Les commentateurs et les politiques s’en réjouissent tous les jours : la crise de la réforme des retraites entraîne la chute inéluctable du Président de la République. A l’origine de cette certitude, non seulement les manifestations et « les casserolades » qui ciblent et accompagnent Emmanuel Macron dans chacun de ses déplacements mais aussi les sondages. Pas une semaine sans qu’un média ne titre de manière apocalyptique sur « la chute de popularité de Macron » ou « Le Président au plus bas » quand ce n’est pas « la cote d’alerte qui est atteinte ».
Une fois de plus les observateurs sont pris en flagrant délit de facilité, de démagogie et d’absence de mémoire politique.
En effet, si on regarde dans le détail, la réalité est plus subtile. Sa côte de popularité oscille depuis le début de l’année entre 24 et 27/28%. Ce n’est pas mirobolant mais ce n’est pas tragique si on veut bien prendre en compte deux éléments de comparaison.
D’abord, cette côte est sensiblement la même que celle dont il bénéficiait au plus fort de la crise des gilets jaunes. La suite a démontré que ce n’est pas la fin du monde.
Ensuite, sans remonter à la préhistoire de la Ve République, on peut se rappeler que ses deux prédécesseurs immédiats étaient « tombés » aussi dans les bas-fonds sondagiers. Au mitan de son quinquennat, Nicolas Sarkozy oscillait dans la zone supposée dangereuse des 20%. Quant à François Hollande, il était tombé à 16% après la réforme du travail.
Relativement au bashing, à la violence verbale entendue dans les manifestations, aux propos haineux qui se répandent à longueur de journée sur les réseaux sociaux et dans les médias, cet étiage est plutôt positif.
En fait, cette zone de 25 à 28% d’opinion favorable correspond à son résultat de 1er tour des élections présidentielles de 2017 et 2022. Emmanuel Macron est, avec Marine Le Pen, le seul responsable politique à avoir un socle électoral solide. Avec quelques oscillations mais contre vents et marées, son électorat de base lui reste fidèle. Dans tous les sondages d’avant l’élection de 2022, Emmanuel Macron faisait la course en tête avec des intentions de vote allant de 27 à 33%. Tous les autres candidats ont connu des hauts et surtout des bas, y compris Marine Le Pen, un temps menacée par Éric Zemmour.
Cette solidité du premier cercle électoral est un atout mais il est éclipsé par le déferlement de haine à l’encontre du Chef de l’Etat et le rejet qui monte inexorablement dans la sphère médiatique.
Cette ambiance délétère donne des ailes à certains. Pour les dirigeants, les cadres et les députés RN – qui ont fait vœu de respectabilité comme les moines cisterciens font vœu de chasteté -, l’affaire est entendue : en 2027, ils seront au pouvoir. Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter mais le rejet dont il fait l’objet retombera sur le candidat qui incarnera le macronisme. Pour Jordan Bardella, le scénario est écrit : la Marine jettera l’ancre à l’Elysée et lui-même sera envoyé en commandant en second à Matignon.
Le fougueux jeune président du RN devrait apprendre qu’une élection n’est jamais gagnée d’avance et, dans ce cas, parier sur le seul rejet politico-médiatique est de courte vue.
Pour comprendre la situation du Président par rapport à l’opinion, il faut se référer à la théorie des deux corps du Roi, le corps de la personne et celui de l’incarnation.
Il y a une forme de schizophrénie dans la représentation que les Français se font du locataire de l’Elysée, façon Dr Emmanuel et Mister Macron.
Dr Emmanuel – le politique – n’est en rien rejeté. Comme les sondages le montrent, il bénéficie d’une adhésion forte de la part d’une partie non négligeable de l’opinion, tandis que pour une autre, il ne suscite aucun sentiment, ni dans un sens, ni dans l’autre.
En revanche, Mister Macron – l’homme, la personne – enflamme les Français suscitant rejet, violence et finalement haine.
La question est de savoir pourquoi cette haine qui est présente depuis 2018 et a pris de l’ampleur depuis la crise des gilets jaunes avant d’atteindre son paroxysme avec la réforme des retraites.
Depuis le début, de nombreux exégètes se sont mis en quête des origines de ce rejet. Deux journalistes, en 2019, ont même écrit un livre précisément titré « Macron, pourquoi tant de haine ? »*. Au fil des pages, ils revisitent des éléments comme les phrases malencontreuses du genre « les Français sont des Gaulois réfractaires », « les gens de peu » ou encore « il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi » et passent en revue des épisodes qui ont émaillé la chronique élyséenne comme l’affaire Benalla. Mais, au final, il n’y a pas de réponse claire et définitive à cette énigme.
Beaucoup ont essayé de percer le mystère du Macron bashing mais, comme dirait l’humoriste Régis Laspalès « ils ont eu des problèmes ».
Peu importe, prenons le risque et tentons une hypothèse.
Et si la raison de cette haine était que Emmanuel Macron est touché par le syndrome du premier de la classe ?
Avouons-le, on a tous connu un premier de la classe.
Le premier de la classe est le bogosse du premier rang. Bon élève, il réussit dans à peu près dans toutes les matières avec une apparente facilité, pas le genre à ramer sur un problème de trigonométrie. Il est évidemment le préféré des profs, et a un succès certain auprès des filles. Pour peu qu’il ne la joue pas modeste, cultivant une certaine arrogance et qu’il n’ait des relations qu’avec les autres premiers de la classe, formant ainsi une sorte de groupe élitiste, il suscite des réactions passionnées ambivalentes. Il y a ceux qui voudraient bien faire partie de son cercle de copains pour se valoriser et pourquoi pas récupérer un peu de son fluide magique. Et, il y a les autres, - la majorité - qui le vouent aux gémonies, ne peuvent pas le supporter pour la simple raison qui les renvoie à leur condition modeste et à leur complexe.
