Samuel Clauzier
Témoin de l'écume sociale.
Abonné·e de Mediapart

16 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 mars 2023

Samuel Clauzier
Témoin de l'écume sociale.
Abonné·e de Mediapart

« Montpellier : comme partout en France, une violence policière endémique »

Il a fallu près de deux mois et un mouvement social historique contre une réforme des retraites imposée à marche forcée pour que le pouvoir dévoile sa véritable nature. Avec le rejet de la motion de censure présentée contre le gouvernement d’E. Borne ce lundi, la mobilisation se radicalise : en réaction, l’exécutif s’enfonce dans un déchaînement répressif jamais vu depuis les Gilets Jaunes.

Samuel Clauzier
Témoin de l'écume sociale.
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une grenade lancée par un policier explose sur la tête d'un manifestant. Des CRS qui matraquent des jeunes sans défense dans un Domino's Pizza, à huis clos. Un SDF balayé par les forces de l'ordre en se faisant traiter de « sac à merde ». Un membre de la BRAV-M (brigade de répression de l'action violente) qui assène un coup de poing avec ses gants coqués à un homme qui tombe au sol, inconscient. Des gendarmes qui défoncent la porte d'un campus occupé par les étudiants. Des policiers à moto qui interpellent un manifestant en lui roulant littéralement dessus. Un marin-pêcheur de 22 ans menotté, le visage en sang et le nez cassé. Un déluge de vidéos déferle sur les réseaux sociaux depuis le début de cette semaine, faisant état d'une violence policière généralisée à l'échelle nationale.

Illustration 1
Un CRS me braque avec son LBD alors que je brandis mon brassard presse. Montpellier le 21 mars 2023. © Samuel Clauzier

À Montpellier comme dans le reste du pays, la police n’est pas en reste : un point d’orgue atteint lors la soirée du 23 mars, avec la nasse de plusieurs dizaines de manifestants dans une ruelle proche du parc du Peyrou. Il est 21h30 quand une partie de la manifestation se retrouve coincée entre un cordon de policiers en civil et une compagnie de CRS. Les fonctionnaires de la BAC narguent les manifestants, le cortège s’avance ; deux grenades explosent dont une de désencerclement. La foule rebrousse immédiatement chemin pour échapper aux gaz lacrymogènes : une partie est alors pris au piège par les forces de l’ordre dans une ruelle sombre. 

Un jeune homme est violenté par un policier entre une voiture et un horodateur : impossible de filmer correctement à cause du manque de lumière, mais l’enregistrement sonore témoigne des coups portés et des hurlements de la victime. Les quelques journalistes présents sont rapidement écartés de la scène et repoussés plusieurs dizaines de mètres plus loin. À ce moment-là, un manifestant qui sortait de la nasse est à nouveau fouillé, puis pris en photographie à même le trottoir par un fonctionnaire de la BAC. Nous avons pu recueillir son témoignage.

« Fait gaffe à toi, si on te revoit en manif on sait où t’habites : nous on retient bien les têtes » 

Romain, 28 ans, s'est rendu à la manifestation nocturne contre la réforme des retraites avec deux de ses amis. Nassé par les CRS derrière le Peyrou, il subit un premier contrôle d'identité avec palpation : « Le policier qui m'a fouillé a insisté sur mes parties génitales jusqu'à me faire mal. J'ai coopéré, mais je n'avais rien à me reprocher ». Il témoigne de l'inquiétude collective au sein des manifestants piégés dans cette rue étroite, sans lumière, certains tentant de s'échapper en escaladant les murs. Les forces de l'ordre le laissent repartir quand plusieurs fonctionnaires de la BAC lui ordonnent à nouveau de s'arrêter.

Nouvelle fouille. Romain demande à plusieurs reprises s'il est interpellé, sans réponse. Un policier le maintien contre un mur tandis qu'un autre contrôle son sac à dos. Il est pris en photo, puis sommé de donner son numéro de téléphone et son adresse, en dehors de tout cadre légal, les fonctionnaires refusant de lui notifier son placement en garde à vue. Un policier s'avance : « Qu'est-ce qu'on fait de lui ? Prison ? Allez, rentre chez toi. Maintenant, on a ton adresse, ton numéro, on sait où t’habites... On viendra te chercher chez toi ! ». Romain récupère ses affaires et s'éloigne, les policiers répètent une dernière fois « fais gaffe à toi Romain, si on te revoit en manif, on sait où t’habites : nous on retient bien les têtes. ».

Malgré cette séquence, Romain, Mathilde et Bastien souhaitent retourner en manifestation dès la semaine prochaine « en manifestation syndicale ou spontanée on sera là, pour tout dire ça nous a même donné plus de motivation pour la suite du mouvement ! ». Le profil des trois amis illustre le basculement du mouvement social depuis ce début de semaine, avec l’entrée massive de la jeunesse dans la mobilisation. Face à cette nouvelle caractéristique, le pouvoir a décidé de rouvrir la boite de Pandore répressive : arrestations massives, intimidations, blessures irréversibles… Pour la seule journée du jeudi 23 mars, le Ministère de l’Intérieur annonçait plus de 450 interpellations dans le cadre de la journée de mobilisation syndicale.

À Montpellier, 5 personnes ont été interpellées ce jeudi : d’après nos informations, une personne fut emmenée à l’hôpital pour blessure, une est détenue à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, deux autres ont été libérées ; écopant d’une interdiction de manifester jusqu’à leur convocation devant le tribunal au mois de septembre. Dans la même soirée, deux journalistes témoignent avoir été mis en joue par des CRS (vidéo à l’appui).


Samuel Clauzier (initialement publié pour Montpellier Poing Info).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte