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Billet de blog 15 novembre 2023

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LR-RN ou la fable du corbeau et du renard

En persistant à courir après le Rassemblement national sur l’immigration et la sécurité, les Républicains se mettent dans la situation du corbeau dans la fable de La Fontaine face au renard RN qui, morceau par morceau, récupère leur fromage électoral. Jusqu’à quel point ?

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Maître Retailleau, sur un arbre perché tenait en son bec un fromage.
Maitre RN, par l’odeur alléchée lui tint à peu près ce langage :
Bonjour, Monsieur du Retailleau, sans mentir, si votre ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes le Phoenix des hôtes de ce Sénat. A ces mots, le Retailleau ne se sent pas de joie et pour montrer sa belle voix, ouvre large bec et laisse tomber sa proie. Le RN s’en saisit et dit « Apprenez Monsieur du Retailleau que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ».

La fable – revisitée – du Corbeau et du Renard de La Fontaine est une parfaite métaphore de la situation de LR qui programme sa propre mort en courant toujours plus après le Rassemblement national.

Au lendemain du vote au Sénat, du projet de loi sur l’immigration, Bruno Retailleau, Président du groupe LR à la Haute Assemblée était « fier comme s’il l’avait un bar-tabac » pour reprendre l’expression de Coluche. « Avec les amendements votés, le texte n’est plus celui du gouvernement mais celui des Républicains » claironnait-il.

Il est vrai qu’à force de vouloir trouver un compromis avec le parti dominant au Sénat, Gérald Darmanin a cédé sur tous les points sensibles : la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension, la transformation de l’AME en AMU, la suppression des aides sociales pour les étrangers en situation régulière s’ils n’ont pas 5 ans de présence sur le territoire, le regroupement familial, etc.

Mais, si on y regarde bien, cette mouture n’est pas celle des LR mais du RN. D’ailleurs, Marine Le Pen s’est empressé de faire savoir que, dans cette version-là, elle voterait le texte à l’Assemblée nationale.

Cet épisode confirme que les Républicains sont toujours sur le toboggan fatal sur lequel il glisse depuis 21 ans.

Tout commence le 21 avril 2002 avec la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle. Ce résultat inattendu, qui a eu pour conséquence l’élimination de Lionel Jospin, a provoqué un violent choc à gauche abondamment commenté. Le choc n’a pas été moins violent à droite même s’il a été moins disséqué, le front républicain qui a donné à Jacques Chirac le score de 82% au second tour ayant créé l’illusion que le résultat du 1er tour n’avait été qu’un regrettable accident.

Ce n’était en effet qu’une illusion. Chirac semble l’avoir compris. Pour autant, il n’en n’a pas tiré de conclusion. Qu’a-t-il fait de ce second mandat ? Rien ou si peu.

Un responsable politique a compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de cette configuration politique : Nicolas Sarkozy. Il analyse que la montée du Front national est inexorable si on ne l’arrête pas. Du ministère de l’Intérieur, il commence très tôt son parcours présidentiel. Son objectif est de faire revenir au bercail gaulliste les électeurs égarés. Il met donc le paquet sur les thèmes porteurs du Front national : immigration et sécurité. Il multiplie les interventions fermes sur le premier et sort le karcher pour le second. Il amorce ce qui sera l’exercice fatal de l’UMP, devenue LR : la course derrière le FN devenu RN.

La campagne proprement dite est articulée sur ces thématiques avec en plus un discours social en direction des classes populaires, « la France qui se lève tôt » et qui veut « travailler plus pour gagner plus ». Cette triangulation comme disent « les spin doctors » qui l’entourent marche à plein régime. Il arrive en tête au premier tour de la présidentielle de 2007 en recueillant 31% des suffrages, Jean-Marie Le Pen est relégué à la 4e position avec 10%. Il sera élu au second tour face à Ségolène Royal.

A l’Elysée, il embraye sur ces sujets. « Vous allez voir ce que vous allez voir » dit-il aux Français. Mais avec le temps qui passe, ceux-ci ne voient rien venir. Le flux migratoire se poursuit et l’insécurité ou le sentiment d’insécurité – ce qui en politique revient au même – grandit. Dans les banlieues difficiles, le karcher est tombé en panne. A chaque fait divers plus ou moins sordide, le Président annonce une nouvelle loi : une bonne dizaine de textes de sécurité sera votée pendant son mandat. Pour quel résultat ?

En 2012, la sanction populaire tombe. Il est battu au second tour par François Hollande à la suite d’un classique duel droite-gauche.

