de savoir comment rebondir, sortir de la nasse et de la situation. En un mot, c’est l’angoisse du jour d’après. Comment survivre après le tsunami ?

Avec l’arrivée effective de Donald Trump au pouvoir, le monde entier, en particulier l’Europe, est confronté au défi du jour d’après… Comment gérer et faire face à la déferlante de ce président hors norme, moins imprévisible qu’on le dit – ce qu’il annonce depuis le 20 janvier est globalement conforme à ce qu’il disait avant son élection – mais sans limite dans la provocation et consolidé dans sa démesure par le fait d’être à la tête de la première puissance mondiale… Un Donald dirigeant de Trinité et Tobago, ce serait amusant. A la tête des Etats-Unis, c’est une autre musique.

La Chine doit s’attendre à une montée de tension sur le plan commercial mais aussi stratégique et militaire. On peut parier que, derrière la Grande Muraille, on s’y prépare.

Et que dire de la menace pour l’Europe dont le risque est tout simplement d’être rayée de la carte géopolitique et d’être complétement vassalisée ?

Cela a commencé par une humiliation symbolique. Le Donald a annoncé qu’il voulait mettre la main sur le Groenland parce que le sous-sol de ce pays arctique regorge de pétrole. Le fait que ce territoire soit sous souveraineté du Danemark et donc membre de l’Union européenne ne l’a pas ralenti. Et le plus étonnant est que ni Copenhague, ni Bruxelles n’ont vraiment réagi.

Cela en dit long sur l’effacement de l’Europe. D’ailleurs, de manière générale, pour les Américains, l’Europe n’existe pas. Ils en sont restés à la boutade de Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? ».

Dans un monde de rapports de force, fondé sur des échanges personnalisés, l’Europe n’existe pas parce qu’elle n’a pas d’incarnation, pas de force, pas de visage. Qui connait Antonio Costa, président du Conseil européen ?  Quant à Ursula Von der Leyen, elle ne peut pas être une expression européenne parce qu’une Commission ne saurait incarner une puissance.

L’Europe n’a pas de numéro de téléphone, elle est aux abonnés absents. Et Donald Trump, va jouer comme ses prédécesseurs - mais à une échelle décuplée - sur cette inexistence. A défaut de celui de l’Europe, il a le 06 de l’Italienne Melloni, du Hongrois Orban, bientôt celui de Karl Nehammer, nouveau premier ministre autrichien, chef du parti populaire autrichien et Musk lui donnera le 06 de Alice Weidel, présidente de l’AFD qui devrait être au centre de la vie politique allemande après les élections du 23 février.

Mais, plus que cette stratégie de division du Président américain et des missiles qu’il lui enverra pour la faire exploser, le vrai danger pour l’Europe dans ce « jour d’après » est celui de l’implosion.

Depuis plusieurs années, il n’est question que du renforcement de l’intégration européenne sur les plans économique, industriel, politique et militaire. Les Européens semblent avoir pris conscience de leur décrochage économique et technologique par rapport aux Etats-Unis. Le rapport de l’ancien président de la BCE, Mario Draghi préconisant que l’Europe investisse chaque année 800 milliards d’€ pour « innover et combler le retard technologique, avoir un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité, renforcer la sécurité et réduire les dépendances » devrait être la boussole des dirigeants européens.

Avant ce rapport et depuis 2017, Emmanuel Macron a poussé les feux en faveur « d’une Europe puissance » et a marqué quelques points comme la politique d’achat groupé des vaccins au moment du Covid et le plan de relance communautaire de 750 milliards d’€. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, la question de la défense européenne est revenue au premier plan, pour sortir de la dépendance des Etats-Unis, une exigence d’autant plus forte avec la menace agitée par Donald Trump de se retirer de l’OTAN si les pays européens ne font pas d’effort pour assurer leur défense.

Alors que face aux deux blocs que constituent la Chine et les Etats-Unis, l’évidence est que seule une Europe unie et intégrée peut exister, la menace d’une dislocation de ce qui est la grande réussite de l’après-guerre n’a jamais été aussi forte.

