Laura Ramos de Azevedo aura été l'une des dizaines de milliers de mères brésiliennes qui ont l'irrémédiable peine, depuis des décennies, d'avoir perdu leurs jeunes enfants, noirs le plus souvent, tués par les polices. L'histoire de Laura avait été découverte par Rafael Soares, l'un des reporters les plus en pointe, à Rio de Janeiro. En janvier 2019, le journaliste était à la porte d'un commissariat ... Laissons-le se remémorer ce matin-là, dans les colonnes du journal O Globo du 18/3/2023 :
« Je ne me reposerai pas tant que je n'aurai pas prouvé que mon fils n'était pas un criminel », telle est la première phrase que j'ai entendue de la bouche de Laura Ramos de Azevedo, en janvier 2019, à la porte du commissariat de Pavuna [favela au nord de Rio de Janeiro], le commissariat 39. J'étais là à la recherche d'un reportage à publier dans le journal ; elle se battait pour la Justice. Petite, mince, d'apparence fragile, elle essayait de convaincre les policiers d'entendre sa déposition sur la mort de son fils. Cette situation a attiré mon attention. Je me suis approché de Laura, je me suis présenté et j'ai voulu entendre son histoire.
Elle m'a dit que Lucas de Azevedo Albino, son fils unique, avait été tué par des policiers militaires, à l'âge de 18 ans, à l'entrée de la favela de Pedreira, où ils vivaient tous les deux. Le crime avait eu lieu deux semaines auparavant - et les officiers avaient accusé Lucas, un jeune homme noir, d'être un trafiquant de drogue et d'avoir tiré sur une voiture de patrouille. Laura a dit que c'était un mensonge : son fils n'était pas un voyou et elle pouvait le prouver car elle avait enquêté sur le crime elle-même.
« Même si c'est la dernière chose que je fais. Pour mon fils, cela vaut la peine de se battre. J'ai peu de temps, mais j'irai jusqu'au bout », a-t-elle dit. Je n'ai pas compris ce qu'elle voulait dire. Pourquoi était-elle si pressée ? La réponse m'a touché si profondément que j'ai passé les mois et les années suivantes à couvrir l'affaire, à recueillir des rapports et des preuves susceptibles de faire la lumière sur la mort de Lucas.
Elle avait un cancer, et la maladie était déjà à un stade avancé : elle avait commencé dans son poumon, mais avait déjà atteint ses os et son cerveau. « En 2014, on m'a diagnostiqué une tumeur au sein. C'est là que tout a com

mencé. J'ai suivi une chimiothérapie, j'ai dû subir une ablation des seins. En 2017, je pensais avoir vaincu le cancer, à tel point que je me suis fait tatouer la phrase "Je me suis battue, j'ai gagné" et un nœud rose sur l'épaule gauche. Mais cinq ans plus tard, j'ai été hospitalisée pour une embolie pulmonaire et j'ai découvert que la maladie était revenue », m'a-t-elle raconté.
À l'époque, elle prenait un cocktail de 25 médicaments différents. Quelques mois plus tôt, ses médecins lui avaient conseillé de prendre sa retraite - elle travaillait comme consultante en vente - et de profiter du temps qu'il lui restait à passer à la maison avec son fils. Mais après la mort de Lucas, se reposer n'était plus une option.
Dans la semaine qui a suivi le crime, Laura a parcouru les favelas à la recherche de témoins du crime et d'images provenant des caméras de surveillance. Elle a réussi à localiser des témoins et à les convaincre de témoigner de l'affaire devant le ministère public. Enfin, elle a trouvé une preuve qui allait être cruciale pour l'enquête : une photographie montrant son fils placé dans un véhicule de police par des agents et ne présentant pas de blessures à la tête. Lorsqu'il a été admis à l'hôpital Carlos Chagas, 30 minutes plus tard, l'enfant était déjà mort avec une balle dans la tête.
Grâce aux preuves recueillies par Laura, le parquet de Rio de Janeiro (MP-RJ) a dénoncé quatre policiers à la justice en juin 2021. L'enquête a conclu à la véracité des propos de la mère : Lucas a été placé dans le coffre arrière du véhicule alors qu'il était encore vivant et a ensuite été exécuté.
Laura a continué à témoigner devant le tribunal et - même entre les séances de chimiothérapie et les admissions à l'Institut national du cancer - elle a assisté à toutes les audiences de la procédure, soutenue par d'autres mères qui ont perdu leurs enfants à cause de la violence policière.
La force de continuer à se battre est venue de son amour pour son fils, qu'elle élevait seule depuis 2002, lorsque le père du garçon a été tué lors d'une tentative de braquage. Au cours des quatre dernières années, Laura a mentionné Lucas à chacune des centaines de fois où nous nous sommes parlé.
Laura n'a pas réussi à faire condamner les responsables de la mort de son fils. Le procès des policiers se poursuit.
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Nous republions notre post du 3 juillet 2021 :
Le 30 décembre 2018, vers sept heures, dans la région du quartier de Pavuna, à l'extrême nord de la ville de Rio de Janeiro, Lucas, 18 ans, passager arrière sur une moto-taxi, ne s'est pas arrêté lorsqu'un véhicule de police militaire lui a fait signe de le faire. Lucas, qui habitait dans une favela proche, était en route pour aller chercher sa copine. La famille de Lucas devait aller passer la journée à la plage de Mangaratiba.
La poursuite engagée par la voiture de la police militaire a été instantanée.
