« Si je me définis comme l’autre me voit, du moins JE me définis. »
Je vais faire ici une chose que je déteste faire, et que je me suis toujours interdite : M’exprimer en tant que non-blanc.
Oui, assigné en permanence à une « identité » cloisonnée depuis l’âge où beaucoup passe de l’enfance à l’adolescence et où je me suis vu dans le regard d’une bonne partie des adultes auquel j’ai pu être confronté passé de l’enfance à l’adélinquance, j’ai pris sur moi de ne jamais m’exprimer en tant que non-blanc. Un parti pris simple, si l’autre m’attache ainsi à une vision fantasmé d’un groupe, s’il me nie toute individualité, je ne lui laisserais aucun moyen de m’en rendre coupable, ni même complice. Quand cet autre après quelques minutes de conversation, parfois après une simple poignée de main, me demande « Mais au fait, tu viens d’où ? » je répond invariablement « Du sud des hauts-de-seine et toi ? ». Quand cet autre précise « Mais je veux dire, tu es de quelle origine ? », je fais le naïf « Je viens de te le dire, je suis originaire des hauts-de-seine. » pour le laisser de lui-même clarifier sa demande « Mais tes parents ils viennent d’où ? » et le mettre devant l’absurdité de sa question, sa volonté inconsciente de me rattacher à un exotisme ou simplement un ailleurs, avant de conclure « Du sud du Maroc, et toi tes parents viennent d’où ? ».
Il est évidemment bien plus simple de répondre directement à l’injonction implicite contenu dans la question et de dire « Je suis marocain » mais d’après mon expérience cela ne mène nulle-part si ce n’est à légitimer le prisme déformant par lequel l’autre, malgré-lui, essaie de me voir. Néanmoins, c’est plus simple et beaucoup finisse par se définir d’entrée de jeu comme marocain, algérien, camerounais, ou même africain, asiatique (n’ayant pas plus que moi connu ces pays, ces continents) jouant des clichés par l’humour dans un réflexe de protection : « Si je me définis comme l’autre me voit, du moins JE me définis. »
Un exemple d’aliénation ordinaire qui vaudra, paradoxalement, aux aliénés et à ceux qui leur ressemble des suspicions supplémentaires (« Eux-même ne se définissent pas comme Français, c’est bien la preuve que… »).
"Dans ce combat sans cesse renouvelé de l’affirmation en tant que sujet vaste, au delà de la « particularité », beaucoup se reconnaîtront (...)"
Quel choix est ici proposé ? Devoir systématiquement créer un moment gênant lors d’une première rencontre dans le but de s’imposer en tant que sujet à découvrir par le dialogue et non en tant qu’objet incarnant un fantasme pré-existant, un « préjugé », au risque de se voir déclaré honteux de ses origines et appelé à en être fier (quelque fierté ou honte peut-on tirer d’une origine que l’on a pas décidé ? D’un pays que l’on a pas connu ?) ; Ou accepter de se désindividualiser, de se définir par une couleur de peau, un faciès (car au fond c’est de cela dont il est question dans « l’origine ») avant tout autre caractéristique pour réduire cette tension constante entre le regard de l’autre et le regard sur soi, mais hélas en n’en tirant qu’un profit de très court terme et en alimentant des stéréotype qui nous nuisaient déjà et nous nuiront d’autant plus.
Dans ce combat sans cesse renouvelé de l’affirmation en tant que sujet vaste au delà de la « particularité » beaucoup se reconnaîtront, les homosexuel(le)s, les transgenres, les personnes déclarées « handicapés », tout ceux qui sont un écart à la norme arbitraire (ne serait-ce que par le simple fait d’être née avec un vagin et de devoir se plier ou lutter contre les attendus de « féminité »).
Pourquoi alors , me direz-vous, vous exprimer aujourd’hui en tant que non-blanc ?
Car aujourd’hui je suis menacé d’abord en tant que non-blanc.
La menace est réelle d’une gouvernance qui fera passer au premier plan la couleur de peau, le faciès et la religion (présumé d’après le faciès et la couleur de peau). Je me suis débrouillé pour apprendre comment ne jamais me laisser réduire sans combattre à mon apparence physique, j’ai appris dans le même temps (et j’apprend encore) à débusquer en moi ce que légitimement je reproche aux autres, m’efforçant de reconnaître en chacun(e) d’abord le même avant l’altérité, d’abord l’humain avant la « particularité ». Un équilibre précaire et ardu à maintenir, j’en conviens, mais possible pour l’instant.
