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André Barrocal : Comment imaginez-vous un gouvernement Lula en 2023, en supposant que le bolsonarismo continue avec sa force actuelle avec le soutien d'un quart du pays ?
Vladimir Safatle : Bolsonaro livre ce qu'il promet. Et la gauche ne livre pas ce qu'elle promet. La gauche est experte à dire " j'aimerais faire cela, mais je n'ai pas tenté de le faire, pas même tenté ". La gauche n'a pas même tenté d'implanter un impôt sur les grandes fortunes à l'assemblée nationale, n'a pas tenté de discuter la réduction de la durée hebdomadaire de travail de 44 heures pour 40 heures. Et d'autres fois, elle dit " j'ai tenté mais cela n'a pas fonctionné, car je n'avais pas les forces ". Comme la gauche mondiale, la gauche brésilienne est dans une forme de trahison. La droite, elle, n'a pas de contradiction. Tandis que la gauche est dans une gestion permanente des contradictions ; ce qu'elle dit et ce qu'elle fait. Elle est en contradiction performative continue.
Vous avez dit que Bolsonaro avait compris que le Brésil était ingouvernable. Et vous avez ajouté que la gauche devrait reconnaître ce fait et proposer une forme alternative de fuir de cette impossibilité de gouverner. Quelle serait cette forme ?
La gauche actuelle n'a pas d'autre alternative qu'une société basée sur l'indifférence, sur l'actuel scénario. La gauche brésilienne, comme toute l'Amérique latine, à l'exception unique du Chili, n'a pas de modèle de politique économique, pas de dynamique économique structurée. Un système de production industrielle, par exemple, la gauche n'en a pas. La gauche brésilienne va tout faire, tout tenter, pour surtout ne rien dire. Car elle sait qu'elle n'a pas d'espace, pas de marge de manoeuvre, dans cette grande coalition qu'elle vient de construire, avec une partie de la droite et toutes les gauches. Et Lula est expert dans ce genre d'attitude. Il est bon, Lula, dans l'art de ne rien dire. Ou bien il affiche des positions purement symboliques. Il n'a jamais fait de réforme agraire, mais met sur sa tête la casquette des mouvements sans terre (MST). Politiquement, vous voyez bien quel est le jeu - de dupes - mené par Lula.
Instaurer un nouveau rapport de forces, comme au Chili, ce n'est pas possible de le faire au Brésil. Car la structure des directions de la gauche brésilienne n'a pas été créée pour cela. La gauche brésilienne n'a pas ce rapport de forces dans son horizon.
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Billet de blog 30 janv. 2022
Vladimir Safatle : « La gauche brésilienne ne sait pas quel est son rôle » (3/3)
Le philosophe, chercheur, professeur, pianiste et écrivain brésilien Vladimir Safatle a accordé un entretien depuis Paris en video à l'hebdo Carta Capital le 14/1. Retranscription, en trois temps, des passages représentatifs d'un implacable et sain réquisitoire adressé aux gauches et au choix d'un front commun sans projet et sans programme exigé par les dirigeants du parti des travailleurs (PT).