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Billet de blog 10 janvier 2014

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Dieudonné, le don au diable

Dieudonné : en théorie, on donnerait au détenteur d’un nom pareil le bon Dieu sans confession. En effet, comment a priori suspecter Dieudonné d’antisémitisme foncier quand on sait que l’humoriste a partagé les planches de 1990 à 1997 avec Elie Semoun, juif de son état (et son ami d’enfance) ?

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Dieudonné : en théorie, on donnerait au détenteur d’un nom pareil le bon Dieu sans confession. En effet, comment a priori suspecter Dieudonné d’antisémitisme foncier quand on sait que l’humoriste a partagé les planches de 1990 à 1997 avec Elie Semoun, juif de son état (et son ami d’enfance) ?

Seulement voilà, sa fréquentation de gens tels que le négationniste français Robert Faurisson pose question. En effet, ce personnage, réputé antisémite et proche de l’extrême droite, a été condamné à plusieurs reprises par la justice pour incitation à la haine raciale et contestation de crimes contre l’humanité, or c’est lui que Dieudonné invite sur scène à la fin de l’année 2008, en demandant à la salle de l’applaudir. L’humoriste lui décerne même ce soir-là le prix de « l’infréquentabilité et de l’insolence ». Un trophée sera d’ailleurs remis à l’heureux récipiendaire sous la forme d’un chandelier (où sont fichées des pommes) par un technicien vêtu d’un pyjama à carreaux et arborant à la poitrine une étoile jaune avec inscrit dessus le mot juif.

Faut-il voir là de l’humour noir, une version passablement noire de la part du fils d’une Française et d’un Camerounais, ou l’aboutissement d’une longue de dérapages assumés vers « la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse », ce qui vaudra à Dieudonné d’être condamné plusieurs fois par la justice française à partir de 2004 ?  Dieudonné lance parfois sur les ondes des tirades teintées d’antisémitisme, comme sur la radio Méditerranée FM, en 2005, où il accuse les juifs de traite négrière, ce qui est historiquement faux, comme le démontreront les historiens. Ces propos vaudront d’ailleurs à son auteur une condamnation en justice. Il y a encore son rapprochement avec le polémiste Alain Soral à partir de 2004. Associés, les deux hommes se rapprocheront du Front National et créeront même une liste antisioniste lors des élections européennes en 2009.  Dieudonné fait-il encore rire ? Ce qui vaut au MRAP de déclarer le 24 mars 2009  (dans un communiqué intitulé : « Dieudonné ne fait plus rire ») :« Au nom de la provocation, Dieudonné recycle les pires thèmes de l’extrême droite et offre une tribune inespérée aux falsificateurs de l’histoire. La condamnation de la politique israélienne, la lutte contre les discriminations dont sont victimes notamment les habitants des quartiers populaires, sont instrumentalisées pour déboucher sur une condamnation d’un “système sioniste”, fourre-tout démagogique et non-sens politique incluant tous les partis politiques, les médias, etc. Ces théories rappellent trop celles des conspirationnistes et des antisémites de toujours pour que tous les démocrates et les anti-racistes ne s’en inquiètent pas. »

Pour mémoire, rappelons tout de même que Dieudonné fait baptiser en juillet 2008 sa fille par un prêtre intégriste en la présence de Jean-Marie Le Pen, présenté comme le parrain de l’enfant. Quand il apprend cela, Elie Sémoun déclare d’ailleurs qu’il coupe définitivement les ponts avec son ancien partenaire de scène. Dieudonné aura beau jeu de présenter ce parrainage comme un coup de pub pour son dernier spectacle, il y a un moment où la provocation a force de sens.  

Plus récemment, après l’assassinat de Clément Méric (jeune militant d’extrême gauche), le 5 juin 2013, par des membres d’un groupe nationaliste révolutionnaire dirigé par un dénommé Serge Ayoub, Dieudonné invite le fondateur de ce groupe (qui est alors dissous) et s’entretient avec lui dans une vidéo qui fera scandale. 

Et pour finir, cerise sur le gâteau si j’ose dire et ultime glissement, la « quenelle », sorte de salut nazi inversé. Ce geste serait apparu pour la première fois en 2005 dans un sketch. Dieudonné explique ainsi le sens du mot quenelle : « L’idée de glisser ma petite quenelle dans le fond du fion du sionisme est un projet qui me reste très cher. » Et pour ceux qui auraient encore des doutes quant au sens du geste, laissons la parole à son créateur :  « Glisser une petite quenelle, c’est une sorte de bras d’honneur au système avec une dimension, heu … dans le cul, quoi ; carotte dans le cul. [...] »

Alors, Dieudonné, blanc comme neige ? Ce qui est clair, c’est qu’il se sert de la scène comme d’une tribune depuis laquelle il défend plus ou moins ouvertement un certain nombre de thèses à caractère politique ou raciste qui sont loin, bien loin d’un  spectacle d’humour tel qu’on peut le concevoir. Pour Dieudonné, le spectacle fait diversion, c’est le voile qui lui permet de se dérober tout en se révélant, ce voile dont il joue, dont il jouit indéfiniment, dans une éternelle danse des sept voiles, une danse sans fin, car il n’y a rien à révéler dessous : sous le voile, le néant. Sous le voile, la haine de l’autre, le « show ananas » pour la Shoah.

Il est à craindre qu’une bonne partie des spectateurs et supporters de Dieudonné ne soient pas dupes du double langage de leur idole, de son humour noir à double fond, et qu’ils soient partie prenante, qu’ils adhèrent au message, et que, au fond, sous couvert de divertissement, ils expriment tout bas ce que l’humoriste profère tout haut, sous couvert d’humour, l’humour comme alibi royal. Dieudonné, c’est du pain bénit.

La démocratie est garante de la liberté d’expression, pour autant, des limites doivent être posées à cette même liberté d’expression dès lors que ce qui est exprimé menace plus ou moins directement l’espace même de la liberté. Ce qui peut être perçu comme une contradiction, voire un paradoxe par certains. Mais la liberté n’autorise pas tout, sinon, elle aurait tôt fait d’introduire le cheval de Troie susceptible de la mettre à bas. Être libre ne signifie pas être libre de faire tout et n’importe quoi. La liberté implique aussi des devoirs et une notion de responsabilité (cf. De la liberté et de la responsabilité : http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-caumont/110813/de-la-liberte-et-de-la-responsabilite ). Sous couvert de spectacle humoristique, Dieudonné jouit sans vergogne de cette liberté d’expression garantie par la démocratie et l’instrumentalise à des fins de propagande idéologique plus ou moins haineuse. Et ce faisant, le citoyen Dieudonné manque à tous ses devoirs en tant qu’enfant de la France, patrie des droits de l’Homme, et en tant que personnage public, avec cette visibilité, cette surface médiatique que lui offre la scène. Ses devoirs, Dieudonné les transgresse allègrement, il les viole dans la volupté de ses saillies à répétition, ce qui est condamnable. D’autant que Dieudonné pourrait constituer un dangereux modèle. Il a déjà ses épigones, ses adeptes, voire ses idolâtres. C’est ainsi que la fameuse « quenelle » a déjà fait des « petits », à l’exemple d’Anelka singeant le geste lors d’un match de foot en Angleterre, en signe de soutien à son ami Dieudonné. 

Alors, ce talent pour l’humour, Dieudonné n’en a-t-il pas fait don au diable in fine ?  

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