Si Lénine (envoyé par l’Allemagne pour déstabiliser la Russie encore tsariste) a construit sa théorie en opposition au capitalisme monopolistique US et à la pax americana en tant que “stade suprême du capitalisme” , c’était afin de créer les fondations de sa rhétorique et s’assurer ainsi de son emprise sur le parti bolchevik.
En réalité, les liens entre capitalisme et l’impérialisme n’existent pas, voire pourraient bien avoir des relations antagonistes dans un contexte de libéralisation économique généralisé, et notamment de libre échange mondialisé. Pour le comprendre, je recommande la lecture de l’ouvrage Impérialisme et capitalisme de Wilhelm Röpke, (1934) lire en ligne [PDF] dont voici un extrait :
“l’impérialisme est, en fin de compte, un phénomène politique et reste la créature de sentiments, de passions et d’instincts. Auparavant on pensait, dans un bon sens économique, que le besoin de paix pourrait toujours maîtriser l’instinct irrationnel guerrier. Nous sommes aujourd’hui bien loin d’un tel optimisme. Nous savons que les instincts, les sentiments et les passions dominent plus fortement les hommes que les faits et les calculs, particulièrement à une époque déterminée par les mouvements de masse. A la place de croire que le capitalisme vaincra l’impérialisme, il faut au contraire compter avec la possibilité que l’impérialisme et toutes ces forces irrationnelles détruisent le capitalisme et avec lui notre système culturel collectif. La remarque sarcastique que l’homme serait moins un « tool-making » qu’un « munition-making animal », ne nous paraît plus exagéré.”
En résumé de cet ouvrage, l’impérialisme ne peut être considéré comme l’aboutissement inéluctable du capitalisme, et nous devons différencier les projets politiques des nations impérialistes d’une part, des projets économiques entre ressortissants capitalistes de ces mêmes nations impérialistes. Ainsi, le capitalisme et la pratique du libre échange peuvent devenir un frein à l’impérialisme.
Dans cette perspective, devons nous (aurions nous dû?) considérer le projet Nord Stream comme étant un projet purement capitaliste, qui serait alors un frein pour une politique impérialiste (par exemple, US ?) ou bien comme un projet impérialiste informel de la Russie sur l’Allemagne ?
Le capitalisme est le système qui domine à présent le monde entier. Il est basé sur la propriété privée, le moyen de production et la libre concurrence. Associé à une libre échange mondialisé (libéralisme économique), le capitalisme est un acte de paix en soit : “j’ai besoin de mes partenaires d’échanges commerciaux en biens et services, comme ils ont besoin de moi”.
L’impérialisme, lui, existe depuis les premières civilisations, et n’a pas de lien au capitalisme sous ses formes contemporaines. Le libéralisme économique mondialisé peut être considéré comme un frein aux impérialismes, car il empêche une monopolisation des activités économiques par l’une ou l’autre des nations impérialistes, les partenariats se faisant librement, sans qu’une entité étatique distribue les cartes. L’association du libéralisme économique au multilatéralisme constitue le fondement de la realpolitik allemande, et explique le clientélisme décomplexé de l’Allemagne vis à vis de la production gazière russe.
Mais cette realpolitik allemande concurrençait le capitalisme d’état ukrainien, acteur majeur de la gestion du transit de gaz russe vers l’Europe, permettant officiellement des entrées financières étatiques, et officieusement de la corruption des fonctionnaires et oligarques liés à cette industrie, et encore plus officieusement le blanchiment d’argent sale pour des ressortissants étrangers (US notamment).
De plus la réussite des activités économiques allemandes, en grand champions européens du capitalisme marchand, était encombrante pour la Pologne voisine : relié à l’histoire du siècle dernier, cela aura rallumé l’instinct irrationnel guerrier — certainement attisé par les services secrets et stratèges US — et permis la création d’un axe d’attaque Washington Londres Varsovie Kyiv envers la Russie poutinienne et son système bonapartiste.
post-1991 pour asseoir l’impérialisme hégémonique US, il ne restait plus qu’à alimenter les nationalismes de Géorgie (2003) , d’Ukraine (2004) de Biélorussie et du Kirghizistan (2005) voire de la Russie (202x ?) sous couvert de “démocratisation”; puis d’organiser une déstabilisation opportuniste, comme le fut le bras armé néo-nationaliste pendant le Maïdan ukrainien et de soutenir l’instinct irrationnel guerrier de cette soldatique par l’approvisionnement en armes lourdes (systèmes anti-char Javelin US entre 2018 et 2022) pour affronter l’armée conventionnelle Russe. C’est un coup-forcé des stratèges US pour Poutine le bonapartiste, qui n’a plus d’autre choix dans sa cause que de déclencher les hostilités. Ceci explique la non-préparation de l’invasion de février 2022 (Poutine a été amadoué d’une certaine manière par les accords de Minsk) et en même temps la bonne préparation des troupes ukrainiennes, dont le système politico-médiatique érigera en hérauts “démocratiques” afin de graver cet instinct irrationnel guerrier.
Le projet Nord Stream qu’il soit à considérer comme un projet purement capitaliste et donc un frein pour une politique impérialiste ou bien comme un projet impérialiste informel de la Russie sur l’Allemagne, aura été sanctionné en cachette par les services secrets US, jugé en teneur comme une haute trahison par le relai du système politico-médiatique occidental, et recouvert d’un épais brouillard de propagande de guerre, nourrissant notre instinct irrationnel de munition-making animal. Amen.