"Dans ce contexte, combien de temps faudra-t-il pour que les réflexes les plus archaïques redeviennent acceptables ?"
Dès lundi prochain cependant, les plus hautes fonctions de l’état risque de se trouver occupées par des essentialistes, qui n’ont de cesse depuis 30 ans de travailler à maintenir exclu du champ de l’humanité et des droits inaliénable de liberté de pensée, d’agir, d’aimer qui en découle tout ceux qui ne corresponde pas à leurs définitions étriquées de ce qu’est un français, un vrai; un homme, un vrai; une femme, une vraie.
Dans ce contexte, combien de temps faudra-t-il pour que les réflexes les plus archaïques redeviennent acceptables ? Combien de temps, faudra-t-il pour que l’homosexualité redeviennent la maladie mentale qu’on y voyait encore il y a peu ? Pour que les femmes soit rappelé aux seuls fonctions reproductrice, de soin ou d’« objet de plaisir » auxquelles elles ont été si longtemps contrainte et dont aujourd’hui encore elles luttent pour faire reconnaître leur droit de s’en détacher ? Combien de temps aussi pour que les non-blancs se voient insulter publiquement, battu ou abattu par des groupuscules fascistes dans l’indifférence générale, en plus de la mise au ban et de la violence symbolique et physique quotidienne dont ils sont déjà l’objet ?
Je rejette l’argument que cela ne peut pas arriver, qu’aucune loi favorisant ce type d’extrémité ne pourra jamais passer dans notre pays.
D’abord, hélas, parce que l’Histoire du 20ème siècles nous montre que tout peut arriver, que le mal se caractérise dans la « banalité » de ceux qui l’incarne. Et même sans avoir à invoquer Arendt, le 20ème siècle et les 2 guerres mondiales que notre pays a vécu, dans notre Histoire récente qui peut ne pas voir l’impact profond qu’aura eu la simple récupération clientéliste des discours stigmatisant du Front National par la droite, incarné (entre autres) par M. Sarkozy ? Qui peut nier qu’une bascule a commencé dans l’opinion quand un des plus haut représentants de l’Etat a commencer à légitimer par de simples propos des thèses qu’on entendait jusque-là au travers de l’épouvantail tragico-comique qu’était alors M. Le Pen ? Qui peut ne pas voir la continuité consensuelle dans laquelle s’est inscrite M. Valls par la suite, essentialisant tour à tour les roms, les musulmans « d’apparence » et bien d’autres ? Qui pouvait imaginer aux premiers jours de notre siècle que ces propos seraient tenu publiquement sans susciter l’indignation et que d’autres encore remettraient en doute et essairaient de limiter le droit à l’avortement le qualifiant « de confort », le droit de vivre sa vie amoureuse librement avec le partenaire de son choix quelque-soit son sexe ? Qui ? Tout est donc possible et bien pire encore.
Et pour une bonne part, ce pire n’a pas besoin d’une base législative. Il suffit qu’il soit perçu comme légitime ou qu’il suscite l’indifférence pour pouvoir exister. Preuve en est le contrôle au faciès qui n’est légal sous aucun rapport mais est peu encadré dans les faits et n’est pas scandaleux pour la majorité de ceux qui n’y sont pas directement confronté ; les agressions récurrentes de non-blancs, d’homosexuel(le)s (le cas d’une couple lesbien agressé à ce motif m’ayant encore été rapporté cette semaine) et jusqu’au femmes qui subissent la violence conjugale et les agressions sexuelles dans des proportions telles dans notre pays que chacun d’entre-nous en porte sa part de honte ; sans oublier l’affront posthume fait aux victimes par l’euphémisation de leurs drames de la « rupture qui tourne mal » à la « bavure policière ».
"(...) la pitoyable alternative, qui bondissante et euphorique au soir du premier tour fêtait sous les applaudissements comme son triomphe personnel, la défaite démocratique (...)"
A l’argument disant que jamais le Front National (car c’est de ce parti dont-il s’agit ici) ne passera de toute façon. Je répondrai que la situation lui est, justement, favorable comme jamais.
