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Billet de blog 23 octobre 2024

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France-Israël : Emmanuel Macron dans la ligne du Général de Gaulle

En critiquant le Premier ministre israélien, - et être pour cela accusé d'antisémitisme - le Président de la République s’inscrit dans la continuité de la politique française à l’égard de l’Etat hébreu qui consiste en un soutien naturel à l’existence d’Israël et en une réserve à l’égard de la politique du pays dès lors qu’elle crée une tension dans la région. Rappel historique.

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« M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU ». Pour cette phrase qu’il aurait prononcé le 15 octobre dernier dans le huis-clos du Conseil des ministres – qu’il n’a pas vraiment démenti, s’emportant juste contre l’auteure de la fuite -, le Président de la République s’est pris une avalanche inimaginable de critiques et d’insultes. Le Macron bashing a dépassé les bornes. Il a été accusé de mettre en cause la sécurité d’Israël et même son existence, d’avoir tenu des propos antisémites et antisionistes, de placer sur un même plan l’Etat juif et les groupes terroristes Hamas et Hezbollah.

Visé, le premier ministre israélien n’a pas fait dans la nuance : « ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’État d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de l’Holocauste – notamment du régime de Vichy en France » a-t-il lâché.

Dans la même veine, le Président du Sénat a dénoncé l’ignorance de l’Histoire par le Président de la République. 

Ces réactions sont indignes par rapport à la réalité historique et à la situation actuelle au Proche-Orient. En réalité, avec cette phrase, Emmanuel Maron envoie à Israël, aux juifs et à la communauté internationale le message qu’au nom de l’impératif absolu de sa sécurité et de sa pérennité, l’Etat hébreu et le chef de son gouvernement ne peuvent pas tout se permettre. Ils ne peuvent pas se permettre de transformer le Proche-Orient en poudrière risquant de provoquer une déflagration mondiale. Ils ne peuvent pas se permettre de commettre des crimes contre l’humanité. Ils ne peuvent pas se permettre de laisser les Gazouis sans assistance humanitaire. Ils ne peuvent pas se permettre de multiplier les fronts militaires sans stratégie politique.

Le chef de l’Etat dit tout haut ce que de nombreux dirigeants du monde pensent tout bas, y compris en Israël où des responsables politiques et même des hauts gradés de l’armée contestent cette fuite en avant dont ils ne perçoivent pas l’objectif. Après avoir réduit en cendres la bande de Gaza, provoqué la mort de 40 000 civils, femmes et enfants compris, bombardé des hôpitaux, interdit l’accès des convois humanitaires, abandonné à leur sort les otages israéliens détenus par le Hamas depuis les terribles attentats du 7 octobre 2023 commis par cette organisation terroriste, Netanyahou s’engage dans la même voie au Liban avec tous les risques que cela comporte.

On est loin, très loin du droit légitime à se défendre qu’avaient souligné tous les chefs d’Etat, Emmanuel Macron en tête. On ne peut pas faire au Président de la République ce procès d’absence de soutien à Israël. Non seulement, il y a toutes ses déclarations et initiatives depuis le 8 octobre 2023 mais il y a aussi le fait qu’à deux reprises en avril et en septembre, lorsque l’Iran a envoyé des missiles sur Israël, la France a actionné son dispositif anti-missile stationné en Jordanie pour bloquer ces attaques et a d’ailleurs été remercié pour cela par l’état-major de l’armée israélienne.

A propos de l’Iran, justement, depuis plusieurs semaines, Joe Biden fait pression sur le premier ministre pour que, dans la riposte qu’il prépare contre l’Iran, il ne vise pas les installations nucléaires et pétrolières du pays des mollahs, ce qui provoquerait une crise majeure militaire et économique sur les marchés pétroliers.

Mais le Président américain, dont le mandat s’achève politiquement - quoi qu’il arrive - le 5 novembre prochain, sera-t-il entendu par le premier ministre israélien qui parie sur Trump ?

Dans ce climat de tension extrême créée par le chef du gouvernement israélien, le rappel de ce que l’Etat juif doit à l’ONU est politiquement légitimé, contextuellement justifié et historiquement validé.

Politiquement légitimé par l’observation de la tension que le jusqu’au boutisme d’Israël provoque dans la région.

Contextuellement justifié parce que quelques jours avant la « sortie » d’Emmanuel Macron, Tsahal, l’armée israélienne, avait tiré à plusieurs reprises sur des bases de la FINUL au Liban, visant des soldats de la force d’interposition de l’ONU dont des Italiens et des Français. Que n’aurait-on pas dit si le Hamas ou le Hezbollah avait fomenté un attentat contre les forces onusiennes ? On aurait dénoncé un acte de guerre contre la communauté internationale. Là, rien.

