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Billet de blog 20 août 2023

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Ségolène Royal … aux journées d’été de la France Insoumise

Tout arrive dans la décomposition : Ségolène Royal sera aux journées AMFIS 2023, journées d’études de la France Insoumises du mercredi 23 au dimanche 27 août à Châteauneuf-sur-Isère, près de Valence.

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Un petit rappel historique :

Suite à la défaite du PS à la présidentielle de 2007 à travers la candidature de Ségolène Royal, Mélenchon rédige fin 2007 le livre « En quête de gauche… après la défaite ». Il vient de constituer l’association PRS (Pour la République Sociale) qui prépare la sortie du parti. La campagne de Royal n’est en rien socialiste. L’auteur rappelle à juste titre, ce que beaucoup de militants ont oublié, que pour comprendre la ligne du couple Royal-Hollande, il faut remonter 23 ans en arrière, c’est-à-dire aux origines de la ligne « démocrate ».

Je cite :

« C’est du parti démocrate américain et de l’équipe des nouveaux démocrates de Bill Clinton, dans les années 80, qu’est venue la nouveauté qui a tout emporté. Nous, les Français, nous ne tenons pas assez compte de l’influence du parti démocrate américain sur les partis de gauche en Europe… C’est cela qui a permis à ce que j’appellerai désormais la ligne démocrate de se propager dans le monde comme elle l’a fait, submergeant totalement la ligne social-démocrate traditionnelle… » (1)

Blair a assumé directement la liquidation de la ligne social-démocrate, sans originalité aucune puisqu’il a copié mot pour mot l’orientation des nouveaux démocrate, dont Bill Clinton.. C’est la théorie de la troisième voie avec Schröder en 1999 et les accords avec la Démocratie Chrétienne.

Continuons à citer, car ce livre était à l’époque du bon Mélenchon :

« A ce moment-là, apparaît même l’idée de la création d’une organisation concurrente de l’internationale socialiste, une sorte d’internationale du centre. J’ai le souvenir précis d’une discussion rapide à ce sujet au bureau national du parti socialiste français. Pierre Mauroy, président de l’internationale socialiste, était très ému de cette tentative de mise à la ferraille de la vieille internationale. Il mettait en garde. Personne ne s’alarma vraiment. C’était considéré comme une histoire lointaine...

…Le plus juste et le plus simple serait de le qualifier de courant démocrate. Cette appellation fait justice à ses origines politiques américaines. Mais surtout elle souligne l’essentiel du changement doctrinal. Il s’agit d’un courant qui ne veut plus donner une centralité particulière à la question sociale. Une social-démocratie pour qui le social est secondaire en quelque sorte… » (2)

L’auteur souligne la diffusion progressive dans le parti socialiste français, face à l’épuisement d’une ligne social-démocrate, que c’est autour de François Hollande, donc dans l’ombre du lambertiste Jospin (ajouterais-je), que se constitue dans les années 1980 le petit groupe dit des « transcourants ». Un texte de congrès programmatique de Hollande titre : « pour être modernes, soyons démocrates ! »

Il faut tordre le cou aux archaïsmes de la gauche, à savoir la lutte des classes, la place de la classe qui produit la richesse et donc la fonction du parti. Hollande explique : « le parti socialiste doit s’efforcer d’être le parti de l’ensemble de la société… La démocratie n’est plus simplement une méthode, mais la finalité même du projet. »

La ligne « démocrate » en France prend une coloration particulière : nous sommes dans un parti qui a fondé son unité en 1905 sur l’émancipation socialiste, intégrant les conquêtes laïques et le régime de séparation des églises et de l’Etat. En 1983, la politique de Mitterand inflige une défaite majeure au puissant mouvement laïque et au syndicalisme enseignant. Mélenchon souligne la proximité de Royal avec la doctrine sociale de l’Eglise romaine, notamment à travers la notion « d’ordre juste ».

Je cite :

« Entre la doctrine démocrate consensus social et la doctrine sociale de l’église, il y a une grande proximité. Parfois, c’est exactement la même chose. Ce n’est pas vraiment étonnant d’en retrouver l’influence dans le discours de Clinton. Mais une fois traduite en français, il est vrai que cela fait dresser l’oreille davantage qu’aux États-Unis. Dans ce registre, j’estime que Ségolène Royal s’est montrée d’une rigueur doctrinale très construite et systématique avec le concept d’ « ordre juste ». 

