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Billet de blog 12 mars 2015

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La lettre à Elise (et Emannuel Macron)

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Par ce billet, nous souhaiterions ici revenir sur le Cash Investigation du 3 Mars 2015 sur France 2, et par la même occasion remercier Elise Lucet et toute l’équipe pour leur reportage édifiant. Prendre l’exemple de Sanofi était un choix des plus pertinents, cette entreprise pharmaceutique étant, à l’heure actuelle, la parfaite caricature du capitalisme actionnarial prédateur : désinvestissements dans la recherche, délocalisations, dividendes mirobolants, bénéfices gavés d’argent public, etc… Ainsi, lorsque Viehbacher était encore PDG, Sanofi prévoyait de reverser 50% des bénéfices (une demi-douzaine de milliards d’euros par an…) aux actionnaires sous le prétexte fallacieux qu’il faut rétribuer le risque pris par les actionnaires en confiant leurs économies au capital d’une entreprise qui peut s’effondrer à tout instant. Mais bien sur cette explication ne tient pas : Sanofi est la première cotation au CAC40, deuxième groupe pharmaceutique mondial, aux bénéfices annuels se comptant en plusieurs milliards d’euros, on ne peut guère la qualifier d’investissement risqué. Autre prétexte avancé beaucoup plus crédible: il s’agit d’une stratégie financière pour garder le cours de l’action fort, afin de se prémunir d’une OPA agressive (plus le cours est fort, plus il va être difficile pour un fonds de racheter Sanofi). Explication qui se défend dans un monde financier sans scrupule, et qui a la beauté de permettre au passage aux actionnaires de s’en mettre plein les fouilles, et ils ne vont pas se plaindre. Toutefois, on est en droit de se demander si une telle stratégie est la mieux à même de stimuler l’innovation biomédicale et d’améliorer la santé de tous. Surtout lorsque, pour assurer un tel cours de bourses, Sanofi se désengage de ces centres de recherche occidentaux, pour ouvrir quelques centres en Asie du Sud-Est et pour racheter à moindre coût des starts-ups innovantes.

Et si Sanofi offusque la classe politique avec le « Golden Welcome » reçu par le nouveau PDG de Sanofi (4M € rappelons-le), nos chers « dirigeants » font mine d’oublier que Sanofi bénéficie chaque année d’un superbe cadeau de la part de l’Etat, environ 130M € d’abattements fiscaux au titre du Crédit Impôt Recherche (CIR). Le CIR est un outil censé stimuler l’innovation et l’emploi scientifique dans les entreprises installées en France. Comme d’habitude, on utilise l’image de la PME innovante assassinée de cotisations ayant besoin d’un crédit d’impôt pour pouvoir survivre, mais comme toujours le dispositif est prévu surtout à destination des grandes entreprises, multinationales, qui trustent 60% du CIR. Sanofi bénéficie donc des aides de l’état alors que :

            1. Elle n’en a objectivement pas besoin. Sanofi réalise des bénéfices nets colossaux et le CIR qu’elle touche ne représente que 2% de ses profits. La pérennité de l’entreprise ne dépend pas de ces aides de l’Etat.

            2. Elle détruit des emplois dans le secteur de la R&D en France, en témoignent les sites de Toulouse et de Montpellier, où des chercheurs ayant trouvé des médicaments parmi les plus vendus de Sanofi sont sacrifiés pour maintenir le cours de l’action boursière. Comment une entreprise qui se sépare de ses chercheurs, peut-elle toucher un crédit d’impôt dont la fonction est de promouvoir l’emploi scientifique ?

            3. Pendant que l’Etat « aide » financièrement Sanofi, la recherche publique se meurt, les conditions salariales se dégradent, de moins en moins de postes de chercheurs sont ouverts, et nos universités deviennent un peu plus insalubres chaque année. Alors que le candidat Hollande prétendait vouloir réformer le CIR pour mieux stimuler l’emploi et l’innovation, une fois arrivé à l’Elysée, le président a fait totalement le contraire en « sacralisant » cette niche fiscale. Dur de la part d’un président engagé dans la « lutte contre la finance et l’évasion fiscale». Ainsi, en total continuité avec la politique du gouvernement Fillon, l’Etat français continu de financer à outrance les grands groupes au détriment des petites entreprises et du secteur public, freinant ainsi l’innovation au lieu de la promouvoir.