Historiquement validé parce que, n’en déplaise à Benjamin Netanyahou et à…. Gérard Larcher, sans l’ONU il n’y aurait pas d’Etat d’Israël.

C’est une résolution de la toute jeune organisation mondiale, le 29 novembre 1947, qui a permis la création d’un Etat juif. Cette initiative n’est pas le fruit du hasard. Les délégués onusiens ne se sont pas réveillés ce matin-là en se disant qu’il fallait créer un Etat permettant aux juifs du monde entier de se constituer en nation.

C’est le résultat d’un cheminement et d’une sinistre circonstance historique.

La genèse date de 1917 avec la « déclaration Balfour », du nom du secrétaire d’Etat britannique aux affaires étrangères qui affirme être en faveur de l'établissement en Palestine « d’un foyer national pour le peuple juif ». Par parenthèse, en juin 1917, la France avait pris la même position mais l’initiative française est tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Après la déclaration du ministre britannique, les juifs du monde entier commencent à affluer vers la terre sainte et à créer des communautés de vie, des kibboutz, sans véritable statut, une forme déjà de colonisation dans une zone de non droit ou au droit incertain. En 1922, la Palestine est placée sous mandat britannique.

Et quelques années plus tard, se produit le drame absolu : la Shoa, le génocide du peuple juif, décidé et mis en œuvre par les nazis. 6 millions de juifs, déportés de toute l’Europe principalement, vers les camps de concentration - aux sinistres noms d’Auschwitz, Dachau, Treblinka et autres - périront dans les chambres à gaz.

A la fin de la guerre, la communauté internationale a conscience qu’elle a une dette colossale envers les juifs qui ne veulent plus être une diaspora éclatée mais pouvoir constituer une nation sur la terre sainte, leur terre. Banco, mais ce n’est pas aussi simple parce que cette terre est aussi celle des Arabes.

Depuis la déclaration Balfour, 600 000 juifs ont rejoint la Palestine où ils cohabitent tant bien que mal avec 1,3 million d’Arabes. Les Britanniques ont de plus en plus de mal à maintenir le calme et éviter les affrontements entre les deux communautés.

C’est ainsi que la nouvelle Organisation des Nations Unies – dont la mission est d’assurer le maintien de la paix dans le monde – publie son historique résolution n°181 du 29 novembre 1947 qui a pour objectif de partager la terre de Palestine entre les deux peuples qui ont autant de légitimité l’un que l’autre à y vivre.

Le plan partage la Palestine en trois parties : un Etat juif de 14.000 km², un Etat arabe de 11.500 km², et place Jérusalem et ses alentours sous administration internationale.

C’est clair et d’une simplicité biblique pourrait-on dire. Trop utopique sans doute : les deux parties refusent ce partage. Arabes et juifs veulent chacun s’établir sur la totalité de la terre de Palestine.  Et ils ne perdent pas de temps. Dès le lendemain du vote de la résolution, les affrontements militaires commencent. Le texte prévoyait l’achèvement du mandat britannique le 14 mai 1948 pour laisser la place aux deux Etats. Ainsi, Ben Gourion proclame, ce jour-là, la création de l’Etat d’Israël et le 15 mai, les affrontements deviennent une guerre qui est celle de la libération pour les Israéliens et celle de la nakba – la catastrophe en arabe – pour les arabes puisqu’elle se traduira par l’exode de 700 000 palestiniens. Cette guerre, ponctuée de plusieurs trêves, s’achèvera en février 1949 par une victoire stratégique d’Israël qui annexe Jérusalem ouest et occupe 78% de la Palestine au lieu des 55% que lui avait attribués la résolution de l’ONU.

Israël est conforté par cette victoire militaire mais c’est une citadelle assiégée. C’est en effet un petit pays naissant de 806 000 habitants face à des puissances arabes qui ne jurent que par sa disparition.

Clairement – et c’est cela que Netanyahou ne devrait pas oublier – sans le soutien de l’ONU, et celui des pays occidentaux, en premier lieu et de loin celui des Etats-Unis, Israël aurait été emporté comme un fétu de paille. L’Etat hébreu n’aurait pas survécu notamment à la guerre du Kippour de 1973 sans l’intervention politique des nations unies et militaire des Américains.

C’est d’ailleurs après cette guerre que des dirigeants éclairés comme Menahem Begin, puis Shimon Pérès et Yitzhak Rabin lanceront un processus de paix qui aboutira, d’abord aux accords de Camp David en 1979 et ensuite d’Oslo en 1993 ouvrant la voie à la solution à deux Etats, voulue par la résolution de l’ONU de 1947. Mais, après l’assassinat de Rabin en 1995 par un nationaliste, les conservateurs israéliens - Netanyahou en premier lieu - appuyés et même contrôlés par les intégristes torpilleront ces accords et leur radicalisation est une des causes de la situation actuelle.   https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/311023/israel-gaza-chronique-tragique-dune-guerre-annoncee

Les politiques qui ont accablé Emmanuel Macron ont-ils la mémoire courte ou ignorent-ils tout simplement l’histoire des relations entre la France et Israël ?