… « L’expression l’ « ordre juste » est une expression qui n’appartient pas au vocabulaire socialiste. Il est au contraire au cœur de la doctrine sociale de l’église. Le pape actuel en fait un refrain constant de ses interventions concernant le fonctionnement de la société. Sa première encyclique publiée en décembre 2005 – s’y réfère abondamment. On se doute que quand Benoît XVI parle d’ordre juste dans son encyclique, ce n’est pas à cet ordre émancipateur du mouvement des lumières qu’il se réfère. L’idée que l’homme puisse se donner à lui-même ses propres lois a toujours été combattue par le dogme catholique. Benoît XVI a rappelé que la source des malheurs du temps est dans la prétention des hommes à délibérer par eux-mêmes des sources de la morale plutôt que de s’en remettre à celles que Dieu leur enseigne. Ce raisonnement n’est pas nouveau.

Certes, depuis, l’église ne s’oppose plus à la démocratie. Mais elle continue à contester à l’homme et au peuple leur pleine souveraineté pour définir librement leurs normes de vie.

Que croyez-vous que l’ « ordre juste » de Ségolène Royal soit alors ? Quand elle dit, à maintes reprises, qu’il faut rétablir – c’est son mot – un « ordre juste », n’est-il pas légitime de s’interroger sur la nature de l’ordre auquel elle renvoie ? Surtout quand elle commence à employer cette formule deux mois après la publication de l’encyclique de Benoît XVI, qui fait de l’ordre juste le devoir essentiel du politique. »

Conséquemment, car cette question traverse alors le PS, il va encore plus loin, et à juste titre, dans l’analyse :

« Ce n’est pas la première fois que les socialistes sont soumis à des tensions sur le sujet. Dans des conditions certes différentes, le congrès de Paris de la SFIO, en 1933, a eu à en connaître. C’est l’année où les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne. Le débat sur l’autorité avait donc un singulier relief. Plusieurs dirigeants actuels du PS l’ont relevé pour alimenter les débats dans la période de l’investiture interne au PS. Notamment Bernard poignant, président de la délégation socialiste française au Parlement européen, qui a jugé la situation assez grave pour envoyer une note largement diffusée au PS. Voilà cette histoire… 

…A la tribune du congrès, Adrien Marquet , député-maire de Bordeaux, qui ralliera ensuite les nazis et la collaboration, déclare :

« Ah ! si la grande force que représente le socialisme était capable d’apparaître, dans le désordre actuel, comme un îlot d’ordre et un pôle d’autorité, quelle influence serait la sienne, quelles possibilités d’action véritable s’offriraient alors à lui ! La dominante, dans l’opinion publique, c’est la sensation du désordre et de l’incohérence. Ordre et autorités sont, je crois, les bases nouvelles de l’action que nous devons entreprendre pour attirer à nouveau les masses populaires sans lesquels rien de grand ne pourra être tenté. »

Léon Blum interrompra par une phrase : « je vous écoute avec une attention dont vous pouvez être juges, mais je vous avoue que je suis épouvanté. »

Pourtant les phrases d’Adrien Marquet pouvaient paraitre aussi pleines de bon sens que n’importe lesquelles de celle que nous entendons à présent, surtout si l’on tient compte du contexte de ces années de crise économique totale et de victoires dans l’Europe du modèle social et national de Mussolini, Hitler Salazar, au Portugal. Pourtant quand il s’explique à la tribune ensuite, Léon Blum est particulièrement incisif :

« Il faut maintenant que je réponde à ce discours de Marquet dont j’ai dit en l’interrompant, ce dont je m’excuse, qu’il m’épouvantait. Mais à la réflexion, et je peux bien lui dire que depuis que je l’ai entendu, je n’ai guère fait que réfléchir à cela. Je ne peux que lui dire que ce sentiment d’épouvante ne s’est pas atténué et qu’il n’a fait que se fortifier, au contraire. Il y a eu un moment, Marquet, où je me suis demandé si ce n’était pas le programme d’un parti social national de dictature. Vous êtes venus nous dire qu’il fallait des modes d’ordre d’autorité et d’ordre, avec l’impression que nous nous poserions devant le pays comme des défenseurs de l’autorité et de l’ordre… Rassemblant autour de nous ces masses populaires de valeurs hétérogènes et inorganisées dont je parlais tout à l’heure et cela pour une preuve de rénovation sociale dans le cadre national. Eh bien je le répète, quand vous disiez cela à la tribune du parti socialiste, et bien je me demandais où j’étais. Je me demandais ce que j’entendais et si je n’étais pas le jouet d’illusion des sens. » (3)

Et maintenant : de Ségolène Royal ou de Mélenchon, qui tient l’autre par la barbichette ?

