Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

66 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 octobre 2024

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Budget 2025 : Les politiques, ça ose, ça ose tout et….

Les réactions à la présentation de la loi de finance pour 2025 et les débats pré-parlementaires ont montré que les politiques ont dépassé les bornes en termes d’irresponsabilité et de démagogie qu’ils avaient pourtant poussées loin cet été. Mais, cette fois, c’est grave parce qu’ils mettent en cause la crédibilité financière et politique de la France. Alerte.

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Austérité », « Matraquage fiscal » « Les classes populaires et moyennes massacrées », « l’école et la justice sacrifiées », etc…

Que n’a-t-on pas entendu à la présentation du budget 2025 par le gouvernement qui prévoit 40 milliards d’€ « d’économies » et 20 milliards d’€ d’impôts en plus. La France et les Français seraient mis au pain sec et à l’eau.

Faisant assaut de démagogie, de populisme, d’irresponsabilité et de posture, les politiques ont joué à la course à l’échalote de l’attaque la plus violente.

Tout pour ça, pourrait-on dire. Ce budget n’est en rien austère, tout au plus un peu rigoureux.

En effet, tout ce qui est dit est faux ou exagéré et déformé.

Curieusement, le gouvernement participe au mensonge qui fait de lui une cible vivante. En effet, en présentant ce budget, Michel Barnier a parlé de 40 milliards d’€ d’économies et tout le monde a compris ou voulu comprendre que les dépenses publiques allaient baisser.

Mais, c’est faux. Par rapport à cette année, les dépenses publiques ne diminueront pas. Elles augmenteront moins vite. Concrètement sans mesure de ralentissement, les budgets publics progresseraient de 2,8%. Avec le projet du gouvernement, elles ne seront en hausse que de 2,1%, soit à peu près le taux d’inflation prévu. En d’autres termes, elles seront stabilisées en euro constant. On est loin, très loin de l’austérité. Comme l’a dit le journaliste économique François Lenglet, « on va dépenser moins que si on avait dépensé plus ».

Ensuite, la perspective d’une catastrophe annoncée tient au fait que ces chiffres sont présentés de manière absolue et brute, sans être rapportés à la masse des budgets.

60 milliards d’€, est une somme colossale que personne ne peut se représenter. Qui a déjà eu 60 milliards – soit 600 millions de billets de 100 € - dans sa poche ?

Mais, si on rapporte cette somme à la masse des budgets publics – Etat, collectivités territoriales, sécurité sociale -, ce n’est plus du tout la même perception. Le total de ces budgets s’élève à 1620 milliards d’€ en 2025. Les 40 milliards d’économies représentent  2,4% de cette masse. Pas de quoi crier à la mort. Qui peut croire que dans toutes les administrations de l’Etat, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale, il n’est pas possible de ralentir la progression des dépenses de 2% ? Les responsables politiques ne lisent donc pas les rapports de la Cour des Comptes qui dénoncent à longueur d’années, les gabegies, les mauvaises gestions et autres affectations budgétaires à l’efficience douteuse des administrations publiques.

On peut faire cette démonstration en entrant dans le détail de quelqu'uns des postes budgétaires impactés.

Justice : Le Garde des sceaux lui-même a déploré – il en est même à menacer de démissionner - que son budget était amputé de 500 millions. Faux. On a envie de dire « M le ministre, ne nous prenez pas pour des Migaud ». Le budget de la justice ne va pas diminuer. Il va passer de 10,1 milliards d’€ à 10,2 milliards d’€. Les 500 millions sont ceux prévus par la loi de programmation de la justice qu’Eric Dupont-Moretti avait fait voter. Ils sont gelés. C’est regrettable et cela va en effet retarder le recrutement de 1000 magistrats et greffiers prévu par cette loi mais est-ce la fin du monde ?

Fonction publique : 2000 postes seront supprimés par le non-remplacement de départs à la retraite. Aussitôt, c’est la bronca : le gouvernement sacrifie le service public. La fonction publique d’Etat, c’est 2,7 millions d’agents. Les 2000 postes représentent donc 0,07% de l’effectif.

Education nationale : 4000 postes supprimés. L’école dont les résultats ne sont pas extraordinaires et qui est confrontée à des problèmes lourds serait mise à l’encan. « Une saignée » a osé le syndicat CFDT des enseignants. Les postes supprimés représentent 0,4% d’un effectif de 820 000. Certes, il y a des écoles en manque d’enseignants, des absences non remplacées et des postes budgétés non pourvus faute d’attractivité. Mais, cela ne relève-t-il pas plus d’une mauvaise organisation et d’une gestion défaillante des effectifs par le ministère que par rapport au nombre global d’enseignants ? Le gouvernement justifie cette suppression de postes par la baisse de la natalité. L’argument a sa pertinence. En 2020, il y a eu 740 000 naissances, soit 10 000 de moins qu’en 2019. Mécaniquement, cela fait 10 000 enfants scolarisables de moins en 2024 qu’en 2023. Et comme la natalité diminue depuis 10 ans, cela finit par avoir un effet de masse, estimé à 100 000 par le gouvernement.