Au cours de Cash Investigation, L’entretien d’Elise Lucet avec Emmanuel Macron a particulièrement retenu notre attention. Face aux incohérences soulevées par E. Lucet quant aux bénéfices du CIR pour Sanofi, E. Macron a répondu que « Si Sanofi ne touchait pas le CIR, elle supprimerait encore plus de postes, voire serait déjà complétement sortie du territoire français ». Il conclue donc naturellement sur l’efficacité avérée du CIR. Ces arguments sont très informatifs. Tout d’abord absolument rien ne montre que c’est parce que Sanofi a touché le CIR qu’elle a « renoncé » à se séparer d’encore plus de chercheurs. Il est donc impossible de conclure sur les effets du CIR dans le cas Sanofi, mais ça n’empêche pas E. Macron de le faire. En fait, E. Macron dit le contraire de ce que tous les indicateurs montrent : le CIR  est un trou béant dans les finances de l’Etat (6Mds € au total !) sans effet significatif sur l’emploi scientifique ou l’innovation1 (également dénoncé à l'Assemblée Nationale, le 20 février 2015, lien en bas de page). Et comment pourrait-il en être autrement, lorsque ce crédit d’impôt est conçu comme une véritable passoire, avec des contrôles extrêmement compliqués et rares2, et lorsque la fraude est attisée par des cabinets de conseil rémunérés au pourcentage3? Le CIR est donc totalement inefficace en terme d’emploi et d’innovation, mais un vrai succès en terme de niche fiscale, ce qui explique probablement pourquoi il a la faveur de notre ministre de l’économie.

 Ce qui rend le CIR inefficace, c’est justement parce que nos « responsables » politiques comme E. Macron, obsédés par la politique de l’offre, valident le fait que Sanofi puisse toucher le CIR, sous le prétexte que l’aide « aurait sauvé des emplois ». Le CIR est censé être perçu par des entreprises qui embauchent, pas des entreprises qui se séparent de ses employés. Notre ministre de l’économie essaie de nous faire croire que des emplois « prétendument » sauvés sont équivalents à des embauches. Avec ce genre de calcul on peut facilement comprendre pourquoi ce gouvernement n’arrive pas à inverser la courbe du chômage. Mais qui pensez-vous duper M. Macron ? Comment osez dire que Sanofi mérite de toucher cette aide de l’Etat, a fortiori dans un contexte de rigueur budgétaire extrême pour la recherche publique ? Ce gaspillage d’argent public est indécent.

 Mais ne soyons pas trop dur tout de même avec E. Macron qui aura au moins eu l’honnêteté d’avouer que si l’Etat ne met pas la main à la poche, Sanofi délocalise. En d’autres termes, Sanofi fait du chantage à notre gouvernement, « si je paie des impôts, je me casse ». Et avec quelle fermeté l’Etat répond-t’il à ce chantage ? En y cédant tout simplement, sous le prétexte que l’Etat doit soutenir ses entreprises, et apparemment, même celles qui délocalisent et ne paient pas d’impôt. Mais nous savons que tous les « no alternative » du monde, avec lesquels nos énarques gouverneurs nous rebattent les oreilles, ne sont que des mensonges destinés à préserver le statu quo, la paix social, l’ordre économique favorable à l’accumulation d’un petit nombre. Si nos élus en avaient la volonté politique, bien des choses seraient possible, depuis une meilleure politique fiscale pour réellement favoriser l’emploi scientifique et l’innovation jusqu’à la socialisation de certains secteurs, notamment le secteur biomédical, pour s’assurer que les activités soient bien orientées vers le bien commun et non vers les profits. N’oublions pas que le marché français est particulièrement dépendant de la Sécurité Sociale, ce qui donne à l’Etat un contrôle sur la demande des plus favorables dans le cadre d’un rapport de force avec Sanofi.

 Le jeu que jouent nos gouvernements avec les grands groupes industrialo-financiers est des plus dangereux. En favorisant l’élite actionnariale, l’élite politique renforce les intérêts privés au détriment de l’intérêt collectif. Cette collusion a deux conséquences majeures. La première est qu’elle limite nos innovations, et nos recherches, de sorte que l’on prend le risque aujourd’hui d’être confronté à des problèmes de santé publique importants, parce que nos efforts n’auront pas été suffisants. Et la deuxième est évidemment politique. La soumission totale de la république française aux intérêts privés est ressentie par les citoyens comme insurmontable. Rien d’étonnant dans ce contexte de voir l’abstention crever le plafond. Chaque nouvelle promesse non tenue, chaque nouvel élu qui malgré un programme socialiste mène une politique libérale nourrit cette abstention. Plutôt que de remettre en question leur mode de gouvernance, à coup de 49 :3 et de fausses consultations, nos « dirigeants » voudraient maintenant nous infliger des amendes en cas d’abstention. Toujours plus d’autorité et de moins en moins d’écoute et de réelle représentativité, telle est la « démocratie » française en 2015.

Références:

1 : L'évolution et les conditions de maîtrise du crédit d'impôt en faveur de la recherche, Cour des Comptes, juillet 2013

 2 : Les techniques recherchées pour toucher le crédit d'impôt recherche, Le Canard Enchaîné, 14 mai 2014

 3 : Avis du Sénat sur le Plan de Finances 2014, tome VI "Recherche et Enseignement Supérieur"

Sanofi epinglé par l'assemblée nationale sur le détournement du CIR.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion2606.asp

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