
Alors que les démonstrations d’actes de racisme ostentatoire et désinhibé à l’égard des populations ethniques d’origines étrangères sont monnaie courante dans le département au milieu des années 1990, son moyen d’expression s’est radicalement transformé en un quart de siècle. Les dérives d’aujourd’hui sont bien plus modérés et ténus, elles couvent pourtant et encore les souches d’une xénophobie déferlante.
Monsieur le Préfet,
Par le présent courrier je porte à votre connaissance quelques faits surprenants et d’une gravité sans commune mesure survenus le 8 mai 2022 à Sourdun, en Seine-et-Marne, dans le cadre d’un contrôle de la circulation routière opéré par la brigade de Police de Provins sur la route départementale 619 à l’entrée de cette même agglomération.
01h29, une équipe de Police circulant en véhicule en provenance de Sourdun dans la direction de Provins manifeste sa présence derrière mon automobile par le moyen de signaux lumineux et d’effets sonores et m’arrêtent à l’intersection des routes départementales 619 et 74A. Je suis assis au volant d’une voiture noire de type Twingo, le passager qui m’accompagne est un jeune homme de nationalité omanaise, Mohammed, installé à l’avant droit du véhicule.
Des allégations douteuses
La première équipe de police en action, composée de deux individus, est rapidement rejointe par une seconde constituée de deux hommes. Un des agents me demande de couper le moteur et de présenter mon permis de conduire ainsi que les documents du véhicule. Je m’exécute en exhibant mon titre. Il m’est indiqué que je vais faire l’objet d’une verbalisation pour le non-respect d’un stop au cœur du village de Sourdun en sortant du « lotissement » selon ses dires. Je précise, à toute fin utile, qu’il n’existe aucun stop à la sortie du lotissement Mauperthuis, seul lotissement par lequel j’ai transité et d’où je viens de débuter mon trajet. À l’écoute de cette remarque il rétorque que l’infraction a été commise à l’intersection de la rue de Paris et de la rue du Pavé du Roi.
Sans contester les propos de l’agent qui me paraissent cependant très surprenants, n’ayant nullement remarqué la présence d’un stop, je souligne qu’aucune signalisation ne caractérisait ce régime de priorité sur mon chemin. En effet la rue du Pavé du Roi est marquée par une absence totale d’éclairage lumineux ce soir et la signalisation visible au sol est, selon mon souvenir, et je n’en doute aucunement, celle d’un cédez-le-passage. Malgré l’insistance de l’agent il m’est impossible d’accepter le parti de sa thèse. Le marquage au sol est assurément celui d’un cédez-le-passage.
La vindicte policière est-elle encore légitime ?
01h43, un second agent de Police indique que les informations de mon permis de conduire sont introuvables, mon passager et moi-même restons immobilisés sur le bas-côté de la chaussée. On me demande ce qui se trouve à l’arrière de l’habitacle pourtant éclairé. Je réponds : « deux caisses à outils Stanley et Magnusson qui m’appartiennent ». Leur curiosité exacerbée n’est pourtant pas satisfaite. Un troisième agent sollicite ainsi Mohammed lui sommant de décrire le contenu du sachet plastique qui se situe derrière son dossier. Il rétorque : « une serviette de bain et quelques affaires de toilette ». Après vingt-deux minutes d’attente, à 01h51, un énième policier me demande de souffler deux fois dans un éthylotest. Le résultat est « zéro » énonce-t-il à deux reprises à ses collègues qui semblent surpris. Agacé par cette sérénade je fais connaître à ces fonctionnaires mon statut de militaire, que leurs méthodes partiales et discriminantes de contrôle ne peuvent être admises dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public. Le retrait de quatre points m’est confirmé. Il m’est précisé : « on s’en fout que vous soyez militaire ça ne change rien » et « pour les gens qui ne contestent pas on ne leurs met pas d’amende mais pour les gens comme vous (seul le conducteur est visé à cet instant à priori) » il n’y a pas de faveur. On me propose de signer le support numérique. Je m’y refuse naturellement au vu de la circonstance.
Interrogation sur la déontologie des agents de Police
Je suis au regret de constater la mauvaise foi et le manque de professionnalisme de l’agent verbalisateur qui refuse d’admettre la présence d’un marquage au sol de type « cédez-le-passage ». Et d’ajouter que ce même agent aux cheveux, paraissaient-t-ils, longs et grisonnants précise « je passe tous les jours sur cette route (nous entendons ici la rue de Paris) et personne ne s’arrête à cet endroit ». Si ces derniers propos sont vrais, il est alors concevable que la signalisation au sol de cette intersection caractérisée par les symboles d’un cédez-le-passage pousse les utilisateurs de la voie routière dans la confusion, particulièrement la nuit sur cette voie non éclairée, peut-être plus encore, que les forces de Police de Provins se délectent de situations piégeuses dans lesquelles ils enferment leurs propres concitoyens en les contrôlant en ce lieu à une telle heure de la journée. En revanche si les paroles de l’agent sont inexactes, on supposerait que ce dernier tente de consolider l’objet de son accusation par le biais d’énonciations mensongères inspirées par le principe d’habitus dont j’aurais été le sujet. Voici toute l’incohérence de la démarche et du positionnement adoptée par cet individu qui s’est obligé à tirer avantage de la situation par tous les moyens dont il disposait au mépris du bon sens.
Discrimination, xénophobie et racisme : des frontières spongieuses qui imbriquent ces notions
Existait-t-il d’autres raisons d’interpeller, de cette manière, deux individus, l’un noir, l’autre d’origine arabe en prétextant une infraction au code de la route dans un espace de circulation caractérisé par un autre régime de priorité que celui énoncé ? Étant militaire de carrière depuis quinze ans je ne peux qu’être choqué par l’usage de telles pratiques. Était-il question d’application de la règle en son sens strict ? Non, bien au contraire, le caractère discriminant, stigmatisant et voilé d’un racisme plus que latent s’est imposé sous le camouflet d’une mission de service public.
Bien évidemment je ne pourrai me résoudre à accepter la contravention qui découlerait de cet événement et plus encore, jamais, la manière par laquelle ce traitement méprisant a été infligé. C’est le terreau de toute la révolte de l’esprit. Qui pourrait l’accepter ?