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Billet de blog 18 mai 2020

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Quand le ministre cafouille, les instits bidouillent

La réouverture des écoles le 12 mai 2020 se serait donc bien passée. Pourtant, le ministre lui-même reconnaissait l'existence de « beaucoup de difficultés » et de « plein d'obstacles ». Mais, « plus de peur que de mal » nous dit-on. Or, ce retour est bien en trompe-l’œil pour qui analyse le tour de passe-passe qui nous a été offert. La ficelle était bien visible ! A condition d'ouvrir les yeux.

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Allaient-ils respecter le protocole ou bien leurs élèves ? Les professeurs des écoles ont finalement choisi d'assouplir le cadre officiel obligatoire en prenant des risques sanitaires et judiciaires inhabituels. Il leur avait pourtant été précisé que la réouverture devait se faire « dans le strict respect des prescriptions émises par les autorités sanitaires » (page 3). Certes, quelques images dérangeantes d'enfants parqués ont circulé ici et là, donnant à voir ce qu'est une école transformée, non pas en garderie, mais en gardiennage. Pour autant, a été souvent mis en avant le soulagement - sans doute sincère - des enseignants concernés, plutôt que les témoignages dissonants confirmant l'infaisabilité de la mise en œuvre globale du protocole officiel.

 Rappelons donc que si le bilan du retour d'enfants dans des structures scolaires a pu sembler positif, c'est pour des raisons évidentes et des circonstances exceptionnelles :

 => Faiblesse des effectifs constatés : on a parlé d'un million d'élèves. Cette estimation - que nul n'a pu vérifier - est apparue en titre de plusieurs articles sans un minimum de prudence vis-à-vis de la communication ministérielle. « Un million », ça sert à impressionner. Pourtant, rapporté au nombre d'enfants habituellement à l'école, on s'aperçoit que ça ne fait que 3 ou 4 élèves par classe.  On reste donc loin d'une « rentrée » ou d'une « reprise ». Pourquoi ne pas parler simplement d'accueil ?

=> Niveau inhabituel d'encadrement : forcément, Si 15 % des élèves sont accueillis par 50 % des enseignants, ça multiplie par trois le taux d'encadrement. Mais pour une réelle prise en compte des adultes, il faut également comptabiliser les ATSEM (Agents Spécialisés des Écoles Maternelles) et les AESH (Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap), voire même d’autres membres du personnel communal présents pour l’hygiène et le nettoyage.  Quand on se retrouve soudain à trois ou quatre adultes pour cinq enfants on comprend combien est inédite - mais aussi éphémère - cette situation.

=> Volontariat des parents : les enfants de retour en classe sont venus après décision parentale. Celle-ci a pu relever d'un choix mais aussi être imposée par le retour de parents sur leur lieu de travail. Des enquêtes ont montré que l'intention de remettre son enfant à l'école était plus forte dans les milieux aisés, ceux justement qui ont une plus grande connivence avec la culture scolaire et ses règles. Pourtant cela n'a pas empêché de réelles difficultés d'ordre affectif (oui, oui, la dame masquée avec une voix déformée qui ne veut pas s'approcher de toi, ni te prendre dans ses bras pour te rassurer, c'est bien ta gentille maîtresse !).

=> pression hiérarchique : Le ministre avait admis qu'une école ne pouvant respecter le protocole ne devait pas rouvrir. En bien des endroits, la volonté des autorités a été de passer en force malgré les indications contraires de l'Ordre des médecins et du Conseil scientifique. La hiérarchie a fait tout son possible pour donner l'impression que tout allait bien. Dans un message adressé aux directeurs d'école fin février, le Rectorat de Normandie interdisait de répondre aux journalistes : En cas de sollicitation des médias, je vous remercie de bien vouloir systématiquement renvoyer les demandes vers la cellule communication du rectorat […] et de n'accepter aucun reportage sur le traitement de la crise sanitaire du Coronavirus dans vos établissements ». Mais visiblement, pour le 12 mai, il y avait soudainement nécessité de faire de belles images pour le 20h.

 => non-respect du protocole : c'est le point le plus édifiant. Pour que cette réouverture se passe au mieux, le ministère a dû compter sur la capacité des enseignants à ne pas obéir aux recommandations en adaptant eux-mêmes ce protocole inapplicable. Ce « pragmatisme » et ce « bon sens », dont le ministre découvre enfin les vertus, lui auront permis de s'en sortir, en fermant les yeux sur une forme de désobéissance implicitement espérée. Parfois les vœux sont ainsi exaucés.

 Il apparaît clairement que cette « amorce » n'a strictement rien à voir à ce que serait une véritable reprise des cours (la reprise du travail n'a pas été nécessaire puisque les enseignants n'étaient pas en vacances comme l'ont laissé croire les « lapsus » de Sibeth Ndiaye le 25 mars puis Jean-Michel Blanquer le 12 mai). Il manquait à l'appel 85 % des écoliers et même s'ils reviennent en alternance (un jour sur deux, deux jours sur quatre, une semaine sur deux), l'objectif chiffré de 15 élèves à la fois dans une même salle semble totalement impossible à atteindre.

 Sans doute le ministre trouvera-t-il d'ici là une nouvelle façon de comptabiliser les élèves, les écoles et bientôt les collèges. Ainsi, n'est-il pas inutile pour finir, de revenir sur un joli tour de communication passé inaperçu. Lundi 11 mai, J-M. Blanquer a ainsi expliqué : « Dans toute la France [...]c’est à plus de 90% que les communes vont ouvrir leurs écoles cette semaine ». Attention : il n'est pas dit clairement que 90 % des écoles vont rouvrir mais que plus de 90 % des communes vont rouvrir des écoles. Dans de très grandes villes, il suffit donc que quelques écoles rouvrent pour que la commune soit ainsi comptabilisée ! Un tour comme ça, Houdini en serait resté baba !

 Sylvain GRANDSERRE
Maître d'école en Normandie
Auteur de « Un instit (confiné) ne devrait pas avoir à dire ça ! » 

Livre papier ou numérique (mars 2020):
https://www.esf-scienceshumaines.fr/hors-collection/355-un-instit-ne-devrait-pas-avoir-a-dire-ca-.html

Supplément numérique gratuit indépendant (mai 2020) :
https://www.esf-scienceshumaines.fr/pedagogie/361-un-instit-confine-covid-19.html

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