Dans la série « les grands gaspillages » de la République
Sans désemparer, le Ministère de l'Education Nationale produit compulsivement de la réforme, comme Stakhanov produisait du charbon. L'échec de chaque réforme est l'occasion de prolonger et d'élargir des décisions inutiles et/ou nuisibles, sous forme d'une nouvelle réforme, mais génératrice de communication à base de bons sentiments et de pédagogisme débridé. Mme Vallot Belkacem respecte scrupuleusement la tradition. Rendons lui justice : elle n'est que l'instrument docile d'une administration toute puissante, véritable Etat dans l'Etat. On se sent gouverné !
Une nouvelle réforme donc, celle du collège, qui se surajoute aux précédentes, toutes aussi inefficaces les une que les autres en terme d'efficience. La « crise de l'Ecole » n'a pas fini de nous divertir... Sauf que des technocrates incrustés dans l'appareil d'état font joujou pendant qu'un nombre grandissant de jeunes perdent toute chance de se faire une vie et subiront de plein fouet la crise sociale, culturelle et économique qui frappe notre pays.
Quelques remarques sur la « réforme Valot-Belkacem », telle qu'elle apparaît aujourd'hui dans les médias. Inspirée de ce qui se ferait au Royaume Uni ou en Finlande (le grand exemple!), elle poursuit apparemment dans la voie de l'échec en aggravant les défauts de la « réforme Fillon ».
Elle alourdit les exigences en matière de langues vivantes, au moment où elle affirme la primauté de l'apprentissage du français. Elle conserve le souci « ludique » du travail pédagogique, en dépit de ce que l'on constate, à savoir l'échec en partie lié au pédagogisme qui a marqué le système éducatif depuis tant d'années, elle « globalise » plus encore l'évaluation, noyant ainsi la réalité des niveaux dans un informe cadre évaluatif démesurément étalé sur la durée.
Certains affirment que l'introduction d'une 2e langue vivante dès la classe de 5e rendra caduque l'existence des classes bilangues ou européennes, ce qui est sans compter avec la résistance des parents et la nature des langues elles-mêmes. L'allemand, qui fonde avec le latin, les « bonnes filières », est souvent rejeté par les parents d'élèves peu confiants dans leurs enfants au motif de sa difficulté présumée, d'où la pléthore des effectifs en espagnol par exemple.
Cette réforme réduit apparemment les horaires de latin et de grec, et ne touche à priori pas à la technologie. On peut supposer, comme c'est déjà le cas dans de nombreux établissements, que la disparition des « humanités » est programmée en filigrane (c'est un désastre dont on mesurera l'ampleur dans quinze ou vingt ans). Là encore, c'est pourtant sans compter avec les parents d'élèves dans les « bons collèges ». Bon courage aux chefs d'établissements concernés!
La nouvelle règle du jeu sortie du chapeau de nos décideurs européistes, plus soucieux de copier ce qui se fait chez nos voisins que de réfléchir à partir de la spécificité française, abandonne donc les programmes annuels pour délayer l'acquisition de « compétences » par paliers de trois ans du primaire au collège. Le nombre de ces compétences va être réduit. Gageons que du tableau des compétences de la réforme Fillon (douloureusement mis en forme), sortira un nouveau tableau adapté aux dernières exigences réglementaires, tout aussi aisé à remplir (voire plus) d'un clic de souris.
Elle reprend apparemment le rêve des « activités croisées », de l'interdisciplinarité, qui avaient marqué les « itinéraires de découverte » du temps de M. Lang. Puisque cela n'a pas marché, et que ces itinéraires de découverte ont été supprimés, autant recommencer avec de nouveaux mots. Parallèlement, le principe du soutien aux élèves en difficulté paraît généralisé à tous les élèves. Là encore, il faudra voir ce que cela donnera dans chaque établissement. Tout ce remue-ménage promet bien des contorsions dans les EPLE où les élèves, convenables en majorité (ils existent encore!), n'ont en rien besoin de soutien.
Certains commentateurs prétendent que l'autonomie accrue des établissements rendra visible le fait que l'unité pédagogique de l'Education Nationale n'existe plus, ce qui est déjà, et depuis longtemps, une réalité pour qui se donne la peine de regarder et de voir.
La répartition de la dotation horaire globale (qui ne paraît pas destinée à subir une cure de croissance!), à savoir le nombre d'heures d'enseignement affecté à chaque discipline selon des modalité plus ou moins compliquées, va dépendre plus encore qu'avant, de laborieuses négociations entre chefs d'établissement et professeurs, chaque discipline étant appelée à lutter pour sa paroisse dans ce qui s'annonce à priori comme une foire d'empoigne. Le résultat de tout cela sera le fruit de compromis dans lesquels les grandes gueules ou les caractères affirmés tenteront mécaniquement de se tailler la part du lion.
