C’est toujours un exercice vain et un peu ridicule d’affirmer, après un évènement dramatique, qu’il était prévisible et d’énumérer les signaux annonciateurs que personne n’aurait capté. Non, les attaques terroristes du Hamas sur Israël le 7 octobre - qui ont déclenché une nouvelle guerre au Proche-Orient - n’étaient pas inscrites à l’agenda. Israël n’a rien vu venir ou a ignoré les alertes et c’est d’ailleurs un problème.
Pour autant, dans cette région qui est par nature une poudrière, une déflagration sous une forme ou sous une autre devait à un moment ou à un autre se produire. On peut même dater au 4 novembre 1995, le jour où la mèche a été allumée.
Ce jour-là, le Premier ministre travailliste, Ytzhak Rabin était assassiné alors qu’il présidait une manifestation pour la paix en soutien aux accords d’Oslo. Son assassin : un nationaliste israélien, hostile à tout processus de paix.
On ne l’a peut-être pas compris à l’époque mais ce jour-là, la perspective d’une stabilisation de la région et de la création d’un Etat palestinien s’est envolée.
Un petit rappel historique s’impose.
Le 6 octobre 1973, l’Egypte et la Syrie attaquent Israël avec pour objectif de récupérer le désert du Sinaï et le plateau du Golan, deux des territoires – avec la Cisjordanie et la bande de Gaza - conquis par Israël lors de la guerre des 6 jours en 1967. Israël est surpris et déstabilisé par cette offensive parce que sa vigilance est en repos pour cause de fête du Kippour. Mais, sous l’influence de Golda Meir, Première ministre – et dame de fer israélienne – Tsahal reprend progressivement le dessus et s’approche même du Caire. Finalement, c’est une résolution de l’ONU appelant à un cessez-le-feu et confirmant la condamnation d’Israël pour l’occupation des territoires occupés depuis 1967 qui mettra un terme, le 25 octobre, à ce qui est connu comme la guerre du Kippour.
Soulagement ? Pas vraiment. Non seulement, les pays arabes sont humiliés par cette défaite mais en plus, Israël, malgré la résolution de l’ONU, conserve les territoires conquis par la force.
Réunis au sein de l’OPEP, les pays arabes producteurs de pétrole vont se rappeler au bon souvenir des occidentaux en multipliant par 4 le prix de l’or noir – qui n’a jamais aussi bien porté son nom – et dont ils sont tellement dépendant. C’est le 1er choc pétrolier qui met fin à la période de prospérité des pays occidentaux, en particulier de l’Europe, les mythiques 30 glorieuses.
Sur le plan politique, le statu quo n’est pas tenable. Anouar El Sadate, le Président égyptien comprend qu’il n’obtiendra rien par les armes, le soutien indéfectible des Etats-Unis à Israël assurant à l’Etat juif une absolue pérennité. Il change de stratégie et inversant la fameuse théorie de Clausewitz « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », il décide en quelque sorte que la « politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens ». Il entame des discussions avec les dirigeants d’Israël et en 1977, à l’invitation du premier ministre israélien conservateur Menahem Begin, il se rend en Israël où il propose d’engager un processus de paix. Ce voyage historique débouchera sur les accords de Camp David en 1979. Signés sous l’égide et après bien des efforts du Président américain Jimmy Carter, ces accords prévoient d’une part la restitution du Sinaï à l’Egypte et une garantie de sécurité pour Israël et d’autre part de futures négociations sur la Cisjordanie et Gaza avec la perspective d’une autonomie palestinienne.
Mais cet aspect de l’accord ne sera jamais appliqué. En octobre 1981, Sadate est assassiné par des militaires égyptiens, hostiles à toute normalisation avec Israël. Dans ce pays aussi, la paix ne fait pas l’unanimité. Il est – avant Rabin – le premier fauteur de paix à le payer de sa vie.
En Israël, Ariel Sharon, ministre de la Défense envahit, en 1982, les camps libanais de Sabra et Chatila dans le but de combattre l’OLP mais cela se traduit par le massacre de près de 2000 palestiniens.