Une partie importante des citoyens portant en eux des valeurs de gauche s'apprêtent à laisser l’élection se faire sans eux. Ils sont légitimement écoeurés par la façon dont la presse écrite et audiovisuelle a traité la campagne en favorisant certains candidats par une exposition constante de leur personne, de leur thème ou par les angles de traitement choisis, ridiculisant les autres et les idées qu’ils défendent ou les faisant simplement disparaître du paysage jusqu’à se retrouver contraint par les lois electorales de les recevoir. La presse politique a su montrer un mépris profond pour la démocratie et pire encore un mépris profond pour le peuple lui-même en traitant cette élection comme on traite une course de chevaux, commentant chaque jour sur le « favori », les « outsiders », les « remontés » d’un tel dans le « peloton de tête », et j’en passe ; Un mépris qu’on a su reconnaître dans la façon que les journaliste politique ont eu de faire passer au troisième plan la question des programmes de chacun des candidats ; et cette dernière semaine dans les injonctions sans cesse renouvelées au barrage, dans les attaques envers ceux qui ont eu l’audace de ne pas considérer les citoyens comme un troupeau qu’on mène paître ou qu’on ramène à l’auberge, en refusant de dire les sacro-saint mots, le mantra qui par sa simple énonciation fait le démocrate et la démocratie : « Il faut voter Macron ».
Les politiques aussi ont contribué à cet écoeurement, par leur confiance arrogante dans l’amnésie populaire M. Valls et ses compères de l’aile droite du PS, crachant à la figure de leur électorat en toute décontraction, et dans l’indifférence ou le soutien des responsables du parti, ralliant M. Macron et pilonnant la campagne de M. Hamon, candidat désigné par les urnes.
Les sympathisant de gauche sont écoeurés et sont prêt dans une bravade à se détourner des urnes pour dire à ce petit monde qui considèrent le consentement du peuple comme accessoire : « Ce sera sans nous ».
Et la droite ? La droite a tant cherché à fondre dans un même moule idéologique les électeurs du FN et les leurs qu’ils ont réussi : Les électorats se sont pour partie fondu l’un dans l’autre et cette partie viendra tout naturellement remplir les urnes. Les électeurs ayant soutenu Mme Le Pen quand à eux sont galvanisés, sur-mobilisés, pour le second tour : pas un ne manquera à l’appel.
Et en face, la pitoyable alternative qui, bondissante et euphorique au soir du premier tour, fêtait sous les applaudissements comme son triomphe personnel la défaite démocratique que représente le fascisme au 2ème tour d’une élection présidentielle. Un novice qui n’ayant jamais fait campagne s’est retrouvé poussé dans une bataille « gagné d’avance » contre Mme Le Pen qui, elle, a fait campagne presque toute sa vie.
"(...) ne pouvant pas fuir, mon instinct de survie me pousse à écrire (...)"
Dans ce contexte, qui peut dire que le résultat est certains ?
Qui, même convaincu que le risque est infime, est prêt à prendre le risque pour soi ? Quelle femme ? Quel(le) homosexuel(le)s ? Quel non-blanc ? Et quel homme blanc hétérosexuel n’a pas un proche ou une proche qui pâtirait directement, dans son intégrité physique et dans ses droits, de l’accession au pouvoir de Mme Le Pen et de sa garde rapprochée ?
Pas moi, je m’exprime ici en tant que non-blanc me réduisant à un phénotype aussi peu signifiant que la couleur de mes cheveux ou la pointure de mes chaussures car je sais le risque qu’une telle gouvernance représentera pour moi, car je sais ce que, avant cette gouvernance, cette insignifiante caractéristique m’a fait subir : une police menaçante et insultante, se foutant des lois, allant jusqu’à la brutalité physique même sur le mineur que j’ai été, la suspicion des uns et des autres, la remise en cause sans fondement de mon honnêteté quand je rentre dans un magasin ou en sort, quand je m’installe à une terrasse de café, des soupçons de duplicité venant de certains qui ne pouvant admettre que je suis tel qu’ils me voient imaginent une stratégie de dissimulation de celui qu’ils fantasment ; si je suis calme c’est que je cache que je suis violent, si je ne fais rien de malhonnête c’est que je suis assez malin pour l’être loin des regards.
Merci d’avoir pris le temps de lire ces mots grossièrement jetés ici. Je ne doute pas qu’ils sont vains, que chacun déjà a pris ses positions et s’y tiendra dimanche. Mais je ressens le danger avec tant d’acuité que, ne pouvant pas fuir, mon instinct de survie me pousse à écrire, comme un animal acculé condamné à combattre son prédateur dans un fatal dernier élan.
Rachid Marrouchi
Ps: Je vous remercie également de ne pas tenir compte des nombreuses fautes qui à coup sûr m’auront échappées, elles ne sont que l’expression de cette urgence qui m’anime en ce moment.