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L'entretien de François Ruffin dans le journal Libération ce lundi 6 juin, où il enterre Nuit Debout à grands coups de pompes, ressemble à un énième coup-de-pied de l'âne aussi inutile que méprisant. Nuit Debout c'était de la blague. Merci Patron aussi, peut-être. L'étape d'après, c'est les choses sérieuses.
Que cherche le camarade Ruffin of the couverture of The New York Times and Les Inrockuptibles and BFMTV ? On le sait, fort du million d'entrées que son film va produire in fine, notre Mickael Moore national va porter joyeusement Serge et Jocelyne Klur jusqu'aux Césars 2017. Il le mériteraient car, comme le dit notre Geppetto à "populos", ce sont des ouvriers qui "crèvent l'écran". Que dis-je, notre Robin des Bois new age, adepte de "l'action directe" - selon Frédéric Lordon le "cerveau" de Nuit Debout et son mentor dans les pages du Monde diplomatique -, va redistribuer sa fortune à toutes les petites mains bénévoles qui ont contribué à son succès.
Mais quel est le projet politique du camarade Ruffin, en tee-shirt et en casquette promotionnels ? Sommes-nous à la veille de l'avènement d'un nouveau Coluche, lui qui en 1981, voulait aussi "leur faire peur" ? Car après nous avoir fait rire tant et plus, n'est-ce pas, sur le dos de l'oligarchie sans scrupules et d'un couple d'ouvriers déboussolés, Ruffin annonce dans Libération qu'il entend secouer le bocal inchangé depuis trop longtemps des requins de la politique. Que se cache-t-il derrière son projet de nouveau "populisme" actif et régénérateur ?
Clairement - mais en réservant ses cartouches pour peser sur les candidatures de Jean-Luc Mélenchon ou de Gérard Filoche ou bien, le moment venu, caresser sa propre candidature -, le visionnaire du journal Fakir lance sa campagne pour 2017. Il va même jusqu'à indiquer, avec son humour pince-sans-rire légendaire, que son premier voyage officiel de président de la République serait de se rendre d'Amiens à Paris (ce qui a fait sourire la sympathique Caroline De Haas, qui doit se marrer quand elle se brûle).
Si, comme le dit Ruffin, "Nuit Debout, surtout, témoigne d’un vide politique" - chaque mot compte et tout est dans le "surtout" -, notre avant-gardiste éclaireur va se charger maintenant, avec ses petites troupes et sa nouvelle aura médiatique de le remplir. Oyez les insoumis qui étiez à Stalingrad pour défiler avec les pancartes que les organisateurs avaient fabriqué pour vous, Ruffin est des vôtres ! Il fait dans le mélenchonisme, dans la lettre et dans l'esprit, ou je ne m'y connais pas.
"Si Nuit Debout s’est révélé être un excellent lieu d’expression, ce n’est pas un lieu de décision. De mon côté, je n’en ai jamais attendu trop. Dès le premier soir, j'en ai senti les limites, notamment en raison de la sociologie parisienne - une masse de diplômés, peu de classes populaires, pas d’usine aux alentours, une méfiance envers les syndicats - qui a très vite débouché sur une « bureaucratie démocratique », sans volonté de s’organiser."
Le mec, dès le premier soir, c'est-à-dire dès le 31 mars après la grosse manif, il a dragué les nuitdeboutistes à fond les ballons mais il sentait déjà les limites ! Au moins, la promotion de son film "Merci Patron" a été assurée par une projection certes joyeuse, mais aussi sauvage (contre les intérêts de son distributeur "Jour2Fête" que j'avais eu au téléphone le matin même et contre les règles édictées par le Centre national du cinéma et de l'image animée, concernant le respect de la chronologie des médias). Petite anecdote touchante : l'équipe de Fakir avait promis et accepté de passer les deux minutes de la bande-annonce du film "Comme des Lions" ce soir là avant la comédie ruffinesque. Mais patatras, il n'y eût "pas assez d'essence pour le groupe électrogène" nous a-t-on dit le lendemain, et hop à la trappe les ouvriers intelligents et capables de s'organiser par eux-mêmes...
Le mec donc, il s'est fait acclamé par la foule le 31 mars, mais tout ça n'était qu'un ramassis de "diplômés" incapables de s'ouvrir aux "classes populaires". Hé Ho Ruffin - pour plagier les solfériniens socialistes - si t'as "senti les limites" de Nuit debout "dès le premiers soir", c'était pas la peine d'essayer de lui faire des enfants !
Mais on avance, on avance, et Ruffin lâche l'affaire... Il a choisi de jeter via Libération quelques pelletées bien senties sur les occupations de places, après Lordon et d'autres. Et, comme on achève bien les nuitdeboutistes, il pose le couvercle définitif de sa casquette et le voile de son tee-shirt sur l'ensemble des Nuit Debout de France, les banlieues debout, les avocats debouts, les architectes debout, la radio et la télé debout, les actions coup de poing debout, les loi travail dégage debout, et toutes les riches heures passées ensemble qu'on retrouve dans le wiki du mouvement...
Allez claironne-t-il, on passe à autre chose, les faux z'ami-es, les harangués, les parlotteurs, les bobos-intellos, les coupés du vrai monde, les inorganisés ! Tous les sur-médiatisés par Libération et Mediapart, réveillez-vous, vous n'êtes qu'une poignée. Y'a le feu à la marmite ! Suivez mon doigt au lieu de regarder mon film, "L'étape d'après" ça n'a que trop duré ! Un sous mis dans mon film c'est de la bombe, convertie en énergie politique insoumise ! Convergences Ruffin-Mélenchon, l'urgence c'est de jouer dans la cour des grands de la vieille politique...
Hier 8 juin, c'était la 69ème Nuit Debout à Paris place de la République, le mercredi #100mars 2016, d'après le nouveau calendrier nuitdeboutiste. Le mouvement était toujours debout et on a parlé, réfléchi, mangé, fait de la télé et de la radio, festoyé, et même dansé lors d'un grand bal ! "T'as pas #100mars, et un bal ?" "Mieux vaut un 69 à 2 qu'un 49 à 3" ! On a même rigolé, si si, c'est possible chez les inorganisés, les déprimés, les sans perspectives...
Nous autres, les Nuit debout, toujours debout, qui avons un peu appris des marées citoyennes espagnoles, nous portons quelque chose avec détermination : La certitude qu'il faut réinventer la politique pour qu'elle concerne à nouveau ceux qui s'en sont éloignés. Sans savoir vers quoi cela peut "déboucher". Mais chaque pas compte, chaque regard échangé, chaque conversation, chaque action de lutte. La parole, c'est des actes aussi.
Nous sommes sûr que les places vivantes et créatrices de notre République ne se videront pas de sitôt. Que ces espaces investis d'affection et de bruits neufs, pour paraphraser le poète, sont porteurs d'avenir. Nous sommes tous capables de "dire nous", pour construire des utopies concrètes et ouvrir d'autres imaginaires possibles.