L’Organisation de libération de la Palestine, dirigée par Yasser Arafat multiplie les attentats contre l’Etat hébreu et les juifs. Pourtant, son leader est une personnalité reconnue, il sera même reçu à la tribune de l’ONU en 1974 où il prononcera un discours violent qui fera scandale. Mais, au fil du temps, il évolue, conscient de l’impasse de la voie terroriste. En 1989, il prononce, à Paris, un mot, un seul qui change tout : « caduque », « la Charte de l’OLP est caduque » dit-il. Or, cette charte prévoyait tout simplement la disparition de l’Etat d’Israël. Difficile de négocier avec quelqu’un qui a pour objectif de vous supprimer.
Ce préalable majeur étant levé, les discussions peuvent s’engager. Elles se dérouleront dans le cadre de qu’il est convenu d’appeler le processus d’Oslo, une série de négociations secrètes qui aboutiront, le 13 septembre 1993 aux accords de Washington. Sur la pelouse de la Maison Blanche, avec pour parrain, le Président Clinton, Yasser Arafat et Ytzhak Rabin se serrent la main pour célébrer un accord qui « instaure un mode de négociations pour régler le problème (palestinien) et pose une base pour une autonomie palestinienne temporaire de 5 ans pour progresser vers la paix. Les deux parties se donnent pour objectif notamment d'établir une autorité intérimaire autonome, le Conseil élu (le « Conseil »), pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, pour une période transitoire n'excédant pas cinq ans, en vue d'un règlement permanent fondé sur les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité ».
Cette négociation permettra la création de l’Autorité palestinienne avec laquelle une autre négociation devrait amener à la création d’un Etat palestinien en bonne et due forme.
Mais, le 4 novembre 1995, cette perspective vole en éclats. L’assassinat du Premier ministre israélien ne se produit pas par hasard. Le climat est hostile, l’opposition de droite – dont le nouveau leader est Benyamin Netanyahou – est vent debout contre cette perspective de paix. Elle gagne les élections de 1996 et Netanyahou se retrouve pour la première fois premier ministre, fonction qu’il occupe depuis par intermittence, au gré des alternances, des scandales de corruption et des coups fourrés au sein du Likoud, le parti conservateur.
Il se vante d’avoir torpillé les accords d’Oslo. Il s’allie avec les partis religieux extrémistes qui, au fil des années, montent en puissance au point que, dans son actuel gouvernement, il est tout simplement l’otage de ces partis intégristes.
Dès son premier mandat, il lance une politique accélérée de colonisation des territoires occupés, en premier lieu de la Cisjordanie. Sa stratégie est de rendre irréversible l’occupation de ce territoire pour qu’il soit reconnu comme partie intégrante d’Israël, ce qui rendrait impossible toute création d’un Etat palestinien. Il concentre les moyens économiques et militaires sur la Cisjordanie.
En 2006, il se retire de la bande de Gaza, laissant de facto le contrôle de ce territoire au… Hamas, organisation terroriste reconnue comme telle par l’ONU et la plupart des puissances occidentales.
Il joue avec le feu car il laisse ainsi la maitrise d’un territoire sur lequel Israël revendique sa souveraineté à une organisation terroriste/militaire qui jure sa perte.
Pour assurer la sécurité d’Israël, il entoure la bande de Gaza d’une sorte de mur technologique – le dôme de fer – censé empêcher l’envoi de roquettes sur Israël. On a vu le 7 octobre, l’efficacité de ce système.
L’abandon par Israël de la logique d’Oslo est à l’origine de toutes les tensions dans la région depuis la fin du XXe siècle : les intififadas, les incidents sur l’esplanade des mosquées, les affrontements de 2014, etc.
La responsabilité politique des gouvernements d’Israël dans l’actuelle guerre est indéniable, ce qui ne justifie en rien les attaques terroristes du Hamas.
Mais, Israël n’est pas seul responsable. La communauté internationale, à commencer par les Etats-Unis, a une large part.
A partir du 11 septembre 2001, les Etats-Unis se désintéressent et se désengagent de la question palestinienne pour se concentrer sur le moyen orient. Après les attentats du World trade center, George Bush veut se venger. Il déclenchera la guerre d’Irak malgré les avertissements de la France par la voix de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin (discours de l’ONU) selon lesquels cette opération militaire va déboucher sur la guerre de civilisation que le président américain prétend anéantir. L’Etat islamique, Daech, naitra de cette confrontation et on sait le chaos et le prix que l’on en paye encore aujourd’hui.