En marquant ses réserves sur la politique de l’Etat hébreu, le Président de la République s’inscrit dans la tradition de la politique de la France, initiée par le Général de Gaulle.

Au printemps 1967, alors qu’il existait des tensions autour du Jourdain entre l’Egypte et la Syrie d’un coté et Israël de l’autre, laissant craindre un affrontement militaire, le Général de Gaulle fait savoir que la France condamnera le pays qui déclenchera les hostilités.

Le 5 juin 1967, Israël lance ce qui restera connu sous le nom de guerre des 6 jours qui lui permettra de conquérir le désert du Sinaï, le plateau du Golan, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Les deux premiers territoires seront restitués à l’Egypte dans le cadre des accords de Camp David de 1979. Les seconds deviendront « les territoires occupés », l’ONU condamnant à plusieurs reprises cette occupation et la politique de colonisation menée par Israël.

Comme il l’avait annoncé, le Général condamne cette intervention d’Israël, ce qui lui vaudra des accusations d’antisémitisme et d’antisioniste. Et il aggravera son cas en déclarant lors d’une conférence de presse en novembre que « les juifs sont un peuple sûr de lui et dominateur ». Là, c’est carrément la bronca et, encore à l’époque, il n’y avait pas les réseaux sociaux.

Et ce n’est pas tout. Le 2 juin 1967, pressentant qu’Israël allait lancer son offensive, le Général de Gaulle bloque la livraison de vedettes-canonnières commandées à la France par Tel-Aviv. Cette affaire restera connue sous le nom des « vedettes de Cherbourg » parce qu’entre le 24 et le 31 décembre 1969, les Israéliens « voleront » les navires au nez et à la barbe des autorités françaises.

Cette histoire montre aussi que lorsque Emmanuel Macron dit qu’il faudrait arrêter de livrer des armes à Israël – ce qui lui a valu les mêmes attaques qu’avec sa remarque sur l’ONU -, il n’invente rien. Le Général ne s’est pas contenté de le dire : il l’a fait.

Enfin, en 1982, en voyage officiel en Israël, François Mitterrand prononce un discours à la Knesset, le parlement israélien, dans lequel il demande à Israël d’accepter « la solution à deux Etats, le partage de la Palestine avec les Palestiniens », ce qui impliquerait l’abandon de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. C’est du lourd parce qu’on est alors 3 ans après Camp David, le processus d’Oslo n’est pas lancé et l’idée d’un Etat palestinien à côté d’Israël n’est pas envisageable par les dirigeants et l’opinion, même pas en rêve ou plutôt en cauchemar…

Cette « sortie » du Président socialiste créera des tensions diplomatiques entre la France et Israël et lui vaudra évidemment des accusations d’antisémitisme et d’antisionisme.

Ces relations chaotiques entre la France et Israël sont révélatrices de l’ambigüité et du tabou qui entourent l’Etat Hébreu. Toute critique à son encontre est considérée comme de l’antisémitisme et de l’antisionisme. Le soutien doit être inconditionnel parce que, en raison de l’histoire du peuple juif et du statut de cet Etat, en danger existentiel, toute distanciation apparait comme une trahison.

Il faut briser ce tabou. Il faut découpler l’antisémitisme du regard que l’on porte sur l’Etat d’Israël et sur la politique de son gouvernement.

On peut critiquer Israël, sa politique, son gouvernement, son premier ministre et même les juifs pour ce qu’ils font (et pas ce qu’ils sont) sans être antisémite, ni antisioniste.

Ce n’est pas être antisémite, ni antisioniste que de dénoncer le jeu dangereux que joue Netanyahou.

Ce n’est pas être antisémite, ni antisioniste que de dénoncer le massacre de 40 000 civils dans la bande de Gaza.

Ce n’est pas être antisémite, ni antisioniste que de pointer la responsabilité des gouvernements israéliens dans la situation actuelle pour avoir donné les clés de Gaza au Hamas.

Ce n’est pas être antisémite, ni antisioniste que de condamner les tirs de Tsahal contre les soldats de la Finul.

La lutte contre l’antisémitisme et l’antisionisme est un combat essentiel et ne doit faire l’objet d’aucune concession mais cela tend à devenir une mission impossible en raison de la politique de Benjamin Netanyahou qui est une grande fabrique de l’antisémitisme, non seulement dans le monde arabe mais aussi en Occident.

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