Avec la fulgurance de son parcours, des grandes écoles à la banque d’affaires en passant par la commission Attali – où il tissera sa toile -, l’Elysée comme conseiller, le ministère de l’économie, la conquête des médias et enfin la Présidence à 39 ans, Emmanuel Macron est une caricature de premier de la classe. D’autant qu’il ne s’est pas contenté d’avoir du succès auprès des filles, il a conquis le Saint-Graal en séduisant la Prof qu’il a fini par épouser. Autant dire, la goutte d’eau qui fait déborder le vase du ressentiment.
La question politique qui se pose est de savoir qui, dans la représentation des Français l’emportera : Dr Emmanuel ou Mister Macron ?
Jusqu’à présent, c’est plutôt Dr Emmanuel – le politique – qui l’emporte comme les sondages - et plus encore sa réélection - le montrent. Si une partie non négligeable des électeurs de gauche se sont reportés sur lui au second tour pour bloquer Marine Le Pen, c’est parce qu’ils savent – avec rationalité – faire la différence entre les deux corps du Roi. Cela prouve aussi que le Front/Rassemblement national est encore confronté au fameux plafond de verre qui l’a, jusqu’à présent, empêché d’accéder au pouvoir, même si le niveau de ce plafond a beaucoup baissé comme les 42% de Marine Le Pen et les 89 députés RN l’attestent.
Emmanuel Macron est le double inversé de Jacques Chirac. L’ancien Président n’était pas fort politiquement, son socle électoral était faible. Si on a surtout retenu de l’élection de 2002 que Jean-Marie Le Pen s’était retrouvé au second tour, on a oublié que Chirac, Président sortant n’avait obtenu que 20% des voix…
Mais l’homme Chirac bénéficiait d’une image positive et de proximité. Il avait réussi le prodige de faire croire qu’il était un corrézien alors qu’il n’a découvert ce département de la France profonde qu’en 1967. Il a réussi à faire oublier qu’il est un total parisien - né dans la Capitale, il en sera le maire pendant près de 20 ans – et, issu de la grande bourgeoisie, il y a vécu une jeunesse dorée dans les beaux quartiers alors qu’Emmanuel Macron, originaire d’Amiens vient de la classe moyenne.
Dans les deux corps du Roi, avec Chirac, c’est le corps de l’homme qui fait la différence. Avec Macron, c’est l’incarnation qui l’emporte.
La suite du quinquennat n’est pas jouée d’avance. L’enjeu est de savoir si la représentation politique prendra toujours le pas sur l’image personnelle, si – dans le secret de l’isoloir - la rationalité sera toujours plus forte que la sentimentalité.
Ce sera aussi l’enjeu de l’élection de 2027. Le candidat ou la candidate qui représentera l’arc démocratique et qui s’inscrira dans la continuité macroniste - il ne faut compter ni sur le PS, ni sur LR pour représenter une alternative démocratique – sera en capacité d’incarner un projet politique face à une tentation populiste.
Une tentation qui ouvrirait la voie à une zone d’incertitude dangereuse sur le plan géopolitique. Avec la guerre en Ukraine, Marine Le Pen s’est fait prendre les doigts dans le pot de confiture. Son tropisme russe et ses liens d’intérêt financier avec Poutine qui a financé sa campagne de 2017 (officiellement sous la forme d’un prêt que le parti rembourse consciencieusement) se sont révélés embarrassant. Comprenant le piège, Marine Le Pen a condamné l’agression russe dès le début de « l’opération spéciale ». Mais les vieux démons ont fini par la rattraper. En avril 2023, elle déclare : « Si l'Ukraine gagne, cela signifiera que l'OTAN est entrée en guerre, car je suis convaincue que l'Ukraine, sans la puissance de l'OTAN, ne peut pas vaincre militairement la Russie. Cela signifie que la troisième guerre mondiale a été déclenchée ». Si on comprend bien, Marine Le Pen demande à Zelensky de rendre les armes et de livrer l’Ukraine à Poutine. D’ailleurs, elle est favorable à la sortie de la France de l’OTAN et souhaite un rapprochement stratégique avec la Russie.
Sur l’Europe, l’ambigüité atteint son comble. Après avoir spectaculairement déclaré, en 2019, son adhésion à l’€uro, elle affirme aujourd’hui que la sortie de l’€uro n’est plus une priorité, ce qui signifie donc qu’elle reste au programme. Elle s’affirme de plus en plus « eurosceptique » avec une bonne dose de contradiction. En effet, au nom de la souveraineté nationale, elle réfute l’ingérence européenne dans la politique des Etats mais reproche à l’Europe de ne pas avoir de politique d’immigration visant à empêcher la déferlante migratoire sur les pays de l’Union, à commencer par la France et l’Italie.
Il faudra bien lors de la prochaine élection que sur des sujets aussi essentiels, la position de la candidate populiste soit clarifiée. Elle ne pourra pas se contenter de renvoyer ces questions à un hypothétique référendum. La politique étrangère de la France ne se joue sur un coup de poker. Les électeurs le savent et – c’est la bonne nouvelle du jour – ils ne confieront pas les clés de la maison sans avoir la garantie d’un ancrage occidental et européen.
*Macron, pourquoi tant de haine ? Nicolas Domenach-Maurice Szafran. Ed Albin Michel 2019