Et ce n’est pas tout. Avec le nouveau rapport de force géopolitique qui se met en place, les Etats-Unis estiment que les enjeux stratégiques se situent désormais dans la zone Asie-Pacifique et leur objectif stratégique est de contenir la puissance économique et militaire de la Chine. Exit le Proche-Orient et aussi – victime collatérale de cette réorientation stratégique – l’Europe. Washington abandonne l’Otan à tel point qu’en 2019, Emmanuel Macron pourra dire – sans être vraiment contredit – que l’organisation est en état de mort cérébrale. Heureusement – si on peut dire – la guerre en Ukraine déclenchée par Poutine, ramènera Washington sur le terrain européen, l’OTAN sera réactivée et même élargie avec l’entrée en son sein de la Finlande et de la Suède.
Mais, pour le Proche Orient ? Rien. Netanyahou peut continuer sa stratégie de colonisation sans que personne ne trouve rien à redire. Il est parfois même encouragé. Le transfert, en 2017, de l’ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv vers Jérusalem est une provocation alors même que des affrontements entre gazouis et Israël ont provoqué la mort de 300 civils.
L’Europe non plus n’est pas tout blanche. Relativement impuissante dans la région, elle regarde passer les trains. Au nom de principes humanitaires, elle aide la bande Gaza pour ses hôpitaux et autres infrastructures et a la naïveté de croire – ou le cynisme – de faire croire que pas 1 €uro n’est détourné au profit du Hamas.
Enfin, les pays arabes ont une attitude pour le moins ambigüe. Bien sûr, ils soutiennent la cause palestinienne et certains franchissent même la ligne rouge comme le Qatar qui héberge les dirigeants du Hamas et finance l’organisation. Mais, dans la réalité, ils abandonnent pour la plupart les Palestiniens.
Initiés par Donald Trump, les accords d’Abraham signés entre Israël et plusieurs pays arabes – les Emirats arabes Unis, Bahrein, le Maroc (l’Arabie saoudite était en négociation le 7 octobre) -consolident la sécurité d’Israël puisque ce sont des accords de paix entre l’Etat Hébreu et les pays considérés. Pour cette raison, ils ont été mis au crédit de Trump. Pour les Etats-Unis, ces accords sont une sorte de solde de tout compte. La sécurité d'Israël est assurée. Ils ont fait le job, fin de l'histoire.
Certes mais les Palestiniens, l’autonomie palestinienne, l’Etat Palestinien ? Les pays arabes les passent aussi à la trappe. Ces accords ne disent rien de la question palestinienne.
L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas est hors-jeux, discréditée.
Après plusieurs chefs d’Etats et de gouvernement, Emmanuel Macron s’est rendu en Israël mais pas seulement, contrairement aux autres. Il est allé aussi en Cisjordanie, en Jordanie et en Egypte. A tous, il a répété la position de la France : droit d’Israël à se défendre – conformément aux règles de la guerre – libération des otages et surtout que la solution est la création d’un Etat palestinien avec garanties de sécurité pour Israël. C’était audacieux face à des dirigeants pris au piège de la guerre mais le Président a l'habitude d’avoir un coup d’avance dans les dossiers diplomatiques.
Sa proposition d’élargir la coalition internationale contre l’Etat islamique au Hamas a été mal comprise et rejetée. Et pourtant, elle avait un sens stratégique essentiel : dissocier le Hamas du peuple palestinien. L’organisation terroriste ne représente pas le peuple palestinien et l’éradiquer est un préalable à tout le reste.
La création d’un Etat palestinien est en effet le vrai enjeu d’avenir.
Du pire, peut-il sortir le meilleur ? Le meilleur serait une prise de conscience collective de tous ces errements. Le meilleur serait que l’Etat Hébreu comprenne qu’il n’y a pas d’issue à refuser la coexistence avec un peuple qui – historiquement – a autant de droit que lui à être présent sur ce territoire.
Le meilleur serait que la communauté internationale se mobilise pour pousser vers cette sortie par le haut.
Sinon, ce sera le pire : une répétition à l’infini de 7 octobre avec à la clé un vrai risque de survie pour Israël.