Comme le trou de la sécu, qui prend ces temps-ci des dimensions de fosse des Mariannes (sans mauvais jeu de mots), revoici un grand classique du mal français: l'hémorragie financière de l'activité transport de marchandises de la SNCF !
Le fret SNCF aura encore perdu 600 millions d'euros cette année. Et avant de crier «c'est la faute à la crise», rappelons nous que cette coquette somme viendra s'additionner aux quelques «3 à 4 milliards d'euros» (pourquoi cette imprécision?) consommés par cette branche en cinq ans selon son responsable Pierre Blayau, qui s'était illustré notamment chez Moulinex.
Après deux plans de «redressement» approuvés par la Commission européenne en échange de promesses de rétablissement financier évidemment non tenues, il n'est pas question d'un nième renflouement par l'Etat actionnaire, que même le complaisant José Manuel Durao Barroso, réélu avec l'appui de Paris à la tête de l'exécutif européen, aurait du mal à avaler. On a donc trouvé une astuce: le «plan fret» national, présenté par le ministre de l'Environnement Jean-Louis Borloo, au nom d'une lutte contre le réchauffement climatique qui a décidément le dos de plus en plus large. Sur ces sept milliards d'euros investis dans des infrastructures ferroviaires au bilan carbone d'ailleurs incertain, la SNCF va contribuer pour un milliard et s'engage à remettre, juré craché, le fret à l'équilibre...en 2013. A écouter M. Blayau, c'est bien l'entreprise nationale qui a soufflé l'idée du «plan fret» au ministre d'Etat. Etonnant non ?
La SNCF, comme chacun sait, fait désormais des «bénéfices» et peut investir. Certes, l'Etat a effacé sa dette vertigineuse, il lui apporte sa garantie pour son financement (un avantage qui n'est pas mince comme l'a découvert l'an dernier le secteur bancaire) et les collectivités locales mettent également la main à la poche. Mais enfin, ne chipotons pas, si le fret SNCF, s'enfonce dans le rouge, chroniquement, massivement, désespérément, la maison-mère est (ou était ?) revenue dans le noir. Ou le vert. Au choix.
La maladie du fret SNCF n'a rien de mystérieux : la fuite des clients et le maintien de structures de coût de plus en plus décalées par rapport au niveau d'activité.
D'abord, il faut reconnaître que les personnels du fret ont travaillé assidûment à scier la branche sur laquelle ils sont assis, de plus en plus inconfortablement d'ailleurs. Le grand moment restera les grèves de décembre 1995, quand la lutte pour la défense des régimes spéciaux de retraite a coûté sa carrière politique nationale à Alain Juppé et ce qui lui restait de réputation auprès de ses clients industriels à la SNCF. Nombreux sont ceux qui ont appris à se passer du secteur public ferroviaire et ne sont jamais revenus.
Il y a ensuite, c'est vrai, le fait que les Européens, et les Français notamment, ont privilégié la route par rapport au rail, contrairement aux Américains. Dans l'affrontement des corporatismes pour la sollicitude de l'Etat, le cheminot a trouvé son maître.
Il y a enfin la concurrence, cette abomination venue de Bruxelles, qui a ouvert aux concurrents de la SNCF l'usage des voies ferrées «nationales», ce qui fait que les grands groupes industriels transportant des produits pondéreux affrètent désormais leurs propres convois. Mais il existe pourtant des situations où la SNCF aime bien la concurrence: le TGV, Eurostar ou Thalys, a tué l'avion sur Paris-Bruxelles et l'a réduit à la portion congrue sur Paris-Londres et bien d'autres destinations en France même.
En réalité, la logistique est une industrie qui a accompli au cours des vingt dernières années une véritable révolution silencieuse, sous l'effet principalement des nouvelles pratiques industrielles ou commerciales (flux tendu et autres évolutions majeures) et des évolutions technologiques. A proprement parler, elle est devenue une industrie à part entière. La SNCF, elle, a regardé passer le train.
Publié initialement sur Orange.fr le 24 septembre 2009