La constitution du gouvernement de Gabriel Attal a été une nouvelle occasion de constater « la pavlovisation » et la « moutonisation » de la classe politique et médiatique. L’annonce à peine faite, celle-ci a en effet appuyé sur le bouton envoyant mails et tweets dénonçant « le virage à droite de Macron », « la fin du en même temps », « la suite logique de la loi sur l’immigration », etc…
La cause de ce tohu-bohu : l’entrée dans le gouvernement de personnalités marquées à droite comme Catherine Vautrin et Rachida Dati, s’ajoutant au maintien à leur poste des poids lourds comme Bruno Le Maire et Gérald Darmanin dans le cadre d’une « team » ministérielle resserrée de 14 joueurs de première ligne avant la nomination de la deuxième ligne que formeront les ministres délégués et les secrétaires d’Etat.
La ministre de la culture a eu droit, en plus, à un procès en illégitimité par la gauche culturelle bien-pensante, celle qui en ce moment passe plus de temps à l’écriture de tribunes et de pétitions qu’à la création artistique. Non seulement Rachida Dati est de droite mais en plus, elle est issue d’un milieu populaire et – confère son discours de passation de pouvoirs – elle veut permettre aux classes populaires d’accéder à la culture. Tempête dans le Landerneau germanopratin..
Reste le cas Gabriel Attal. Le tribunal politico-médiatique l’a condamné pour haute trahison. Il vient de la gauche – parti socialiste, soutien en son temps de Dominique Strauss-Kahn, membre du cabinet de Marisol Touraine, ministre de la santé de François Hollande – avant de rejoindre Emmanuel Macron en 2016, ce qui est déjà un motif de mise en examen. Mais le principal chef d’accusation est son passage, bref mais marquant, au ministère de l’Education.
En quelques mois, entre l’interdiction stricte de l’abbaya, la fin de la tolérance aux entorses à la laïcité, l’exclusion des élèves harceleurs dans les écoles, la réaffirmation de l’autorité des enseignants qui auront le dernier mot sur les redoublements, la fin du collège unique, la réforme du brevet – pour en refaire un examen de passage vers le lycée - et la volonté de provoquer un choc des savoirs, il a amorcé une rupture – qu’il entend piloter depuis Matignon - dans l’enseignement par rapport à tout ce qui se fait depuis 40 ou 50 ans et qui a amené l’école là où elle en est. 20% des jeunes arrivant au collège ne savent ni lire, ni écrire, ne sont pas capables de situer la Révolution française et n’ont jamais entendu parler de la Shoah. Et que dire des piteux résultats aux tests Pisa des jeunes Français ?
Pour la gauche, ce revirement vers une école de l’autorité et du savoir marque Gabriel Attal au fer rouge du virage à droite. Surtout qu’il a aggravé son cas en lançant l’expérimentation de l’uniforme.
Cette réaction confirme que la gauche, et en particulier le Parti socialiste, a perdu tout sens des valeurs et des réalités, ignore sa propre histoire et sombre dans le plus consternant wokisme.
La gauche a oublié que cette école du savoir, de l’autorité et de la méritocratie est au cœur du projet de l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire de Jules Ferry. Un concept très à gauche.
Pour comprendre, un petit ou grand retour en arrière s’impose.
En 1870, après l’effondrement du second empire, la IIIe République est instaurée mais c’est un régime mal assuré, né dans la douleur après le drame de la Commune de Paris, violemment réprimée par les monarchistes. Contraints d’accepter le régime républicain, ceux-ci espèrent que c’est une situation provisoire. Le paysage politique de l’époque est un face à face tendu entre les monarchistes et les Républicains, marqués à gauche. Il faudra 5 ans pour que trois lois Constitutionnelles (votées de justesse) établissent la République comme le régime de la France. C’est fragile et les monarchistes restent en embuscade.
C’est dans ce contexte qu’en 1880, Jules Ferry, ministre de l’instruction publique instaure « l’instruction publique, laïque, gratuite et obligatoire ». L’objectif est que, ce qui deviendra l’école - et plus seulement l’instruction - donne accès à tous les jeunes Français, de toutes les classes sociales, partout sur le territoire – ce qui est une gageure dans la France rurale, territorialement éclatée - aux savoirs, à commencer par les fondamentaux que sont l’écriture, la lecture et le calcul. C’est une révolution politique et sociale majeure car l’accès à ces savoirs était jusque-là réservé aux classes favorisées.
Les enseignants – ceux que Charles Péguy appellera plus tard, les hussards noirs de la République – ont une mission quasiment sacrée : à travers la transmission des savoirs, enraciner la République dans ses valeurs et son contexte, façonner des citoyens libres, autonomes de pensées et de réflexion. C’est aussi un enjeu stratégique. A l’aube de la révolution industrielle, la France va avoir besoin de bras et surtout de têtes bien pleines et bien faites, de citoyens lettrés et formés pour faire tourner sa nouvelle machine économique.
Les monarchistes ne s’y trompent pas. Ils comprennent l’arme de destruction massive de leur monde que constitue cette maudite école laïque, gratuite et obligatoire. Ils s’y opposent, comme ils s’opposeront plus tard à la séparation de l’Eglise et l’Etat aux côtés du clergé.