Mais le fait marquant de cette élection est la remontée du FN. Marine Le Pen – qui a repris le flambeau – obtient 17,9% des suffrages, soit plus que son père en 2002 qui s’était qualifié avec 16,8%. Ce résultat a une double signification. D’une part, l’échec du Président sortant sur la sécurité et l’immigration donne au FN un label de crédibilité sur ces sujets. Comme le disait Jean-Marie Le Pen « les électeurs préféreront toujours l’original à la copie ». D’autre part, Marine Le Pen engrange les premiers fruits de sa stratégie de « dédiabolisation » qu’elle a mise en œuvre dès son élection à la tête du parti en 2011 et qui a pour objectif de faire oublier les origines sulfureuses du FN, créé par d’anciens collabos, OAS, racistes et antisémites et faire oublier les sorties mortifères du patriarche, en particulier le fameux « point de détail » qu’auraient été les chambres à gaz. La fille exclura le père en 2015 après un énième dérapage. Cette stratégie de long terme – qui amènera la Marine à être au second tour des présidentielles de 2017 et 2022 – a curieusement trouvé son aboutissement dimanche 12 novembre avec la marche contre l’antisémitisme. En admettant et même en adoubant la présence du FN à cette marche républicaine, les partis politiques et plusieurs organisations juives ont en quelque sorte décerné un certificat de républicanisme à Marine Le Pen et l’ont lavée de tout soupçon d’antisémitisme alors que la réalité est plus complexe.

Mais, en 2012, les orphelins de Nicolas Sarkozy ne comprennent pas ce qui est en train de se jouer et au lieu de travailler à leur reconstruction et à un projet politique fort, libéral-social original, ils s’engagent dans la course poursuite derrière le RN. Ils sont dans le même schéma que le PS qui implosera pour ne pas avoir choisi entre les deux lignes qui s’affrontent en interne. https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/181023/fin-de-la-nupes-une-chance-historique-pour-le-parti-socialiste  

D’une certaine façon, le parti néo-gaulliste – qui se rebaptisera Les Républicains en 2015 – n’existe plus. Il éclate entre plusieurs écuries pilotées par des leaders qui visent la présidentielle de 2017. C’est chacun pour soi. Entre Nicolas Sarkozy qui rêve de son éternel retour, Alain Juppé qui veut prendre sa revanche sur sa condamnation dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris et son exil canadien et François Fillon qui veut se venger de Nicolas Sarkozy qui l’avait relégué au rang de collaborateur lorsqu’il était son premier ministre, c’est « Je t’aime, moi plus ».

En attendant, le parti est aux abonnés absents. L’échéance approche et il n’y a aucun projet, aucune perspective, aucune incarnation. Rien d’autre que ce discours qui sonne comme un écho à celui du FN/RN sur la sécurité et l’immigration. Et une question lancinante : comment sera désigné le candidat à la présidentielle ? Finalement, les caciques du parti décident de s’inspirer du modèle qui a bien réussi aux socialistes en 2012 : la primaire.

Celle-ci a lieu à l’automne 2016. Les deux favoris – selon les sondages – sont Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Mais surprise, c’est François Fillon qui vire en tête à la surprise générale.

Ce choix inattendu des adhérents LR confirme une chose : en politique, l’important est l’incarnation. Avec son projet libéral d’inspiration tatchérienne, l’ancien premier ministre incarnait une idée alors que les deux autres n’incarnaient que leur propre nostalgie du pouvoir.

François Fillon-Dominique Strauss-Kahn : le parallèle est saisissant. A un moment donné, ces deux leaders offraient à leur parti respectif la perspective de se récréer une identité, un projet et une incarnation après une période d’errance et d’échec. Mais voilà, à un instant crucial – et la présidentielle est l'instant crucial dans notre vie politique – ils explosent en vol, victimes de leurs turpitudes, financière pour l’un, sexuelle pour l’autre.

Dominique Strauss Kahn sera écarté de la primaire socialiste en 2011 à cause de ses frasques à l’hôtel Sofitel de New York.

La campagne de François Fillon en 2017 partira en vrille avec la révélation de l’emploi fictif de sa femme Pénélope. Toutes les études électorales montrent qu’il aurait été au second tour sans cette affaire.

Elu ou non, il aurait été installé comme leader du parti et porteur de ce projet libéral, les LR auraient pu retrouver une identité.
En lieu et place de ce scénario rose, c’est la descente aux enfers qui s’accélère.

