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Billet de blog 8 septembre 2009

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Bulles financières : Trichet a viré sa cuti

Publié initialement sur Orange.fr le 1er septembre 2009Ecrivons-le avec plus de respect et moins de brutalité que l'expression populaire bien connue: les gens intelligents savent changer d'avis, même s'il faut que la mise en cause de leurs convictions passées prenne la forme de la crise financière la plus massive et la plus globale depuis la Grande Dépression des années Trente.

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Publié initialement sur Orange.fr le 1er septembre 2009
Ecrivons-le avec plus de respect et moins de brutalité que l'expression populaire bien connue: les gens intelligents savent changer d'avis, même s'il faut que la mise en cause de leurs convictions passées prenne la forme de la crise financière la plus massive et la plus globale depuis la Grande Dépression des années Trente.

Lors du séminaire de Jackson Hole, ce camp d'été où les banquiers centraux de la planète tombent la cravate chaque année à l'invitation de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, Jean-Claude Trichet a considérablement modifié sa position sur l'attitude que devraient observer les banques centrales face à la formation de bulles spéculatives sur les différentes classes d'actifs, en particulier les actions ou l'immobilier.

C'est à Jackson Hole, en 2005, qu'Alan Greenspan, le souffleur de bulles qui gouverna la Fed pendant 18 ans, avait, dans un discours-testament, réaffirmé le dogme qui faisait l'unanimité chez les banquiers centraux: leur travail n'est pas d'identifier les flambées spéculatives pour les éteindre avant qu'elles ne deviennent incontrôlables, une mission au demeurant impossible, mais de réparer les dégâts une fois que la bulle a explosé, en mettant en œuvre une politique monétaire agressive.

Interrogé par Médiapart le 30 mai 2008, à l'occasion du 10 ème anniversaire de la Banque centrale européenne, Trichet, tout en saluant un débat universitaire «passionnant», s'en tenait fermement au «consensus entre les banques centrales» : «Nous considérons que nous devons nous en tenir à notre objectif de moyen terme de stabilité des prix à la consommation». Autrement dit, pas question de «marcher contre le vent», l'expression en vigueur chez les économistes pour qualifier l'intervention des banques centrales pour prévenir le développement de bulles spéculatives.

Aujourd'hui, le discours du président de la BCE est sensiblement différent. Tout d'abord, contrairement à ce qu'affirmait Greenspan, «il n'était clairement pas impossible d'identifier (bien que sans précision) l'émergence de déséquilibres financiers et de distorsions dans la valorisation des risques) - et de ce fait aussi dans l'évaluation des actifs - au cours des années qui ont précédé cette crise». Les risques et les incertitudes liées à l'imprécision des indicateurs sont le lot commun de tous les acteurs publics.

En second lieu, contrairement encore à ce que prétendait Greenspan, l'arme des taux d'intérêts, instrument privilégié d'intervention des banques centrales, n'est pas inadaptée pour traiter ces déséquilibres. «Dans la mesure où des changements de taux directeurs brisent le comportement moutonnier du secteur privé ou manifestent les intentions de la banque centrale (...), même une légère modification de ces taux peut avoir un impact significatif sur les développements concernant les prix des actifs», a expliqué Trichet à Jackson Hole.

Quant à l'alternative promue par Greenspan, laisser la bulle aller à son terme «naturel» et inonder ensuite la machine économique d'argent facile, «l'expérience récente a clairement démontré les limites d'une telle stratégie», estime aujourd'hui le président de la BCE, dans ce qui restera sans doute comme l'euphémisme de l'année, sinon de la décennie. «Une action politique sans précédent n'a pas pu empêcher une chute brutale de l'activité économique dans le contexte de la crise financière», constate-t-il.

Bien plus, poursuit le président de la BCE, «une stratégie de marche contre le vent pourrait réduire l'aléa de moralité: en agissant de manière plus symétrique, la banque centrale peut encourager un comportement plus responsable de la part des investisseurs et rendre une crise moins probable».

Bref, que des avantages, pour des risques réels mais limités. On ne peut s'empêcher de regretter qu'au lieu de se laisser aller à ce qu'il appelle lui-même «l'admiration mutuelle entre banques centrales», le président de la BCE n'ait pas décidé de «marcher contre le vent» quand il en était encore temps, alors même que la littérature abondante qu'il cite à l'appui de sa démonstration était pour partie disponible de longue date. Pour cela, il aurait fallu appeler un chat et Greenspan un faisan.