Le port du burkini sur les plages ou dans les piscines françaises fait débat.
D’un côté, les opposants farouches défendent une « certaine tradition française » ou une « loi non-écrite selon laquelle il faut respecter les us et coutumes de la France ».
On met également en avant le long combat des femmes en France pour la liberté et l’égalité. Dans ce cas, le burkini est perçu comme un affront à leur lutte et aux objectifs que ces femmes se sont fixés.
Enfin, la fameuse « laïcité à la française » est souvent citée pour dénoncer un vêtement par trop opposé à la volonté de « neutralité dans l’espace public ».
D’un autre côté, les partisans du port du burkini mettent en avant le caractère inoffensif d’un maillot de bain qui – en fin de compte – n’oblige personne à le porter.
On insiste aussi sur la même notion de liberté pour permettre à toutes les femmes – y compris à celles qui sont musulmanes et pratiquantes – à avoir accès aux plages et aux piscines.
Enfin, on remarque la stigmatisation faite à l’égard des femmes musulmanes dans une période où la communauté musulmane estime déjà être trop souvent pointée du doigt à tort.
Un gouvernement doit servir ses citoyens
Au-delà de toute position idéologique en ce qui concerne la laïcité ou la place de l’islam dans la société française, il me semble important de se poser la question du rôle qu’est supposé tenir le gouvernement dans notre vie.
En ce domaine, la vérité absolue n’existe pas et il existe une grande différence entre l’interventionnisme habituel de l’État tel qu’on le connaît le plus souvent en France et la place plus réduite et discrète de celui-ci aux État-Unis.
Il est sans doute rassurant de savoir que l’État est présent pour nous protéger et nous aider « quoi qu’il en coûte », mais il est également inquiétant de lui donner un rôle omniprésent dans notre quotidien.
En ce qui concerne le burkini, j’aurais tendance à dire qu’à priori je ne vois aucune raison pour que l’État intervienne et interdise le port de ce maillot. Le porte qui veut et il n’existe aucune raison de se sentir agressé par un maillot de bain, quand bien même il ne possède pas la taille et les contours auxquels la quasi-totalité des français sont habitués.

De plus, l’idée selon laquelle la religion « doit rester dans le cadre du privé » est d’une violence qui ne peut pas être acceptée comme politique de l’État. De fait, lorsqu’un concept interdit à certaines personnes de vivre comme elles l’entendent les raisons doivent être suffisamment graves pour justifier une telle répression. Le danger (la vitesse en voiture), la santé (le tabac) ou encore l’éducation (l’école obligatoire) sont quelques exemples.
Par principe, j’estime que plus le nombre des raisons est restreint, plus la liberté pour les individus est assurée. Il ne faut jamais oublier qu’en prenant chaque occasion pour demander à l’État d’intervenir dans notre quotidien, celui-ci finit toujours par intervenir dans des domaines auxquels on n’avait pas pensé, ni formulé de demandes particulières. L’État se fait rarement prier pour nous aider ou nous seconder, surtout s’il sait que par la suite, il restera ancré dans l’aspect privé de notre vie.
C’est pour cette raison que le principe selon lequel l’État est présent pour aider ses citoyens et non le contraire me semble important à garder à l’esprit. Je ne suis ni libertaire, ni anarchiste, mais j’apprécie tout de même un rôle très discret de l’État dans ma vie et je suis toujours réticent à demander à l’État d’intervenir, sauf dans les cas graves dont j’ai cité quelques exemples précédemment.
Les limites de la pratique religieuse
L’État français étant laïque, il n’a pas à se mêler des religions, ni à prendre position dans le domaine spirituel. À de rares exceptions près, l’État doit laisser les personnes croyantes pratiquer leur rite, quel qu’il soit et aussi longtemps qu’aucun danger ou nuisance important existe pour le public.
Une des exceptions concerne les personnes emprisonnées. Privée de leur liberté de mouvement, l’État doit s’assurer que les droits fondamentaux de ces personnes est respecté.
Dans le cas des personnes qui appartiennent à une religion ayant des règles alimentaires particulières – comme cela est le cas pour les musulmans et les juifs – l’État doit garantir à ces personnes que la nourriture qui leur est servie correspond à leur exigences.
Ainsi, dans ce cas précis, l’État doit savoir – même d’une façon minimale – les spécificités de la nourriture hallal (pour les musulmans) et kachère (pour les juifs).
Des situations peuvent se présenter pour lesquelles ces connaissances s’avéreraient indispensables : un fournisseur de nourriture hallal se propose de servir ses repas aux prisonniers musulmans et également aux prisonniers juifs. Les personnes de confession juives peuvent-elles consommer de la nourriture hallal ? Le fait est que la totalité des autorités rabbiniques ne permettent pas la consommation de la nourriture hallal (ici).
L’inverse pourrait se produire. Dans ce cas, il faudrait savoir si les personnes musulmanes peuvent manger des aliments kachers. La réalité est que la quasi-totalité des autorités musulmanes permettent la consommation de la nourriture kachère (ici, ici ou encore ici).
De nombreux autres cas pourraient se produire, mais il nous suffit de comprendre que dans notre cas, l’État doit posséder un minimum de connaissance du domaine des religions afin de pouvoir prendre les meilleures décisions.
Se baigner en respectant la sharia (la loi islamique)
Les autorités musulmanes sont claires sur ce sujet : les parties intimes d’une personne doivent être couvertes si celle-ci désire se baigner en public (ici) ; ceci concerne d’ailleurs les hommes comme les femmes.
Ainsi, pour la majorité des autorités musulmanes, un maillot de bain classique (une ou deux pièces) correspond entièrement au respect de la sharia, la loi musulmane. Nul besoin de se couvrir plus amplement le corps et une femme n’a donc aucune obligation islamique de porter un burkini. Il existe tout de même certains leaders spirituels qui estiment que le burkini doit être porté (ici).
Cependant, il est important de noter que selon la sharia, il est strictement interdit de se baigner dans un environnement (piscine, plage…) dans lequel les deux sexes sont mélangés (ici).
Certaines autorités musulmanes interdisent même aux femmes les piscines non-mixtes et réservées aux femmes (ici) car le plus souvent, on s’y déshabille à la vue des autres personnes présentes, ce qui est interdit selon la loi islamique.
Ainsi, une femme musulmane peut aller se baigner dans une piscine – vêtue d’un simple maillot de bain à une ou deux-pièces – à la condition que la piscine (ou la plage) ne soit pas mixte.
De plus, certaines autorités islamiques interdisent entièrement aux femmes la fréquentation de piscines, même si elles sont réservées qu’aux femmes.
Une position non-dogmatique pour l’État français
Devant cette situation, il me semble anormal qu’une municipalité déroge aux règlement municipaux afin d’autoriser le port du burkini dans les piscines de la ville. Comme nous l’avons indiqué, la plupart des autorités musulmanes n’exigent pas le port d’un tel maillot de bain.
De plus, les mêmes femmes qui formulent leur demande de pouvoir porter un burkini – au nom du respect pour l’islam – doivent savoir que les autorités musulmanes interdisent leur entrée dans les piscines mixtes. Dans ce cas, on comprend difficilement le bien-fondé de leur demande et la logique d’une municipalité qui y répond d’une façon positive.
Éventuellement, et pour montrer la bonne volonté des autorités de l’État, on peut envisager qu’une ville autorise le port du burkini dans les piscines non-mixtes ou aux heures réservées seulement aux femmes dans les piscines municipales. De la sorte, aucune femme musulmane croyante et pratiquante pourrait se sentir défavorisée : ni par les lois de l’État français, ni par les lois de la sharia.