Carminho a bien grandi. La très jeune fille, dans le sourire laissait apparaître un appareil dentaire dans la superbe scène finale de Fados de Carlos Saura, est devenue une des valeurs sûres de la nouvelle génération des fadistas, qui portent le nouveau souffle de ce chant à la fois populaire et aristocratique, accompagnés par une phalange de jeunes instrumentistes virtuoses (formidable Luis Guerreiro à la guitare portugaise).
Pour sa première apparition à Paris, le Théâtre de la Ville plein à craquer a fait un triomphe à Carminho mercredi 5 juin, à l’occasion du lancement de Chantiers d’Europe Lisbonne-Paris, 4ème édition, en présence d’Antonio Costa, le maire socialiste de Lisbonne, une des très rares personnalités à échapper au discrédit généralisée de la classe politique portugaise.

Jusqu’au 29 juin, où le parc Montsouris ouvrira ses pelouses à la Fête de la Lusophonie, la jeune culture portugaise se manifeste à Paris, au Théâtre de la Ville et dans treize lieux associés. Démontrant qu’elle fait mieux que résister aux coupes claires que la très grave crise que traverse le pays impose aux budgets publics. Toutes les facettes de la création artistique, théâtre, cinéma, arts plastiques, photo, vidéo, littérature, poésie.
Loin d’être cette capitale un peu provinciale assoupie à l’extrême-Occident d’un continent à la dérive, Lisbonne connaît, comme le chant venu de ses bouges et de ses palais, une renaissance, classée ville la plus «cool» d’Europe l’an dernier. Malgré ou grâce à la crise et les réformes qu’elle impose (le déblocage des loyers), elle commence à reconquérir un patrimoine architectural très dégradé, en évitant les dérives spéculatives qui l’ont tellement abimée après la révolution de 1974. Délaissant le fastueux bâtiment de la «Baixa» pombaline, Antonio Costa a d’ailleurs installé son propre bureau place de l’Intendant, dans la Mouraria, ce quartier interlope où bat aussi le cœur du fado, comme dans l’Alfama «mal afamada» voisine. Deux lieux célébrés par Carminho mercredi soir et qui se débarrassent d’une nostalgie un peu trop complaisante.
L’âme portugaise, ce n’est pas seulement la «saudade» et les poètes sont légions au pays de Fernando Pessoa. Longtemps, Lisbonne n’a regardé que vers Paris, où ses peintres et ses poètes choisissaient l’exil, volontaire mais plus souvent contraint. Maintenant, elle regarde vers le monde. Et Paris ?