Assurance-maladie : La principale mesure est la baisse à 60% du remboursement des consultations qui devrait permettre 1,1 milliard d’€ d’économie par transfert de charge sur les assurés et surtout sur les mutuelles qui ne manqueront pas d’augmenter les cotisations. Cette disposition a été dénoncée comme une atteinte à l’accès aux soins, les assurés vont renoncer à se soigner. Faut-il rappeler que cette baisse du remboursement ne concernera pas les 12 millions d’assurés pris en charge au titre des ALD - qui génèrent 80% de la dépense de santé -, ni les plus défavorisés et précaires couverts par la CMU et la CMU-C leur assurant la gratuité des soins ? Au total, l’impact sera faible. Il faut rapporter ce milliard aux 260 de dépense de l’assurance-maladie, soit 0,04%

Retraite : Revalorisation des pensions au 1er juillet au lieu du 1er janvier. Ce report – qui devrait générait 3 à 4 milliards d’€ d’économies – a provoqué une levée de bouclier. Les retraités constituent une part importante de la population et ont une participation aux élections supérieure à la moyenne. Cela justifie une mobilisation. Mais il faut aussi relativiser. Reportée de 6 mois, cette augmentation - qui devrait être de l’ordre de 2% - ne fera perdre que 1% de pouvoir d’achat avec une inflation de 2%. Et, c’est même moins parce qu’il ne s’agit que de la retraite de base. 14 millions d’anciens salariés bénéficient d’une retraite complémentaire qui n’est pas concernée par cette mesure. En outre, Michel Barnier s’est déclaré ouvert à la discussion. En clair, les petites pensions devraient, au final, être épargnées.

Collectivités territoriales : 5 milliards d’€. C’est sans doute sur ce chapitre que la démagogie et le populisme ont atteint des sommets. A écouter les politiques qui sont maires, présidents de départements et de régions, l’Etat - qui se décharge de plus en plus de fonctions sur les collectivités territoriales - va les étrangler. On se calme. C’est beaucoup plus compliqué que cela. La technique budgétaire est ardue et il faut s’y pencher pour comprendre. Voici ce que l’on peut lire sur une source fiable et même incontestable : Maire info. Dans son édition du 11 octobre 2024, le quotidien des élus locaux écrit : « Le dispositif principal de ce plan de 5 milliards d’euros de prélèvements, on le sait depuis le début de semaine, c’est la création d’un fonds de précaution, appelé aussi fonds de résilience des finances locales ou fonds de réserve au profit des collectivités territoriales de 3 milliards d’euros ».

En d’autres termes, sur les 5 milliards, 3 ne sont pas ponctionnés mais gelés et mis en réserve.

Et ce n’est pas tout.  « Il (ce fonds de précaution) impacterait environ 450 des plus grosses collectivités, celles dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 40 millions d’euros, détaille l’article 64 du PLF et sera alimenté par un prélèvement sur les recettes des collectivités limité à un maximum de 2 % des recettes réelles de fonctionnement ». 

Enfin, on est rassuré sur le triste sort des collectivités territoriales quand on apprend que « Ce prélèvement sera, toutefois, mis en œuvre uniquement lorsqu’est constaté le dépassement d’un solde de référence indique le projet de budget, qui prévoit une exonération pour les collectivités dont les indicateurs de ressources et de charges […] sont les plus dégradés. Une vingtaine de départements serait déjà ainsi exemptée ».

Bonne pioche :  les départements qui sont le plus en difficulté seront dispensés de tout effort. On respire. Tout va bien.

Bref, on est loin de l’étranglement surtout si on considère que le budget des collectivités territoriales est de 200 milliards d’€ pour le fonctionnement et de 300 milliards d’€ si on ajoute les actions et les investissements.

On pensait qu’en termes d’irresponsabilité, les politiques avaient touché le fond avec la séquence politique qui a suivi les élections législatives jusqu’à la nomination de Michel Barnier à Matignon. https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/240924/politique-les-medailles-aux-olympiades-de-la-honte Eh bien non, ils ont trouvé le moyen de creuser et là, cela devient grave car c’est le statut de la France qui est en jeu.

