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Billet de blog 19 mars 2023

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Réforme des retraites : l'Erostrate de l'Elysée

Il n'aura pas fallu longtemps à Macron pour renier, une fois de plus, sa parole : lui qui se disait décidé à aller au vote pour faire passer sa réforme, se résout finalement à dégainer, pour la onzième fois depuis le début du quinquennat, l'article 49-3. Un record en si peu de temps !

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Disons d'abord que les troubles qui agitent le pays depuis le début du débat parlementaire, Macron les a bien cherchés : dès le début de son premier mandat, il a refusé - et continue de refuser - le dialogue avec les syndicats et fait passer par ordonnances ses réformes du code du travail. Il a convoqué une convention citoyenne sur le climat pour ne tenir aucun compte de ses préconisations. Après les syndicats, il cherche à museler les associations de défense de l'environnement en faisant adopter des lois criminalisantes de leurs actions et menaçantes pour leurs subventions  et même pour leur existence (loi séparatisme). A cela s'ajoute un mépris profond pour le monde du travail qu'il ne cherche pas à cacher. Il n'a tiré aucune leçon de la révolte des Gilets Jaunes, auxquels il a été finalement obligé de faire des concessions. Lui, le Président qui a supprimé l'ISF et instauré la "flat tax" au profit des plus riches, n'a pas compris qu'une réforme n'est acceptable que dans un esprit de justice sociale. Il n'a pas compris que le report de l'âge légal n'a aucun sens dans un contexte où les seniors sont écartés du monde du travail par les entreprises elles-mêmes. Cela fait beaucoup d'expériences dont il n'a pas tiré les leçons, beaucoup de choses qui dépassent son entendement. On peut avoir fait l'ENA et être un parfait imbécile !

La méthode Coué n'a pas suffi : Elisabeth Borne, qui, il y a seulement quelques jours, se disait certaine d'avoir une majorité, se voit contrainte sur décision du Président de recourir à l'article 49-3, en contradiction avec la majorité de français qui se disent hostiles à la réforme des retraites. Si le processus normal de vote par le parlement avait donné une majorité à la réforme, les syndicats n'auraient pu qu'acter la décision. Mais l'usage du 49-3 illégitime l'action du Gouvernement et légitime l'action de la rue. Dans le cas non souhaitable où éclateraient des violences qu'aucun acteur politique ou syndical ne pourrait contrôler, on peut faire confiance à Macron : lui, l'Erostrate présidentiel qui a allumé la mêche, s'en servirait paradoxalement pour déligitimer l'opposition à la réforme et tenter de retourner l'opinion ! Pour servir son obsession d'une réforme à tout prix, l'exécutif a pris le risque irresponsable d'une crise majeure de la démocratie dans notre pays. 

On chercherait vainement dans  quel autre pays démocratique une telle disposition constitutionnelle permettrait de court-circuiter le parlement et d'imposer une loi contre l'avis de la majorité des citoyens. Quel que puissent être les raisons - véridiques ou mensongères - de la réforme en cause, le 49-3, ainsi que l'usage excessif qui en est fait, est une des nombreuses verrues malsaines de notre démocratie prétendue représentative. Parce qu'il mise avant tout sur le carriérisme de députés qui ont peur de perdre leur siège à la suite du vote d'une motion de censure. Parce que sa mise en oeuvre pour faire passer une réforme rejetée par le plus grand nombre ne peut provoquer que frustration et colère, avec toutes les tensions et conflits qui en résultent. Les pyromanes qui ont décidé ce recours à l'article 49-3 sont incapables d'en maîtriser les conséquences, comme l'a montré il y a quelques années la révolte des gilets jaunes. 

Deux remparts se dressent encore contre l'adoption de cette réforme : le vote d'une motion de censure mettrait le Président devant un choix : soit désavouer sa première ministre et présenter au parlement un nouveau gouvernement,  soit la soutenir envers et contre tous en dissolvant l'assemblée nationale et en provoquant de nouvelles élections. Ce dernier choix, entaché d'un grand risque de voir une extrême droite dont il n'a cessé de favoriser la montée se renforcer encore, est bien dans la ligne d'irresponsabilité qui est la sienne.
Dans le cas où la réforme serait finalement adoptée, la dernière ligne de défense serait le recours à un référendum d'initiative partagée. Celui-ci est soumis à deux conditions : la première, qui serait déjà remplie,  est le soutien par au moins 185 députés avant la promulgation de la loi, ce qui aurait pour effet de geler la réforme pendant les neuf mois suivants, consacrés à la collecte des signatures d'électeurs. La seconde est l'approbation par un dizième du corps électoral, soit 4,7 millions de signatures. Si la majorité des français qui refuse la réforme est conséquente avec elle-même, ce deuxième objectif élevé n'est pas inatteignable. Après, la parole serait aux urnes. 

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