L’exposition de Sophie Ristelhueber au Musée du jeu de Paume est terminée. J’y ai vécu comme une petite expérience de philosophie pratique qui correspond, je crois, à ce que Didi Huberman racontait l’autre vendredi à France Culture (voir billet précédent) à propos des images qui rendent fort
.
Il me faut raconter cette visite pour bien me faire comprendre.
C’était l’autre exposition, celle de Robert Franck, qui partageait l’affiche, qui m’avait attirée. C’est donc par hasard que mon amie chinoise et moi avons vu l’exposition de Sophie Ristelhueber qui occupait l’étage supérieur. Dés la première salle, j’étais un peu interloqué. Avec cette amie chinoise, nous avions déjà quelques difficultés à nous comprendre. Nous étions obligé de bien préciser, avec lenteur, nos échanges pour être certain que nous nous étions bien compris. Dans la première salle, à droite, trois grandes photos d’Irak après la guerre, trois photos d’une palmeraie brûlée, des troncs calcinés, décapités, à moitié couchés, une mare, comme un trou d’obus remplie de pluie. Je raconte cela, (dix jours après avoir vu l’expo). Un triptyque. Après un moment de silence - ces images imposent le silence - je demande à mon amie, si comme moi, elle voiyait un raccord entre deux photos : un des troncs mutilés se retrouve dans deux des trois photos. Nous ne savions rien l’un et l’autre de l’artiste… En regardant attentivement nous étions arrivé à la même conclusion.
Face au triptyque d’Irak, un autre montage de deux photos : une photo de famille, recadrée, ancienne, tirée en très grand à côté d’une photo documentaire froide, d’un lieu. La voix de Michel Piccoli sortait d’une petite salle de projection où deux amoureux s’embrassait. Nous n’avons pas voulu les déranger.
Dans la deuxième encore des montages de photos.
Et surtout un accrochage de photos du désert irakien, et cette même obligation de nous taire, d'abord. Un temps, pour comprendre la proposition, un jeu entre les photos, et les raccords voulus et indiqués par Sophie Ristelhueber. Nous sommes obligés à un véritable décryptage, une gymnastique mentale, et comme nous avons la langue qui nous sépare, nous discutons tous les deux assez longuement. Elle ne voit pas les mêmes choses. On finit par se mettre d’accord. Ce sont des photos du désert Irakien prise de différents points de vue et à différentes échelles. Pas un seul cadavre, mais un sentiment de violence extrême. Les réseaux de barbelés au sol, le réseau des tranchées vu d’avion ou d’hélicoptère, une même chose, les cicatrices de la guerre, avec l’obligation pour nous de tout regarder de tout comprendre, de retrouver avec ces traces silencieuses, l’intensité des combats, l’horreur et l’absurdité du conflit. Rien n’est donné, mais le travail de montage et les photographies nous obligent à tout reconstituer, c’est une vraie œuvre d’art, ce ne sont pas des images pré mâchées, des photographies du cirque Médiatique.
Nous allons visiter la troisième salle, des photos de route coupée, je comprends tout de suite que cela à avoir avec la situation en Palestine occupée. Ces routes sont des lignes de désir interrompus militairement..
Après un certain temps, nous revenons sur nos pas, pour aller voir la suite de l'exposition. Un homme avec un badge de la sécurité nous intercepte, il écouter toute notre conversation, et pour mon amie chinoise il reprend le commentaire. iL se met à nous raconter avec enthousiasme et de manière très volubile toutes les intentions de l’artiste : il y a eu tellement de visites guidées avec des conférenciers que je connais pratiquement le discours par cœur. Il parle de l’artiste en disant ce que Sophie a voulu faire c’est un parallèle entre les cicatrices du désert et les cicatrices des personnes opérées que vous verrez dans les salles suivantes… Je n’ai jamais vu de ma vie - et cela fait un moment que je vais exposition – un gardien si habité qui parle en tutoyant les oeuvres.
Une seule fois peut-être, quand il y avait eu une exposition des sculptures khmères au Grand Palais j’avais remarqué que tous les gardiens étaient Cambodgiens et qu’ils faisaient des offrandes aux génies qui occupaient les sculptures. Mais c’est une autre histoire.