Les agences de notation financières sont comme des professeurs qui notent leurs élèves sur leur résultat et leur évolution prévisible en fonction de leurs antécédents. Vendredi 11 octobre, le « prof » américain Fitch a délivré le carnet de notes de l’élève France. Bonne nouvelle, il lui a maintenu sa note antérieure AA-. Mais cette mansuétude n’est qu’une apparence. Non seulement, le prof ne dit pas que l’élève peut « mieux faire » mais qu’au contraire, il va certainement faire plus mal dans un avenir proche.

En effet, Fitch place la France « sous perspective négative » et fait une analyse qui donne froid dans le dos.  « Les risques liés à la politique budgétaire se sont accrus depuis notre dernier examen. Le dérapage budgétaire prévu cette année place la France dans une situation plus défavorable, et nous prévoyons désormais des déficits budgétaires plus importants, ce qui entraînera une forte augmentation de la dette publique pour atteindre 118,5 % du PIB d'ici 2028 »

Mais le pire est à venir. L’agence précise : « Nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement respecte ses prévisions révisées de déficit à moyen terme pour ramener le déficit en dessous de 3% du PIB d'ici 2029 ».

Cela signifie en clair que le plan Barnier est petit bras et que l’agence n’a plus confiance en la France. Et elle justifie cette perte de confiance par « une forte fragmentation politique et un gouvernement minoritaire qui compliquent la capacité de la France à mettre en œuvre des politiques d'assainissement budgétaire durables ».

Les politiques ne semblent pas avoir compris qu’ils sont face à leurs responsabilités. Ils considèrent que la France ne doit pas être sous le diktat des agences de notation. Mais c’est oublier que derrière les agences, il y a le système financier mondial dont le pays dépend. Cette année, la France va devoir emprunter 300 milliards d’€ sur les marchés financiers. 50 milliards serviront à payer les intérêts de la dette de 3228 milliards d’€ déjà contractée. En d’autres termes, on emprunte d’une part pour s’acquitter des intérêts et d’autre part, pour assurer nos fins de mois sans rembourser le moindre euro de capital.

Pendant longtemps, les gouvernements se sont vantés d’emprunter à taux zéro, et même à taux négatif pour les dettes à long terme. Ces temps sont révolus. Désormais, on emprunte à des taux élevés, supérieurs à ceux dont bénéficient l’Espagne et le Portugal. Il n’y a guère que la Grèce à se voir appliquer des taux plus élevés mais pour combien de temps ?

Quand on parle des marchés financiers internationaux, il ne faut pas s’imaginer qu’il s’agit de structures financières anonymes et exotiques qui ne se posent pas de questions et prêtent à leur débiteur tant que celui-ci rembourse. Plus de la moitié de notre dette est détenue par l’étranger, contrairement à un pays comme le Japon dont la dette atteint 200% du PIB mais qui est détenue en quasi-totalité par les Japonais eux-mêmes. La plus grosse partie de notre dette externalisée est entre les mains de nos voisins européens, à commencer par l’Allemagne, suivie du Luxembourg et d’autres pays de l’Union. Cela signifie que nous sommes entre les mains de nos partenaires politiques, économiques et stratégiques qui ont toute latitude pour nous observer.

Que se passerait-il si les Allemands – dont la rigueur financière est légendaire – perdaient toute confiance en la France et refusaient de lui prêter ou le faisaient à des taux prohibitifs ? Ce serait l’asphyxie et la dérive grecque. En effet, ce qui a perdu la Grèce dans les années 2010, c’est moins la réalité objective de sa situation que la perte de confiance que sa gestion avait entraînée.

Il est désespérant de constater que les politiques font semblant d’ignorer ce contexte et continuent de danser au-dessus du volcan.

Pour ce qui est du budget 2025, que l’on se rassure. Le scénario est écrit. Pendant le débat parlementaire, les élus dénonceront ce projet qui a franchi toutes leurs lignes rouges – la hausse des impôts pour les uns, la baisse des dépenses pour les autres – obtiendront des aménagements à somme nulle, les députés ne pouvant supprimer une recette sans trouver une économie équivalente et à l’inverse ajouter une dépense sans trouver une recette compensatoire. Le gouvernement sortira le 49.3, la gauche déposera une motion de censure que les autres partis ne voteront pas et le budget sera adopté.

Les macronistes, LR et RN justifieront - sans rire et en priant tout le monde de les prendre au sérieux – leur décision de ne pas faire tomber le gouvernement Barnier par leur sens des responsabilités et celui de l’intérêt du pays. Ils confirmeront ainsi que, pour paraphraser Michel Audiard, « les politiques, ça ose, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.