Hier, le 16 mai 2013, au cours de sa seconde conférence de presse semestrielle, le chef de l’état a abordé la question Européenne. Il a plaidé pour une initiative forte, appelé de ses vœux la formation d’un gouvernement économique de la zone Euro et pour une harmonisation fiscale et sociale. Faut-il s’en réjouir, ou comme St Thomas attendre les actes ?
Too short, too late…
Mais n'est-il pas déjà trop tard? La crise est en train d'essorer l'Europe, de la disloquer. Les économistes de tous poils, orthodoxes ou hétérodoxes sont désormais quasiment unanimes: l'économie Européenne souffre, entre autres choses, d'une sévère intoxication à la finance. Le constat est clair: il faut donc l'envoyer en "rehab". Pourtant, en dépit de cette évidence, rien ne semble devoir bouger, sinon en surface: de maigres vaguelettes zèbrent l'onde tranquille de l'économie financière, une pincée de dividendes en moins ici, d'infimes pourcentages de taxe Tobin là, de timides propositions visant à remettre un "glass-steagall act" au goût du jour, mais rien qui soit sérieusement de nature à changer durablement le système. Les paradis fiscaux continuent à se dorer au soleil, les inégalités sociales se font de plus en plus criantes, les plans d'austérité se succèdent avec les effets que l'on mesure aujourd'hui en Grèce, en Italie ou en Espagne, demain en France sans que cela ne provoque un salutaire sursaut des dirigeants Européens. Ces derniers, sommets après sommets, semblent accompagner la déflagration de la crise plutôt que de la précéder. Leurs décisions, à peines prises sont mort-nées. La situation devient critique...
Erreur congénitale
L’Europe reste pourtant une idée prodigieuse qui va résolument dans le sens du progrès, n’en déplaise à ses détracteurs. Mais voilà qu'elle n'intéresse plus les peuples. Pire, ils la rejettent et la honnissent: si des référendums étaient organisés dans les prochains mois, leur issue de ferait guère de doute: le non l'emporterait avec une écrasante majorité. En préférant l'élargissement hystérique à un approfondissement politique historique, l'Europe s'est privée du soutien de sa sève même: celle des peuples qui la composent. L'idéologie absurde de la "main invisible du marché" poison dont on ne mesure encore que très partiellement les dégâts, est en train de saper, doucement mais surement les fondamentaux même de notre modèle. En 2005, en votant non au projet de traité constitutionnel Européen les Français se sont pourtant prononcés clairement pour une réorientation politique de l'union. Mais, de ce fait politique majeur, nul enseignement n’a malheureusement été tiré. Pire, pratiquant un déni démocratique total, il a été procédé à une ratification du traité par voie parlementaire.
L'erreur vient en partie de là.
Le peuple n'a pas toujours raison, mais on ne peut avoir raison contre le peuple...
Il faut donc avoir le courage de tirer le bilan de cette Europe, de faire un point de situation raisonné et d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Commencer par envisager la plus sage des solutions: le détricotage des traités qui corsètent l'Union, la privant de marges de manoeuvres par gros temps: en particulier l'article 123 de Lisbonne: Il faut en effet redonner l'entière possibilité à la BCE de prêter aux états en difficulté au taux auxquels elles prête aux banques. Cela aurait l'immédiat avantage de "sécher" d'un coup d'un seul toute attaque spéculative.
Des nouvelles forces politiques, volontaristes doivent à tout prix reprendre le contrôle sur cette finance devenue folle, réorienter l'argent vers l'économie réelle, envisager sereinement une « démondialisation », ordonnée en s'appuyant notamment sur de nouvelles règles protectionnistes à l'échelon Européen, mais également envisager une croissance écologique durable etc... Ce ne sont pas les idées qui manquent, seulement le courage de les mettre en oeuvre. L'Europe a besoin d'un nouveau dessein, pas de croquis hésitants.
Notre pays, de par son histoire a un rôle majeur à jouer dans cette crise, qui n'est pas seulement financière ou économique, mais profondément de valeurs et de civilisation. En s'inscrivant résolument dans cette modernité naissante, celle des indignés qui désormais partout sur la planète expriment leur rejet de la finance folle et leur aspiration au progrès, en tournant le dos à une Europe qui a trop souvent promis et énormément déçu, elle se grandirait et montrerait l'exemple.
Il s'agit de retrouver le chemin d'une Europe des peuples, avec les peuples et pour les peuples et de ranimer l'esprit qui a accompagné les meilleures pages de notre histoire commune.
La tentation de l’empire.
