Le 11 janvier 2022, le Président de la République, Emmanuel Macron, annonçait le lancement de la première Stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. Il se targuait de faire de cette stratégie «holistique» un modèle unique en Europe et au monde. Dès lors, les millions de patientes que compte la France reprenaient espoir. À quelques mois du point d'étape annoncé et tant attendu, où en est-on aujourd'hui ?
Alors que s'achève la semaine européenne de prévention et d'information, au lendemain de la journée de lutte pour les droits des femmes, et à l'occasion de la journée nationale contre l'endométriose le 25 mars, il convient de réaffirmer le droit à la santé pour toutes les femmes. Dans sa lettre du 11 mars 2021 adressée à l'eurodéputée (LRM) Chrysoula Zacharopoulou, en charge de la stratégie nationale, l'ancien ministre de la santé Olivier Véran appelait de ses vœux, en en soulignant le caractère « indispensable », « une campagne large et grand public […] en libérant la parole autour de cette maladie par des relais d'opinions. » Souhait qu'il réitéra par la suite pour « faire gagner l’endométriose en notoriété ainsi qu’en visibilité […] sur tous les canaux de diffusions... » Aussi, répondant à son appel, je me saisis de cette occasion pour interpeller l'opinion publique sur cet enjeu de santé publique.
Comme environ 2 à 4 millions de femmes en France, c'est à dire au moins une femme sur dix, je souffre de cette affection chronique, inflammatoire, hormono-dépendante, qui se caractérise par la présence d'endomètre (tissu qui tapisse l'intérieur de la cavité utérine) à l'extérieur de l'utérus. Elle provoque lésions, nodules, adhérences, kystes souvent à l'origine de douleurs très importantes pendant ou hors de la période des menstruations. Maladie évoluant par palier, et ne se résorbant pas toujours avec la ménopause, elle est décrite comme « invisible » et « incurable ». Au terme invisible, nous lui préférons celui d'« invisibilisée », car à cette masse que constituent les femmes atteintes en France peu de crédit est encore accordée. Les symptômes invalidants, et dont le retentissement sur tous les plans de l'existence est, lui, loin d'être invisible, sont encore associés à l'idée de paresse ou d'affabulation, aussi bien dans la sphère privée que professionnelle ou médiatique. Quant à celui tout aussi relayé d'« incurable », qui entérine le statu quo des connaissances, il clôt rapidement la question de sa ou ses causes et celle d'une approche thérapeutique et d'une prise en charge autres que symptomatiques. Il pourrait même se lire comme l'expression de l'absence d'une réelle volonté de s'atteler à investiguer les causes.
Si celles-ci semblent être multiples et multifactorielles, la recherche sera d'autant plus longue et dispendieuse, d'où la nécessité et l'urgence de l'initier ou de la reprendre au plus vite et le plus largement possible en démultipliant d'autant les budgets, les investissements et les équipes. En effet, c'est à ce point de jonction où viennent s'articuler des problématiques individuelles, sociétales, et environnementales, que les pouvoirs publics et la communauté scientifique doivent se sentir interpellés et mobilisés. L'endométriose a été découverte dans la seconde moitié du XIXème siècle par le chercheur autrichien Karel Rokitansky, et l'on peine à comprendre pourquoi la recherche patine encore un siècle et demi plus tard. Une partie de la réponse se trouve peut-être dans le livre « Mauvais traitements, pourquoi les femmes sont mal soignées », publié en 2020, et rédigé par deux journalistes indépendantes, Delphine Bauer, et Ariane Puccini. Il nous révèle notamment que déjà dans les années 90 des recherches étaient entreprises dans ce domaine en précisant que faute de « motivation » suffisante de la part des hommes qui avaient en charge un projet de molécule destinée au traitement de l'endométriose, et devant des difficultés somme toute inhérentes à toute recherche, elles furent abandonnées purement et simplement. On peut y lire également que « même quand les femmes sont les seules destinataires d'un médicament, il arrive qu'elles soient oubliées de la recherche clinique. » Faisons alors en sorte qu'à ces oublis et à ces négligences soit substitué un devoir de compréhension, unique voie pour espérer un jour développer et déployer des stratégies prophylactiques. Si s'attaquer aux origines de l'endométriose doit faire partie d'un plan d'action structuré, faciliter le diagnostic l'est tout autant car l'on sait désormais que celui-ci est souvent complexe et retardé. Dans cette optique, quid du test salivaire Endotest élaboré par une start-up lyonnaise il y a plus d'un an et qui pourrait enrayer de manière drastique le retard diagnostic, le faisant passer de sept ans en moyenne à dix jours ?
Comme la majorité des patientes, mon errance diagnostique fut très longue. Elle dépassa cette moyenne pour avoisiner les dix ans dans mon cas avec maintes consultations chez divers spécialistes bien mal informés sur le sujet, manque d’information faisant écho à cette ignorance (parfois entretenue et participant de cette « invisibilisation ») de la maladie par certains soignants eux-mêmes. Au dernier gynécologue spécialiste consulté, qui en préambule affiche une méconnaissance peu rassurante, je dois un fort sentiment de culpabilité quant à mes cycles dit « naturels » (sans contraception chimique), et une injonction à la maternité en étrange contradiction avec cette pathologie, pourtant première cause d'infertilité en France. A contrario, chez le radiologue qui me diagnostique une adénomyose ainsi qu'une endométriose, qui assiste depuis les vingt dernières années à une constante recrudescence des cas et chez des femmes de plus en plus jeunes, l'on sent une réelle conscience de cette problématique grandissante, véritable enjeu de santé publique.