La cause de cette déliquescence est la montée en puissance des partis nationalistes dans tous les Etats ou presque de l’Union. Ils sont au pouvoir dans de plus en plus de pays – Italie, Hongrie, Slovaquie, Belgique, Pays-Bas, Autriche – en étant majoritaire ou en tant que membre d’une coalition - et ils ont une représentation politique et électorale importante dans de nombreux autres pays.

Le propre de ces partis nationalistes est d’être….nationalistes, de ne jurer que par la nation, « la souveraineté nationale » le pays, de ne voir dans l’Europe qu’un monstre technocratique dont l’objectif est de détruire les cultures et les identités nationales.

Cette poussée nationaliste se retrouve au Parlement européen où, depuis l'élection de 2024, répartis en 3 groupes, les députés nationalistes constituent la deuxième force politique avec 187 élus, à comparer aux 188 du Parti populaire européen – droite libérale - et aux 77 de Reniew – centristes-. A ce niveau, ils constituent une minorité de blocage. La présidente de la Commission européenne est obligée de tenir compte de ce rapport de force et de revenir sur certains projets. C’est ainsi que le pacte vert, censé organiser la transition écologique, est régulièrement effeuillé comme une marguerite, que la politique migratoire communautaire est contournée par des pays qui la jouent solo.

C’est symbolique mais cela en dit long sur le positionnement de ces partis. Dans le débat budgétaire qui a agité la France ces derniers mois, la principale proposition du RN pour réaliser des économies était de réduire, voire d’arrêter la contribution française au budget européen. Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen prévoit d’organiser un référendum – en plus de celui sur l’immigration – sur le rétablissement de la supériorité des lois nationales sur celles de l’Europe.

Les élections allemandes du 23 février pourraient bien être le déclencheur de l’implosion européenne. Selon les sondages, l’AFD – le parti néo-nazi – arriverait en 2e position derrière la CDU-CSU, le parti de la droite libérale. Pour constituer une majorité, une alliance CDU-AFD pourrait être nécessaire. C’est comme si, en France, il y avait une alliance LR-RN. Les chrétiens-démocrates se défendent de vouloir une alliance avec les néo-nazis mais au début du mois de février, ils ont fait voter une motion sur l’immigration avec le soutien de l’AFD.

Une telle coalition au pouvoir à Berlin ferait exploser le couple franco-allemand, d’autant que la France avec son absence de majorité est largement sans voix.

Or, sans le moteur franco-allemand, c’est la panne sèche en Europe.

Donald Trump aurait définitivement la voie libre et on a déjà une idée de ce que cela pourrait donner. Depuis le 20 janvier, pas un jour sans une annonce tonitruante. Après le Groenland et son pétrole, le Canada avec ses minerais de fer, de cuivre et de potasse intéresse le fantasque président. Que personne ne lui dise que le sous-sol de la Nouvelle-Calédonie regorge de nickel, cela pourrait lui donner des idées.

Et que dire de ses initiatives au Proche-Orient – mettre la main sur Gaza, déplacer la population en Egypte et en Jordanie pour en faire la nouvelle Riviera – et en Ukraine – négocier directement avec Poutine et Zelensky – en passant par-dessus la tête des Européens qui pour l’instant n’ont rien trouvé à redire.

Le défi du jour d’après pour l’Europe est là : se réveiller ou devenir un ensemble de seconde zone, regardant passer les trains.

La réponse sera donnée avec la guerre commerciale que le Président américain va lancer à l’Europe. Reprochant aux Européens d’avoir un excédent commercial avec les Etats-Unis, il va imposer des droits de douanes. Mais il ne le fera pas globalement pour tous les produits et pour toute l’Europe. Il jouera des divisions entre les pays de l’UE en fonction de ses intérêts. Pour pénaliser les Allemands, il taxera les voitures, pour agacer les Français, il imposera des droits sur les produits de luxe, les vins et spiritueux, etc..

Le défi des Européens sera de réagir collectivement, de ne pas rentrer dans ce jeu ou à l’inverse d’aller à la bataille en ordre dispersé.

Pour l’Europe, la taxe américaine sera un « crash-test ».

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