L'insistance sur les nouvelles technologies prolonge l'illusion informatique qui coûte si cher, et le souci « sociétal » d'expliquer aux élèves le sens de leur appartenance à la communauté française, (conceptuellement souhaitable), risque d'être voué à l'échec dans le contexte actuel de la société française et de l'actualité internationale. En outre, la puissance publique fait comme si, par définition, un enseignant était capable de tout enseigner, ce qui est évidemment faux.
Cette réforme est tout autant celle du primaire que du collège : comme ni l'un ni l'autre n'a réussi à limiter les dégâts, et que le système éducatif paye les pots cassés (avec les élèves et leurs familles) à l'entrée en seconde au lycée, on va en faire un pâté « primal » de têtes blondes ou pas, en espérant que cela ira mieux demain.
Les difficultés de l'Ecole sont pour la plupart extérieures à l'Ecole
Or, tout ceci ne peut pas répondre aux difficultés de l'heure, car les difficultés de l'Ecole ne sont pas essentiellement dues aux problèmes de l'Ecole. Le grand souci est l'hétérogénéité de la population scolaire, qui traduit parfaitement les fractures de la société française. Ce gouvernement fait à son tour semblant de croire que l'Education Nationale est un outil autonome et omnipotent susceptible à lui tout seul de combattre l'échec scolaire, les dérives communautaristes ou le chômage des jeunes (et tant d'autres choses encore). Ce qui est à présent certain, c'est qu'un seul et même instrument éducatif, en dépit de tant d'efforts d'adaptation, ne saurait prendre en charge avec succès toute une génération après l'autre, car « les élèves », cela n'existe pas. Seuls les enfants existent, et certains d'entre eux sont susceptibles de devenir des élèves capables de réussir leur scolarité dans le contexte actuel, d'autres non.
On peut supprimer les notes, truquer l'octroi des « compétences », se perdre dans la querelle des rythmes scolaires, celle du « genre » ou réformer les anciennes ZEP, en rajouter autant que faire se peut sur le discours victimaire à l'ombre du bon sourire de Mme la Ministre de l'Education Nationale, « harmoniser » les résultats aux examens pour les rendre présentables, nous sommes à priori devant une nouvelle réforme qui ne servira à rien. Pardon, elle aura sans doute une utilité douteuse : suscitant la panique, les tâtonnements des adultes de par son imprécision et via la fausse solution qui présente la concertation permanente entre maîtres (elle serait la condition de l'efficacité!) comme une panacée, de conduire encore plus de familles, parmi celles qui en ont les moyens, à chercher dans le système privé un devenir que l'Education Nationale propose de moins en moins. C'est à nouveau le triomphe de la gestion (des flux) sur la transmission des connaissances.
Ce genre de politique relève de la charité républicaine envers « nos pauvres », en aucun cas d'une vision claire et efficace des enjeux, condition « sine qua non » pour prétendre faire de la politique et utiliser convenablement l'argent public. C'est ouvertement, mais selon un mode hypocrite bien rôdé, valoriser l'excellence au détriment de l'Ecole Publique et en dehors d'elle. Mme Valot-Belkacem, avec son « air gentil » et son regard bienveillant de forte en thème va contribuer à enfoncer plus encore les jeunes en difficulté dans leur marginalité. Toutes les enquêtes PISA, cette magistrale arnaque (déguisée en comparatif neutre de systèmes éducatifs profondément différents car marqués par des contextes et des histoires rendant en fait impossible la comparaison en l'absence globale de réels dénominateurs communs) n'y pourront rien.
Par là on constate que hors l'honnêteté, l'engagement désintéressé et l'intelligence au service de la communauté nationale, le risque de gesticuler et d'apparaître pour ce que l'on est, un agent actif de la démagogie au pouvoir, est bien réel.
On attend donc dès à présent la réforme de cette réforme, ou une autre réforme, jusqu'au jour où un gouvernement décidera d'arrêter les frais et de tailler dans le budget du service public d'éducation. Il sera moralement critiquable, mais financièrement légitime ; quand l'argent et la comptabilité sont tout pour les « partis de gouvernement », cet argument a forcément du poids. Quel gaspillage !
* »Education Nationale : le naufrage tranquille », Alain Pucciarelli, Edilivre 2014. Livre parfaitement d'actualité.
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