Marielle Billy me pardonnera, j’en suis sûre, de poursuivre ailleurs et autrement le billet qu’elle a initié sur Raymond Queneau (cf : http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/marielle-billy/050609/quelqu-un-n-rien-dire-tu-ecoutes). Car ce sera pour moi une manière de rendre hommage à un autre de mes demi-dieux : Alexandre Vialatte. (Etant par nature verticalement laïque et républicaine, l’idée d’apparier ainsi les déités me semble de bon aloi.)
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Alexandre Vialatte, donc (1901-1971), aimait à se définir lui-même comme « un écrivain notoirement méconnu » et ajoutait parfois « sauf erreur, je ne me trompe jamais ». Il fut aussi le premier passeur et traducteur de Kafka – dont il fut pratiquement le seul à déceler la dimension comique. Il fit lui-même une tentative de suicide, connut l’internement psychiatrique et rédigea moult chroniques qui, pour de nombreux adeptes, le rendirent immortel. Citons enfin sa définition de l’homme : « Animal à chapeau mou qui attend l’autobus 27, au coin de la rue de la Glacière. » Pour le reste, et si besoin est, voyez Wikipedia.
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Outre les détails précités qui feraient déjà de lui un homme quasiment idéal et, en tout cas, un demi-dieu, Vialatte sut admirablement parler de Raymond Queneau. Voici donc quelques extraits ( issus d’un « texticule », aurait dit Queneau) de : Raymond Queneau ou le prince de l’avatar, article publié dans « Dernières nouvelles de l’Homme » édité chez Julliard (1978).
.(…) "Queneau, lui, dans cette aventure, transmute les mots en autres mots ; il les transforme l’un dans l’autre, il les déforme, il les réforme, il les reforme, il les conforme, il les découpe, en jette les morceaux comme des dés, et regarde ce qui en résulte. Il a quatre-vingt-dix façons de raconter que, sur une plate-forme d’autobus, un monsieur a besoin d’un bouton à l’échancrure d’un pardessus (…) Ses romans sont aussi des aventures du mot, des épopées comiques du verbe. L’homme s’y présente sous un aspect désespérant. Il est à l’homme de M. de Buffon ce que le mégot est au cigare (…)Tous les romans de Queneau sont faits de personnages miteux, parlant un français marmiteux, dans des banlieues calamiteuses. Le chômeur, l’argot, le terrain vague et la plate-forme d’autobus en fournissent toute la majesté.(…) car une vieille boîte à sardines, dans un terrain vague, à minuit, reste quand même un miroir de la Lune.
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(…)Tout ça sent intentionnellement le papier jauni avec des taches d’humidité, et la vieille affiche de théâtre mal éclairée par un bec de gaz. Les personnages sont des ombres livresques, des héros de roman échappés de manuscrits en cours de rédaction. On se les chipe, on se les emprunte, on les égare. Ils courent la ville, ils fréquentent les humains, ils n’ont pas de pièces d’état civil, la gendarmerie les arrête pour leur faire faire leur service militaire.
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Bref, Queneau s’est fort diverti. Il y a pris un plaisir extrême. Et nous aussi, comme autrefois, lorsque, à quinze ans, nous lisions en quelque grenier les collections dépareillées et poussièreuses des livres de nos grands-parents, danns l’odeur de résine des rayons de sapin. Mais où est passé Queneau ? Il s’est évanoui. Il est parti sur la pointe des pieds. Le magicien a quitté la scène, nous laissant seul avec ses accessoires. C’était une ombre échappée d’un livre. Si la gendarmerie le retrouve, elle lui fera refaire son service militaire (…)"
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Voilà. Grâce à Vialatte, j’ai pu m’épancher sur Queneau, tout doucettement, sans trop me pencher et presque sans y penser. Encore un détail : ils étaient tous deux – comme moi – fous de proverbes. Chez Vialatte, les proverbes étaient toujours des « proverbes bantous » et, pour moi, ils le sont restés. Un exemple ? Fastoche ! dirait Zazie : « Si tu ne digères pas la soutane, évite de manger le missionnaire. » C’est pas beau, ça ?
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Alors pour conclure, un seul mot d’ordre : lisons et relisons Queneau, lisons et relisons Vialatte !