Des leviers d’intervention qui n’ont que très peu évolué
En premier lieu, la Cour constate que les deux leviers principaux dont dispose l’État pour orienter l’action des fédérations sportives, qui sont l’établissement de conventions d’objectifs et la mise à disposition de conseillers techniques sportifs, ont très peu évolué malgré les préconisations formulées en 2013.
S’agissant des conventions d’objectifs et de performance, elles ont été établies avec une centaine de fédérations agréées, qui ont bénéficié à ce titre de 83 M€ en 2016. Toutefois ce montant a diminué de plus de 12 % depuis 2011. Si une certaine réallocation des subventions a été opérée en réduisant l’aide publique aux fédérations qui disposent de ressources propres importantes, le rapport relève que cette aide ne constitue pas un levier significatif, car elle reste marginale pour nombre de fédérations au regard de leurs ressources[1]. De plus, « les conventions sont standardisées et toutes fondées sur les mêmes objectifs très généraux ».
Quant aux quelque 1 600 conseillers techniques sportifs, leur répartition géographique et par disciplines sportives reste toujours figée, selon la Cour[2]. Ce levier n’est donc pas non plus décisif.
La gestion et la gouvernance des fédérations sportives dans le viseur
Les critiques les plus nettes formulées par l’institution de la rue Cambon portent sur la gestion et la gouvernance des fédérations, et retiennent notre attention à l’heure où il est question de leur accorder davantage d’autonomie et de responsabilités. Rejoignant les observations récentes de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, la Cour affirme que « l’autonomie du mouvement sportif ne s’est pas accompagnée de la mise en place de garanties de bonne gestion »[3]. Elle dénonce notamment « une gouvernance interne lourde, coûteuse et peu contrôlée ». En termes de démocratie, elle note que « les clubs sont rarement appelés à l’élection des instances dirigeantes », ce qui tend à éloigner le pouvoir de la base des bénévoles. Par ailleurs, la plupart des fédérations ont mis en place un nombre important de commissions, dont le fonctionnement s’avère pesant et onéreux. Pour autant, les contre-pouvoirs sont rarement assurés, et « la faiblesse de la démocratie fédérale permet des facilités de gestion à la limite de l’usage abusif de biens sociaux ». En outre, l’absence de limitation de la durée des mandats des présidents de fédérations favorise le manque de contrôle interne et l’inertie de la gouvernance.
Pour compléter ce tableau sans concession, on relève que les fédérations peinent à maîtriser leurs organisations territoriales, c’est-à-dire les comité départementaux et régionaux affiliées, qui s’organisent de manière très diverse et restent peu contrôlés. Quant au CNOSF, il ne parvient guère à « s’imposer à son propre réseau ».
Enfin, la Cour relève que le mouvement sportif dispose de « ressources dormantes » qui pourraient être davantage mobilisées pour soutenir le développement du sport pour tous, et sur lesquelles l’État ne se positionne pas.
Pour une nouvelle régulation du modèle sportif français
Sans surprise, la situation ainsi décrite appelle à revoir en profondeur la régulation de notre modèle sportif. Si la place de l’État est de fait plus réduite aujourd’hui, avec notamment le poids financier et médiatique du sport et l’engagement important des collectivités locales, son rôle de garant de l’intérêt général doit être maintenu. Or l’État dispose de moyens juridiques d’intervention qu’il ne mobilise pas. Il s’agit principalement de la délégation de service public qu’il accorde aux fédérations dites dirigeantes, qui constitue un acte juridique majeur en ce qu’il permet aux bénéficiaires de disposer d’importantes prérogatives de puissance publique. La Cour souligne que ces délégations ont une grande valeur économique, dont la juste valorisation pourrait conduire à réduire voire supprimer certaines subventions.
D’une manière plus générale, la délégation devrait être davantage individualisée et formalisée, pour permettre une meilleure prise en compte d’exigences relevant de l’intérêt général, tels que le respect de l’éthique sportive, une bonne gouvernance, la lutte contre le dopage, la formation des jeunes, la mise à disposition de joueurs pour les équipes nationales, etc.
La Cour préconise aussi « une gouvernance et des modes de gestion plus conformes à l’éthique et au service public », notamment à propos des marchés passés par les fédérations sportives, qui pourraient suivre les règles de la commande publique. Elle préconise enfin une limitation du nombre de mandats des dirigeants sportifs[4].
Pour finir, l’Union européenne est appelée à intervenir davantage en termes de gouvernance des fédérations sportives internationales. Ici encore, on constate que le principe d’indépendance du mouvement sportif a trouvé ses limites, avec des dérives que « l’absence de régulation publique internationale ne permet ni d’enrayer, ni de sanctionner ». L’Union européenne doit s’affirmer dans ce domaine, en s’appuyant sur ses États membres, malgré les limites tracées par l’article 165 du traité qui lui reconnaît une simple compétence d’appui. On souscrira volontiers à l’idée selon laquelle elle pourrait soutenir des initiatives concernant les conditions de candidature et d’accueil des manifestations internationales, la lutte contre le dopage ou la corruption, voire l’audit des fédérations internationales.
En conclusion, certaines analyses de la Cour pourraient être discutées, dans la mesure où elles s’appliquent surtout aux fédérations les plus riches et les plus influentes. Pour autant, il est difficile de ne pas souscrire à la plupart de ses recommandations, qui offrent des perspectives d’évolution qui méritent d’être prises en considération dans le débat en cours.
Si l’idée de confier davantage de responsabilités aux fédérations semble aujourd’hui s’imposer, en concomitance avec un certain allégement du rôle de l’État, il paraît indispensable d’accompagner cette évolution d’un renforcement significatif des exigences de transparence et de bonne gouvernance, tant en ce qui concerne les dirigeants sportifs que le mode de fonctionnement et de gestion des organisations sportives.
[1] Les fédérations qui disposent des ressources les plus importantes et dont la dotation a été réduite sont notamment celles de football, d’équitation, de tennis et de rugby. Pour le football et le tennis, la subvention attribuée représente à peine 0,4 à 0,5 % de leurs ressources.
[2] Placés auprès des fédérations, le montant de leur rémunération est pris en charge par l’État, pour un montant de 121,2 M€ en 2016.
[3] Rapport public C. des C. 2018, p. 416. Pour sa part, le Conseil de l’Europe va beaucoup plus loin en affirmant que « l’autonomie des organisation sportives a manifestement été exploitée de manière impropre et abusive ». Cf. Recommandation n° 2120(2018) adoptée par l’Assemblée parlementaire le 24 janv. 2018.
[4] En complément des dispositions de la loi n° 2017-261 du 1er mars 2017 visant à préserver l’éthique du sport.
Colin MIEGE, président du comité scientifique, Think tank Sport et Citoyenneté