Au lendemain de la crise Chypriote, cas d’école s’il en est, l'Europe pourrait effectivement se laisser tenter subrepticement par un durcissement de sa politique administrative. Le saut fédéral, souhaité par de nombreuses voix autant à gauche qu'à droite, en dépit des nombreux avantages qu’il promet, notamment en termes d’harmonisation sociale et fiscale, de mutualisation des dettes (eurobonds) représente également en germes des périls au moins aussi considérables. Ne nous y trompons pas, face au risque de chaos, la tentation de l’empire est omniprésente. En tous cas, on ne peut que constater que progressivement, tous les ingrédients propices à une accélération inédite de l'histoire entrent en scène: appauvrissement, croissance en berne, explosion des inégalités, du chômage, démonétisation des élites politiques absence d'horizon de progrès, d'espérance laïque, montée de la peur...
Le spectre des années trente.
Ce n'est pas la première fois que le parallèle avec les années 30 est fait. Mais force est de constater que non seulement le raisonnement tient désormais la route, mais les derniers développements tendent franchement à le renforcer. Cependant, gardons à l'esprit que même si parfois l'histoire bégaye, elle ne se répète jamais exactement dans les mêmes termes. Les mêmes causes dans les mêmes circonstances produiraient les mêmes effets... Encore faudrait-il que les causes comme les circonstances soient en tous points identiques. Je ne le crois pas. Tout d'abord, nous oublions un fait incontournable: le degré d'instruction de nos contemporains ainsi que la capacité que nous donnent les nouvelles technologies en matière d'information. Cela représente un antidote puissant à la tentation extrémiste massive et aux replis de toute sorte. D'autre part, même si parfois on a le sentiment que nos contemporains ont la mémoire courte, l'histoire récente est tout de même bien intégrée, et cela des bancs de l'école à ceux de l'université. Certes, il faut s'employer à en ranimer sans cesse la mémoire, particulièrement dans cette période mouvementée, mais le socle est là.
Je ne pense donc pas que le pire soit certain.
La saison des tempêtes
En revanche, il y a un parallèle tout à fait pertinent, c'est qu'à l' instar des années 30, nous entrons dans une nouvelle phase mouvementée de l'histoire, qui pour le coup, n'en déplaise à Francis Fukuyama s'est bel et bien remise en route. Cette "saison des tempêtes", impose sans doute de nouvelles figures, et des manières renouvelées en politique notamment, mais pas seulement. Fini le calme plat, la régate bon chic bon genre ou le pédalo ;-), ce serait plutôt "the river with no return", avec ses rapides et ses remous...
Raison de plus pour apprendre vite à nager dans le nouveau monde qui vient.
Face à cette situation, il est devenu courant de reléguer aux marges de la vie politique les partis qui, à la manière de siffleurs d'alerte, avancent des diagnostics par trop alarmants. En les taxant "d'extrémisme" sans nuance aucune, en les rejetant systématiquement à la marge de notre système de valeurs et de pensée, les commentateurs, qu’ils soient politiques ou médiatiques se fourvoient. Qui sont en effet les plus extrémistes, les partis "de marge" qui posent souvent un diagnostic pertinent, même s’ils s’égarent parfois au niveau de leurs propositions ou bien alors les instances Européennes elles-mêmes, en particulier la Troika qui allant en Europe de Charybe en Scylla, échouent lamentablement à juguler une crise dont les causes sont pourtant aujourd'hui parfaitement documentées et analysées. Cette obstination dans l'erreur est-elle la marque d'une capacité à comprendre et à apprendre, ou bien une singulière propension à un aveuglement idéologique de plus en plus troublant? Le cas de Chypre, parfaitement baroque, est caractéristique soit d'une faiblesse (à mon sens congénitale), une incapacité à décider pour le bien des peuples, ou bien encore une fois d'un aveuglement coupable. Devant un tel tableau, les peuples Européens qui n'ont jamais manifesté un enthousiasme débordant pour une construction Européenne pour le moins chaotique, se trouvent aujourd'hui à la croisée des chemins. Devant d'aussi considérables difficultés, faut-il emprunter la voie nord, celle d'une Europe fédérale, intégrée, probablement plus coercitive, voire plus autoritaire, avec le risque de voir un véritable empire se constituer (avec tout ce que cela suppose de difficultés pour le gérer également: l'histoire est riche d'exemples en la matière...) ou alors la voie sud, celle du repli identitaire, national, douillet, qui suppose une sortie de l'Euro dans le fantasme d'une époque d'or enfin retrouvée. Je considère pour ma part que cette Europe là serait celle d'une grande régression, prélude à des tumultes autrement plus graves.
Trouvera-t-on à temps une troisième voie? Rien n'est moins sûr.
Pinelli