A sept heures dix, dans le quartier voisin de Costa Barros, touché par un tir de fusil à l'épaule, tombé de la moto, Lucas était au sol et y est resté jusqu'à l'arrivée de la voiture de police. La moto-taxi était déjà loin.
Un homme, qui a témoigné début janvier 2019, devant les procureurs du Groupe d'action spécialisée en sécurité publique (Gaesp) du parquet de Rio de Janeiro (MP-RJ), après avoir vu la scène du tir policier depuis un arrêt de bus sur la route de Botafogo, à près de dix mètres où Lucas est tombé au sol, a raconté la suite et dit que Lucas était conscient, et appelait désespérement sa mère.
« La voiture s'est arrêtée, en sont sortis deux policiers militaires - un chauve et un autre aux cheveux gris - et ils ont effectué des tirs de fusils, la moto est tombée devant le numéro 14, juste avant le dos d'âne (...) Lucas saignait, les policiers ont alors levé Lucas, l'un l'a pris par le bras et l'autre par le bermuda, pendant que Lucas continuait de crier, d'appeler sa mère et disait qu'il n'était pas un bandit, et les policiers l'ont mis dans le coffre de la voiture » (voir photo ci-dessous).

Selon le contenu de l'enquête (PDF ici) du parquet de Rio de Janeiro (MP-RJ), déposée le 24 juin 2021 à la justice, par le 2ª Bureau du procureur d'investigation pénale spécialisée ("2ª Promotoria de Justiça de Investigação Penal Especializada"), le 30 décembre de cette année-là, vers 7h15, dans la voiture de la police militaire (PMERJ), sur le trajet en direction de l'hôpital Carlos Chagas du quartier de Marechal Hermes, au nord de la ville de Rio de Janeiro, un des policiers, en accord avec les autres, a tiré une balle dans la tête de Lucas, qui était dans le coffre arrière ["caçamba"].
« Escadron de la mort »
Extraits : « Avec une volonté libre et consciente et une intention homicide sans équivoque, en communion avec les autres policiers militaires, [le policier] a tiré une deuxième fois sur la tête de Lucas, provoquant la fracture de tous les os de son crâne, la lacération de son cerveau et sa mort immédiate, comme décrit dans le rapport d'autopsie ».
Egalement : « Les démarches de l'enquête révèlent, à l'extrême du doute, qu'au deuxième instant, alors que le jeune homme était déjà aux mains de la garnison policière, les dénoncés, méchamment, se sont tous réunis, sous un pacte de silence odieux (...) ils ont pris la vie de Lucas Azevedo Albino d'une manière cruelle et lâche, agissant dans une typique activité d'escadron de la mort ["grupo de extermínio] »...
Le ministère public de Rio de Janeiro (MP-RJ) a donc, le 24 juin dernier, dénoncé les policiers militaires Sergio Lopes Sobrinho, Bruno Rego Pereira dos Santos, Wilson da Silva Ribeiro et Luiz Henrique Ribeiro Silva, tous du 41º bataillon (BPM) du quartier d'Irajá, situé au nord de la ville de Rio de Janeiro, pour le crime de double meurtre, dans l'action typique d'un escadron de la mort.
Toujours selon le parquet, pour donner une apparence de légalité à l'exécution, sous le prétexte de fournir une assistance, les quatre policiers militaires se sont dirigés vers l'hôpital - où ils sont arrivés à 7h32 - transportant le corps de Lucas.
« Dès lors que tous les prévenus, militaires en activité, avaient le devoir constitutionnel d'empêcher toute atteinte à l'intégrité corporelle de la victime, le comportement omissif de chacun d'eux par rapport au comportement de l'auteur du tir mortel a constitué, à lui seul, la condition sine qua non du résultat mortel ». Et de rajouter qu'« agissant par arrangement préalable, la participation de chacun des accusés à l'entreprise criminelle, même si elle est vérifiée de manière isolée, a entraîné une force morale coopérative par la certitude de la solidarité et l'espoir d'une assistance mutuelle, contribuant effectivement à la consommation de l'homicide ».
L'enquête du ministère public (MP-RJ) avait déterminé auparavant que ce sont les policiers militaires Sérgio Lopes Sobrinho et Bruno Rego Pereira qui avaient tiré au fusil en direction de Lucas lorsqu'il était passager de la moto-taxi.
L'enquête du MP-RJ s'oppose totalement à la version initiale donnée par les policiers militaires, qui avaient déclaré qu'ils avaient été attaqués par balles par Lucas et le conducteur de la moto-taxi, et qu'ils n'avaient fait que riposter.
En juillet 2021, les quatre policiers militaires sont écartés de toute patrouille ou activité dans la rue, mais sont toujours rémunérés par leur corporation. Ils sont désarmés, par décision de justice, depuis juillet 2019.
En 2020, les agents de la police civile (PCRJ) et de la police militaire (PMERJ) de l'Etat de Rio de Janeiro ont tué 1.239 personnes.
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Mère de Lucas Azevedo Albino, l'héroïque Laura Ramos de Azevedo, atteinte d'un cancer depuis 2014 et en état avancé depuis 2017, s'était confiée au quotidien O Globo le 28 juin 2021 :
" J'ai vécu pour pouvoir raconter. Je voulais honorer le nom de mon fils avant de mourir "
https://oglobo.globo.com/rio/epoca/vivi-para-contar-queria-honrar-nome-do-meu-filho-antes-de-ir-embora-25079800