En effet, le coût humain et social est quantifiable, pour peu que l'on accepte de s'y pencher. Pour 65% des femmes, la maladie a un impact négatif sur la vie professionnelle, comme nous l'apprennent les chiffres du Livre blanc sur L'endométriose et Emploi réalisé notamment par l'association EndoFrance. Comme près de 80% des femmes touchées, mes douleurs sont invalidantes et mon quotidien entravé. Anciennement contractuelle de l’Éducation Nationale, traductrice littéraire de formation, ma vie professionnelle, à l'instar de ma vie personnelle et sociale, en sont affectées. Aux nuits hachées par la douleur, succèdent les journées rythmées par les somnolences. Je ne suis actuellement plus en mesure de travailler normalement. Depuis plusieurs mois, une date s'est ajoutée dans mon agenda. Elle marque le début de mes douleurs chroniques qui m'affectent entre quinze et dix-huit jours par mois, variant de l'inconfort à des douleurs plus invalidantes jusqu'à l'incapacité quasi-totale de me déplacer les deux premiers jours des menstruations. Le corollaire des symptômes de douleur intense est une fatigue chronique et persistante, des troubles digestifs et urinaires, une anxiété et un fort sentiment d'impuissance pouvant conduire à la dépression.
N'ayant à ce jour à ma disposition pas d'autres options thérapeutiques que des doses importantes d'antalgiques et d'anti-inflammatoires pour atténuer mes souffrances, mes dépenses de santé relatives à cette affection se chiffrent en centaines d'euros chaque année. Je me vois par ailleurs pointée du doigt car je ne consens pas à prendre une pilule en traitement symptomatique. Or, celle-ci n'empêche ni l'apparition ni la progression de la maladie. Au mieux elle la retarderait, l'endométriose continuant de se propager à bas bruit, refaisant surface lors d'un désir de grossesse par exemple, et parfois n'apaise en rien les symptômes. Cette option thérapeutique me semble être un traitement que je qualifie de sournois puisqu'il participe à mettre la poussière sous le tapis en ne se saisissant pas du problème à la racine. Tandis que les chirurgiens reviennent dernièrement sur le soulagement temporaire escompté par l'exérèse des lésions, qui pourrait se révéler contre-productif par la création ou l'amplification de douleurs neuropathiques, l'offre thérapeutique se réduit encore. Certes la pratique d'un sport est préconisée pour soulager la douleur, mais là encore cette recommandation aux allures de bon conseil à ses limites lorsque tout déplacement vous est insurmontable du fait même de ces douleurs.
Après le temps du diagnostic vient celui des interrogations. Si l'on peut se féliciter de l'ouverture de la parole sur les réseaux sociaux comme élément de soutien pour de nombreuses femmes, ceux-ci sont également le réceptacle d'un désarroi immense et d'une solitude face à cette maladie toute aussi grande. Que ces espaces de paroles ne servent pas de paravent à ces sentiments d'impuissance et à ces vies brisées parfois, fragilisées souvent. Ces réseaux deviennent également des lieux de partage de savoirs empiriques et horizontaux faits de tâtonnements. Ils en dédouaneraient presque les médecins de soigner et les chercheurs de chercher. À ces solitudes prégnantes face à ces trop nombreux questionnements s'oppose une insuffisance attentionnelle de la part de nos soignants qui n'est pas circonscrite à cette seule pathologie. En effet, si ceux-ci ne remplissent plus leur rôle d'écoutants, s'ils sont de plus en plus expéditifs et démunis humainement, du fait de la détérioration de leurs conditions de travail notamment, cette parole se retrouve alors confinée dans l'espace privé et dans les espaces numériques.
Qu'elle parvienne jusqu'aux instances politiques et médicales est une nécessité si nous souhaitons dépasser ce simple constat. Si l'on peut s'acquitter de son « devoir » de patient en s'impliquant personnellement dans les études de cohortes de suivi, comme celle de ComPaRe (communauté de patients pour la recherche) de l'AP-HP à laquelle je participe, nous sommes en droit d'attendre une contrepartie à la hauteur des promesses de « navire amiral » que représenterait la France dans ce domaine. À l'ancien ministre de la santé, Olivier Véran, qui arguait en janvier 2022, que l' « l'appropriation de la maladie revient à celles qui souffrent et qui soignent », nous pourrions lui rétorquer que l'appropriation de la maladie incombe tout autant au monde de la recherche à qui nous enjoignons de s'emparer à plein de cette problématique. Et surtout, sortons du « silence dans lequel les femmes atteintes d’endométriose sont recluses depuis trop longtemps», toujours selon l'ancien ministre.
Une Tribune relative au même sujet, issue de cette Lettre Ouverte est parue dans Libération le 24 mars 2023 et est à retrouver ici : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/endometriose-ou-en-est-le-plan-national-demmanuel-macron-20230325_LAEJ2DG63BHUTELU5LPHRGEB5Q/
Par Sofia Gérard sofiager9@hotmail.fr