L’affaire Fillon, qui a empoisonné l’élection présidentielle, laisse le parti désemparé. Il ne sait plus où il habite, d’autant plus qu’Emmanuel Macron, avec son « en même temps », emprunte beaucoup à la droite pour la partie économique de sa politique. Les LR ont rêvé de supprimer l’ISF, Le Président le fait. Le parti gaulliste n’a plus d’espace pour respirer. Il explose. Ceux qui ont été plus ou moins épargnés par les remugles de l’affaire Fillon – Bertrand, Pécresse, Ciotti – commencent à se positionner pour l’élection de 2022. Ils mettent entre parenthèse le parti en plaçant à sa tête, en 2019, Yvon Jacob, un fidèle de Chirac, radsoc tout droit sorti des années 60 avec pour mandat de ne rien faire. L’intéressé respectera parfaitement son ordre de mission. Il ne fera rien à tel point qu’il quittera en 2022 la direction du parti sans que personne ne s’en aperçoive.

Rebelote pour une primaire en 2021 qui verra l’affrontement de ces trois là et de deux outsiders : Michel Barnier, l’ancien commissaire européen, négociateur du Brexit et le Pr Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’hôpital Pompidou de Paris qui a connu son heure de gloire médiatique wahrolienne avec le Covid.

Xavier Bertrand fait figure de relatif favori mais – encore une surprise -, c’est Valérie Pécresse qui l’emporte face à Eric Ciotti. Battu de justesse, le niçois – dont les positions très à droite sont connues – va s’employer à saboter la campagne de la francilienne.

Il atteindra un sommet de perversité en déclarant pendant la campagne du 1er tour que si le second devait être un affrontement entre Eric Zemmour et Emmanuel Macron, il voterait pour le premier. Du coup, la Présidente de la région Île de France se croit obligée d’en rajouter en parlant « du grand remplacement ». Elle ne court plus après Le Pen mais carrément après le héraut antisémite, homophobe, raciste de la droite extrême. Pour le reste, elle n’a pas de projet. Elle se contente de ressortir des tiroirs les vielles idées sarkozistes sur la baisse du nombre de fonctionnaires tout en promettant de créer des postes dans les secteurs en déshérence comme la police, les hôpitaux et la justice. La cohérence échappe aux observateurs.

On en arrive à ce paradoxe que Marine Le Pen, après avoir présenté son projet pour l’immigration et la sécurité – les deux étant liés dans sa logique – n’en parle plus tellement, axant sa campagne sur le pouvoir d’achat et l’inflation, préoccupations majeures des Français. La candidate LR a beau s’époumoner sur les thèmes régaliens, cela n’imprime pas. De sondage en sondage, sa côte décline.

Et ce qui devait arriver arriva : l’accident industriel. Valérie Pécresse ne passe pas la barre des 5% (4,8%).

Comme pour les socialistes, dont le candidat Benoit Hamon n’avait obtenu que 6% à l’élection de 2017, ce résultat aurait dû provoquer un électrochoc, une profonde réflexion sur les raisons de cet échec et la définition d’une stratégie pour remonter la pente. Eh non, comme les socialistes, ils continueront à foncer dans le mur en klaxonnant.

Valérie Pécresse est renvoyée à la région Île-de-France et priée de ne plus en sortir. Eric Ciotti tient sa revanche en étant élu à la présidence des LR. Pour faire quoi ? Reconstruire le parti, redéfinir un projet fédérateur, trouver un espace entre le macronisme et la gauche ?

Non, au volant, Eric Ciotti met la voiture LR sur la bande d’arrêt d’urgence en attendant l’arrivée des secours et plus exactement de la dépanneuse nommée Wauquier.

Le projet assumé d’Eric Ciotti est en effet de préparer le terrain pour le président de la région Rhône-Alpes-Auvergne qui sera le sauveur suprême en 2027. L’ermite de Clermont-Ferrand se fait attendre mais cela fait sans doute partie de la stratégie. On ne perd rien à attendre car, le moment venu, il descendra de son Olympe, avec un projet magique qui sauvera le parti, le pays et même le monde…

Le seul problème est que d’autres se sentent pousser des ailes et que tout cela se terminera par une nouvelle primaire à grand ou petit spectacle. Le résultat sera que les LR arriveront à la présidentielle, sans projet, sans équipe et en pleine division.

En attendant, les LR continuent leur glissade et perdent ce qu’il leur reste de crédibilité comme ils l’ont montré lors du débat sur les retraites, un projet qui était exactement dans leur ligne avec l’augmentation de l’âge légal de départ en retraite. Et que dire de leur irresponsabilité sur les lois budgétaires qui pousse le gouvernement à utiliser le 49.3 ?

L’immigration est, en quelque sorte, la marque caricaturale de leur course derrière le Rassemblement national. Leur grande idée est de réformer la constitution pour permettre la fermeture des frontières et faciliter les expulsions. Aux mots près, c’est la proposition de Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle.

Le renard RN n’a plus qu’à attendre un peu pour récupérer ce qu’il reste du fromage des LR….

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