Mais l’école laïque s’affirme et remplit sa mission d’enracinement de la République.
Dans l’école républicaine, on ne rigole pas.
L’école républicaine est fondée sur l’autorité du Maître, détenteur du savoir qu’il transmet.
Dans l’école républicaine, on ne passe pas dans la classe supérieure si on n’a pas acquis les connaissances de base.
Dans l’école républicaine, on ne conteste pas l’autorité du Maitre s’il décide un redoublement.
Dans l’école républicaine, on ne va pas au collège si on ne sait pas parfaitement lire, écrire, comprendre un texte et maitriser les opérations de calcul.
Dans l’école républicaine, la valeur centrale est la méritocratie. Les examens sont sélectifs, qu’il s’agisse du certificat, du brevet et plus encore du baccalauréat qui s’obtient avec du sang, de la douleur et des larmes. Il n’est pas le chiffon de papier qu’il est devenu.
Dans l’école républicaine, il y a une cérémonie de remise des diplômes et des prix, du simple accessit à l’excellence, acquis en fonction de ses compétences et de son travail. C’est une source de satisfaction pour soi-même et de reconnaissance par les autres et cela a une autre allure que le nombre de like acquis sur Tik-Tok ou Instagram.
Le choc du savoir, le retour de l’autorité et la méritocratie que veut rétablir Gabriel Attal, c’est l’école républicaine que la gauche avait théorisé et développé parce qu’elle est le fondement de la démocratie, animée par des citoyens éclairés.
Mais toute ces valeurs ont volé en éclats en mai 68. Avec ce grand remue-ménage intellectuel, social, politique, tout ce qui était autorité, méritocratie et savoir académique est jeté dans les poubelles de l’Histoire. L’élève vaut le maître, le savoir est contesté, remis en cause – en ce sens le complotisme est l’enfant de mai 68 -, les notes – surtout si elles sont mauvaises - sont stigmatisantes, l’école n’est plus là pour apprendre mais épanouir, on se lance dans le pédagogisme, la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture est remplacée par la méthode globale qui se révèlera globalement tragique en fabricant des générations d’handicapés de la lecture, de massacreurs de l’orthographe et de tortionnaires de la grammaire.
Le problème n’est pas que Mai 68 ait secoué un ordre ancien et une société peu adaptés aux réalités du XXe siècle qui, au cœur des 30 glorieuses, avait tout sacrifié sur l’autel du consumérisme, oubliant les aspirations de la génération du babyboom.
Le problème est la fuite en avant qui s’est produite dans les années 70-80. Confondant égalité et égalitarisme, on en est venu à nier les différences culturelles, sociales, intellectuelles. L’école de la réussite et du mérite est devenue l’école du non-échec. On ne redouble plus, on passe au collège - unique et non différencié pour tenir compte des aspirations et des niveaux – même si on ne maitrise pas les savoirs fondamentaux. Cette dérive idéologique est symbolisée par le bac. La gauche décide, au milieu des années 80, que 80% d’une classe d’âge doit avoir le bac. Objectif noble s’il s’agit de monter le niveau des bacheliers. Mais ce n’est pas l’idée. C’est la devise de Lagardère qui sert de boussole. Le vaillant chevalier du roman de Paul Féval défie ses adversaires avec cette assertion « Si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ». Ainsi fût fait. Les candidats n’ont pas le niveau pour atteindre le bac, le bac descend vers eux. Aujourd’hui, 88% des élèves de terminale obtiennent le précieux parchemin qui n’a de précieux que le nom.
L’égalité des chances s’est noyée dans l’égalitarisme, mettant en panne l’ascenseur social et provoquant la fracture éducative et sociale au cœur de toutes les tensions politiques et sociétales. De fait, en dévalorisant l’école et plus généralement l’enseignement public, cette stratégie a accentué les clivages sociaux.
Mais la réalité a rattrapé l’idéologie. Le nivellement par le bas a engendré une forme de séparatisme social et de ghettoïsation à l’envers. Pour les classes sociales supérieures, il y aura toujours des écoles, collèges et lycées privés, des Stanislas (il suffit de demander à Amélie Oudéa-Castéra ) et autres institutions sélectives mais aussi des lycées de type Henri IV ou Janson de Sailly dans les beaux quartiers de Paris, sans parler, pour l’enseignement supérieur, des grandes écoles où plus de 80% des étudiants sont issus des classes sociales supérieures.
Si le taux de natalité chute depuis quelques années, la reproduction sociale fonctionne à plein régime.
La gauche n’est pas seule responsable de cette faillite – les gouvernements de droite qui se sont succédé ont apporté leur pierre à ce triste édifice – mais elle a amorcé cette mauvaise pompe.
Maintenant, il appartient à chacun de déterminer si le projet de Gabriel Attal – qui se rêve en nouvel hussard noir de la République – de rétablir une école du savoir, du mérite et de l’excellence partagée est de droite ou de gauche… C’est sans doute les deux,….en même temps.