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Billet de blog 2 février 2010

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une psychiatrie sans démocratie?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

UNE PSYCHIATRIE SANS DEMOCRATIE ?

Pierre-Yves Dennielou, psychiatre.

Le onze janvier dernier, une circulaire émanant conjointement du Ministère de l'Intérieur et du Ministère de la Santé s'adresse aux Préfets, leur rappelant qu'en vertu de l'article L3211.11 du Code de la Santé Publique, ils sont détenteurs de la décision d'autoriser les sorties d'essai des patients hospitalisés sous contrainte.

Jusqu'à présent, le Préfet s'appuyait sur le certificat médical, écrit et motivé, du psychiatre de l'établissement. Aujourd'hui, le raisonnement du praticien ne suffit plus. Le Préfet doit "apprécier les éventuelles conséquences en terme d'ordre et de sécurité publics" de sa décision.

A partir de quoi cette appréciation se fera-t-elle? A partir d"éléments précis et objectifs". En pratique, à partir des antécédents administratifs du patient. C'est ce que, brutalement, l'agent de la Préfecture chargé des dossiers d'H.O. m'a expliqué au téléphone : "jamais deux sans trois!"

Mon propos n'est pas de discuter ici l'inanité de cette application cavalière de l'induction ( en gros on peut déduire l'avenir du passé), mise en pièce par Hume au temps maintenant bien lointain des Lumières.

Je fais seulement remarquer que celui qui s'autorise l'induction pour refuser la sortie d'un patient ayant déjà troublé l'ordre ne peut défendre aux autres de réfléchir à l'avenir d'un pays ayant mis à sa tête une personne dangereuse.

Mon propos ici est de porter à la réflexion cette phrase, d'une résonnance plus générale.

Son acceptation ou son refus ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Un recours dirigé contre elle est donc irrecevable.

D'abord cela signifie que l'excès de pouvoir est potentiel. Et en effet, il est non seulement potentiel, mais réel. Depuis lundi, un de mes patients est hospitalisé sans raison médicale valable.

Ensuite cela signifie qu'un pouvoir serait sans contre-pouvoir. Un pouvoir souverain, suivi d'effets concrets, certes microphysique aujourd'hui ou vu de mon unique point. Mais combien de citoyens demain? Combien de citoyens déjà aujourd'hui, ici et là en France, retenus par ces décisions sans recours?

Et d'ailleurs, pourquoi sans recours? Au regard de la jurisprudence administrative actuelle? Qu'est-ce que c'est? Et la Loi?

La Loi, les lois, prévoient bien des recours, au plan national et au plan supranational.

Au plan national :

Procureur de la République, juge du Tribunal d'instance, président du tribunal de grande instance, maire de la commune (art L3222-3 du Code de la Santé Publique)

Commission départementale des Hospitalisations Psychiatriques (loi du 4 Mars 2002)

Contrôleur Général des lieux de privation de liberté (loi du 30 Octobre 2007)

Au plan supranational :

Cour Européenne des Droits de l'Homme

Article 13 . Droit à un recours effectif

Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente

Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant

une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise

par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

J'ai appris un métier que j'aime, au service d'un autrui souffrant. Je n'accepterai pas qu'on m'oblige à en faire une monstruosité servile d'un pouvoir délirant.

annexe : c'est moi qui surligne en jaune

Circulaire du 11 janvier 2010 : Modalités d’application de l’article 3211-11 du code de la santé publique. Hospitalisation d’office. Sorties d’essai.

jeudi 28 janvier 2010, par Ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, Ministère de la santé et des sports

Paris le 11 janvier 2010

Le Ministre de l’Intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales,
Le Ministre de la Santé et des sports

à

Monsieur le Préfet de Police,
Mesdames et Messieurs les Préfets

OBJET : Modalités d’application de l’article 3211-11 du code de la santé publique. Hospitalisation d’office. Sorties d’essai.

L’article L 3211-11 du CSP prévoit qu’afin de favoriser leur guérison, leur réadaptation ou leur réinsertion sociale, les personnes ayant fait l’objet d’une HO peuvent bénéficier d’aménagements de leurs conditions de traitement sous formes de sorties d’essai.

La présente circulaire précise les modalités de mise en œuvre de l’article L 3211-11 du CSP s’agissant de toutes les sorties d’essai dont peuvent faire l’objet les personnes placées sous le régime de l’HO.

1- L’ARTICLE L3211-11 DU CODE DE LA SANTE PUBLIQUE PERMET DES SORTIES D’ESSAI

Les sorties d’essai sont accordées dans le cas d’une HO par le représentant de l’Etat dans le département et à Paris par le Préfet de police sur proposition écrite et motivée d’un psychiatre de l’établissement.

La sortie d’essai, son renouvellement éventuel ou sa cessation sont décidées par vos soins.

La sortie d’essai doit comporter une surveillance médicale.

Au regard de la jurisprudence administrative actuelle la sortie d’essai constitue une mesure relevant du traitement hospitalisé. Son acceptation ou son refus ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Un recours dirigé contre elle est donc irrecevable (CE 17 novembre 1997 CHS d’Erstein).

2- LES CONSIDERATIONS QUI DOIVENT ETRE PRISES EN COMPTE POUR APPRECIER L’OPPORTUNITE D’OCTROYER UNE SORTIE D’ESSAI NE SONT PAS UNIQUEMENT D’ORDRE MEDICAL

L’appréciation de l’état de santé mentale de la personne revient au seul psychiatre. En revanche il vous appartient d’apprécier les éventuelles conséquences en termes d’ordre et de sécurité publics.

En cas de doute vous pourrez demander que l’avis émane du psychiatre assurant directement la prise en charge de la personne concernée si celui-ci n’est pas l’auteur de la proposition de sortie d’essai.

Il convient d’autre part que vous soyez à même d’évaluer au regard d’éléments précis et objectifs les conséquences éventuelles de la mesure.

Pour ce faire l’avis médical doit être dactylographié, clair et précis sur les motifs qui conduisent le psychiatre à proposer une sortie d’essai. Il convient en outre que cet avis soit accompagné d’éléments de nature à éclairer l’appréciation préfectorale sur les risques de troubles à l’ordre public et comporte des informations vous permettant de disposer d’une visions la plus globale possible.

Cet avis doit être accompagné :
d’indications claires sur l’organisation de la surveillance médicale précisées par le médecin
d’éléments objectifs relatant les circonstances de l’hospitalisation : date, antécédents d’HO, et notamment en UMD, précisées par le chef de l’établissement.
de l’éventuelle décision judicaire concluant à une irresponsabilité pénale précisée par le chef d’établissement ou à défaut obtenue directement par l’autorité par l’autorité publique.

En leur absence vous demanderez ces compléments d’information.

Il convient en outre que la date préconisée pour l’exécution de la sortie d’essai vous laisse un délai suffisant pour prendre votre décision. A cet égard un délai inférieur à 72 heures ne saurait être admis.

Par ailleurs si vous l’estimez nécessaire vous êtes fondés à recueillir toute information ou avis de la part des services de police ou de gendarmerie permettant d’étayer votre décision.

Telles sont les recommandations méthodologiques que nous vous invitions à mettre en œuvre afin de vous assurer de la compatibilité de la mesure de sortie d’essai avec les impératifs d’ordre et de sécurité publics.

  • Brice HORTEFEUX

  • Roselyne BACHELOT

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