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Billet de blog 23 juillet 2022

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INDEPENDANCE DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC : LA REDEVANCE, UNE LIGNE MAGINOT

La redevance est une fausse garantie de l'indépendance de l'audiovisuel. L'Histoire de la télévision le démontre. C'est aussi un anachronisme par rapport à l'environnement économique des médias.

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L'indépendance de l'audio-visuel public est un vrai sujet et un enjeu démocratique majeur, surtout quand on voit la dérive des médias privés tous ou presque passés sous la coupe de grands industriels. Arnault, Pinault, Dassault, Bolloré contrôlent les plus grands médias écrits et audiovisuels et quand on voit ce que M Bolloré a fait de Canal et d'Europe 1, il y a de quoi s'inquiéter. La privatisation - que certains défendent - serait un remède pire que le mal. France 2 deviendrait un grand Cnews.

Mais il ne faut pas se tromper de combat et ne pas s'attacher à de faux symboles. La redevance - dont la suppression vient d'être votée à l'Assemblée - est une ligne Maginot. Elle ne préserve aucunement l'indépendance. L'Histoire de l'audiovisuel public le prouve.

La redevance a été créée dans les années 30 pour financer la radio. Elle a été étendue à la télévision dans les années 50 et 60. Pour quelle indépendance ?
En ce temps-là, sous le Général de Gaulle, le sommaire et les sujets du journal télévisé étaient décidés chaque jour dans le bureau du ministre de l'information. 
En ce temps-là, Alain Peyreffite, ministre de l'information, s'invitait sur le plateau du 20h pour détailler la nouvelle formule.. du Journal télévisé et expliquer à Léon Zitrone comment il devrait se comporter. (C'est une séquence culte des archives de l'INA)
En ce temps-là, en 1968, tous les journalistes de l'ORTF ont été virés pour avoir fait grève en mai pour revendiquer leur indépendance.
En ce temps-là, Georges Pompidou décrétait que "la Télévision est la voix de la France et les journalistes qui y travaillent ne sont pas des journalistes comme les autres".
En ce temps-là Valery Giscard d'Estaing nommait directement les directeurs de l'information et les rédacteurs en chef.
En ce temps-là, François Mitterrand reprenait cette bonne méthode et, pour complaire à son allié PCF, intégrait des journalistes tout droit venus de l'Humanité., etc..

Et pendant tout ce temps, la Télévision était financée par la redevance. En réalité, l'audiovisuel public a commencé à acquérir son indépendance avec l'éclatement du monopole, l'apparition de chaînes privées et la création d'instances de régulation, ancêtres de l'actuel Arcom. Même si l'indépendance de ces structures était elle-même relative (Michèle Cotta, qui a dirigé l'une d'elle, a raconté par le menu ses désillusions), elles ont permis de couper le cordon ombilical.

L'autre problème de la redevance est son statut lui-même. Son assujettissement est lié à la possession d'un écran de télévision. C'était logique au départ puisque le seul moyen de regarder la et ensuite les chaînes nécessairement publiques (monopole oblige) était la possession du "poste". Mais aujourd'hui, l'écran de télévision est un canal ouvert aux chaines à péage, de type canal+, aux plateformes de type Netflix et autres, et évidemment à toutes les chaines du monde accessibles par la TNT ou les box.
A l'inverse, on peut se passer du "poste" pour regarder les chaînes publiques grâce aux ordinateurs et mêmes aux smartphones. Dans les jeunes générations, la pratique du no poste se répand. Et c'est autant de recettes en moins pour l'audiovisuel public.

La redevance est d'autant plus une ligne Maginot que l'Etat peut décider de la baisser et/ou de ne pas compenser les exonérations, comme cela se fait en Angleterre où des menaces réelles pèsent sur la BBC.

Il ne faut donc pas se tromper de combat, ne pas s'accrocher à cette fausse icone. Il y a un vrai travail de réflexion à faire pour garantir cette indépendance, en termes de statut, d'autorité de régulation et évidemment de moyens pérennes. Le débat parlementaire - où les postures politiciennes l'ont emporté sur le travail de fond - est passé à coté du sujet.  

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