Avant, on avait coutume de dire "on s'en sort par le travail !", on disait même il n'y a pas si longtemps qu'il faut "travailler plus pour gagner plus", aujourd'hui, à quoi bon ?
Oui, aujourd'hui, ne travaillez plus, plaisez, car c'est le réseau qui compte. Autrefois, c'était important uniquement pour un poste haut placé, un poste de pouvoir. Maintenant, c'est nécessaire même pour un emploi normal; rareté de l'emploi due à la récession post-2008 oblige.
Avoir un réseau est devenue si important que c'est même entré dans la culture : pour s'employer, avoir les qualifications requises ne suffit plus, il faut un coup de "piston". Ils existent quantité de salon, de soirée, d’événement etc... ou l'on peut cultiver son réseau. Par exemple, les grandes écoles proposent des soirées "networking": autour d'un verre et de quelque amuse-bouche, on pourra tenter de séduire un potentiel futur employeur en évitant les filtres par lesquels ceux qui ne sont pas invités devront passer. Mais le moindre faux pas dans ces événements peut vous priver de possibilité d'emploi pour un long moment.
On a l'impression d'évoluer dans l'univers de "Ridicule". Dans ce film, un noble de province doit monter à Versailles pour plaider auprès du Roi la cause de ses paysans menacés par la maladie. Mais il lui faut d'abord plaire à la cours par son "bel d'esprit". Le héros, heureusement doué, parvient à lever les obstacles en grimpant petit à petit dans la hiérarchie des courtisans.
Le monde du travail actuel est plus que jamais semblable à l'univers de la court que dépeint l’œuvre. "Le bel esprit ouvre les portes !" dit Jean Rochefort dans une réplique. Aujourd'hui c'est le réseau. Illustrations :
Votre demande d'entrée à la cours du Roi est bloquée par moult documents introuvables ? Vos démonstrations d'esprit en haut lieu sauront rendre l'administrateur plus indulgent. Pour le poste que vous briguez, on cherche le mouton à 5 pattes ? Si le responsable fait partie de vos connaissances, on saura pondérer les qualifications exigées.
Vos talents aux joutes d'esprit sont médiocres ? Çà n'avance pas beaucoup dans vos démarches auprès du Roi. Vous préférez travailler, accomplir vos tâches, et accroître vos compétences plutôt que de cultiver votre réseau ? Oh que c'est ennuyeux ! Eh bien restez ou vous êtes !!! En plus, cet asociabilité.... peut être êtes vous un dangereux sociopathe ?
Vos jeu d'esprit sont remarqués ? Vous grimpez dans la hiérarchie des courtisans, vous entrez dans l'intimité des cercles supérieurs de la cours. Votre réseau s'accroît ? Vous mangez à tout les râteliers ? Vous obtenez des informations stratégiques que vos collègues n'ont pas, on pense même à vous pour un poste hiérarchique qui va se libérer.
Mais attention ! N'ayez en aucun cas l'air "Ridicule". Le moindre mot d'esprit de travers, la moindre chute et s'en ait fini de vous. Vous êtes exclus. Après tout votre position ne tenait qu'a votre "esprit", pas à votre utilité réelle. De la même manière ne vous brouillez pas avec votre réseau car vous n'êtes monté que grâce à lui, pas par votre travail et vos accomplissements.
En conséquence, courtisan et "networker" n'aiment pas en général les gens compétents: ils pourraient bien mieux occuper leur places. Il faut donc se défendre en évinçant les gens compétents et en leur préférant des gens médiocres mais fidèles. La courtisanerie et la culture du réseau favorisent l'avènement de la médiocratie.
Vous voulez déposer une doléance ? Surtout pas !!! Déposer une doléance auprès du Roi ou remonter un problème auprès de votre hiérarchie laisse à penser que vous êtes compétents, donc dangereux. Sus aux corbeaux annonciateur du malheur ! En plus, problèmes et doléances demandent un effort pour être traités. Ah ! Que de temps perdus par votre faute et qui aurait put être consacré à une joute d'esprit ou à un bon restaurant !!! Autant détourner le regard, s'amuser et profiter, tant que ça dure.
Cette attitude vous choque ? Il vaut mieux étouffer vos haut-le-cœur. Les faveurs du Rois en dépendent. Et pour avoir du succès dans la construction de votre réseau, il ne faut pas protester, ni revendiquer, ni contester. Il faut vous forcer à paraître heureux et être sans cesse avenant. Qui sait ? A force d'autocensure, vous finirez par épouser sincèrement l'happycratie que la culture du réseau facilite.
Vous croyez être tranquille et pensez que votre statut est assuré ? Non ! Ayez toujours un jeu d'esprit prêt pour détruire votre voisin au cas ou. Votre dernier projet s'est mal passé ? Ayez un "fusible", quelqu'un - compétent de préférence - sur qui rejeter la faute. En tout cas, soyez vigilant. Dans les cours anciennes et moderne, toutes relation humaine est intéressée; soit pour profiter de vous soit pour vous tendre un piège. Derrière l'apparente solidarité entre ses membres, l'individualisme et l’égoïsme sont les valeurs suprêmes de la cours et du réseau.
Ces questions sont futiles parce que vous ne faîtes pas partie de tout ça ? Les difficultés, voire la misère, vous attendent car les cercles de courtisant et de réseauteurs parasitent à leur profits une part toujours croissante des ressources et des postes disponibles. Mais en même temps, tout le monde ne peut pas être à la court et tout le monde n'a pas le bras long. L'avènement du réseau aggrave les inégalités sociales et économiques.
La cours du rois Louis XVI dépeinte dans "Ridicule" représente le paroxysme de ces inégalités. Cette cours profite, au détriments de la grande majorité, à un tout petit nombre de gens pour la plupart médiocres et incapables de faire face aux problèmes sociétaux du pays dont ils ont la charge de gouverner. Pour conserver leur place, ils mettent en place des stratégies pour ne rien voir. Lorsque cette situation devient intenable, lorsque l'insolence de la cours devient insupportable; survient la Révolution.
Et dans notre économie post-crise, en récession constante, sclérosée par le réseau et sa culture ? Que se passera-t-il lorsque tous les travailleurs aptes à fabriquer notre nourriture, nos voiture, nos avions et à gérer nos centrales nucléaires seront partis, dégoûtés, remplacés par des médiocres qui mettront les problèmes sous le tapis ?
Voila la grande question posée par cette œuvre qui, même en dépeignant une époque révolue, reste brûlante d'actualité.