Nous avons choisi de citer précisément des extraits de ce livre de bilan politique après la défaite de la gauche en 2007, car il posait clairement ce qu’aurait dû être une ligne de rupture avec l’ordre néo-libéral, dont se réclamait Mélenchon au sein du PS. Le courant « démocrate », caractérisé ici de « néo-socialiste », pointait les dangers d’une évolution politique de Ségolène Royal : la classe ouvrière n’est plus le vecteur central du combat pour l’émancipation sociale, mais un élément parmi d’autres. Le rapport capital-travail disparait au profit d’une masse d’individus dans une société globale. Confrontée à la puissance de la vague néo-libérale après l’effondrement de l’URSS, le PS se heurte à l’impossibilité d’appliquer son programme de « rupture graduelle » avec le capitalisme. Sa majorité se tourne alors vers des impasses anti-ouvrières qui manifestement l’entraine très à droite sur l’échiquier : c’est ce que Mélenchon combat alors en reprenant la position de Blum et de la direction de la SFIO contre les néo-socialistes. Blum bien sûr est sous la pression des gauches du parti, l’alliance Ziromsky-Pivert, nous sommes en 1933. En France, s’ouvre une période de radicalisation politique qui culminera avec la grève de juin 36. La campagne néo-socialiste de Ségolène Royal qui conduira à l’échec contre Sarkozy s’inspire du reniement « démocrate », agrémentée pour la France des principes sociaux du Christianisme, dont Mélenchon rappelle à juste titre l’actualité de l’offensive dans l’encyclique du pape Benoit XVI de 2005. L’auteur rappelle que dans la période qui s’ouvre après 1933 des révisions fracassantes auront lieu du corps même du mouvement ouvrier. Il y a ceux et celles qui, la main sur le cœur proclame leur conviction d’une « nouveau » socialisme et qui finiront chez Pétain et dans les wagons de la collaboration avec les nazis.

C’est le même Mélenchon qui, après la campagne présidentielle de 2012, tourne à 180 degrés et durant l’été 2014 rédige son manifeste programmatique « l’Ere du Peuple ». Je reverrai toujours, lors de la réunion nationale du Front de Gauche en septembre tenue à la mairie de Montreuil, le regard médusé des militants, et de Marc Dolez en particulier, écoutant l’exposé programmatique de Mélenchon à la tribune. C’est la même sauce au vinaigre qui est servie que le discours « démocrate » de Ségolène en 2007: place à la « fédération du peuple » et à la révolution citoyenne, la classe ouvrière n’étant plus le vecteur de l’émancipation sociale. Avec le projet France Insoumise, Mélenchon a tourné ses regards vers les théories populistes de Chantal Mouffe, dont le mari Ernesto Laclau, a pactisé avec le bonapartisme « de gauche » du péronisme argentin. Mélenchon lui soutenait Hugo Chavez.

L’histoire réelle dissipe les illusions… Aujourd’hui Ségolène Royal est tout à fait soluble dans « l’état gazeux » (4), alors que les militants qui ont porté la candidature de Mélenchon en 2017 et 2022 n’en finissent pas de réclamer la démocratie dans leur mouvement, alors que le chef suprême n’en finit pas de liquider sa vieille garde historique. Une génération militante à la ferraille !

Notes :

  1. En Quête de gauche page 93
  2. Ibidem page 108
  3. Ibidem pages 174 et suivantes.

Si vous voulez plus de détails sur la critique succulente des positions du bon Mélenchon de 2007, vous pouvez vous référer au chapitre 6 de mon livre : « Dérives populistes dans le mouvement ouvrier hier et aujourd’hui » qui se trouve sur mon site d’archives personnelles à l’adresse suivante : http://robertduguetarchives.fr/

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