SYLVAIN MORAILLON
Président de la Ligue française des droits de l'enfant, président de l'Adua, vice-président de Violette Justice
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Billet de blog 8 juin 2016

SYLVAIN MORAILLON
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TOUS ENFANTS DE LA RÉPUBLIQUE

DES VALEURS POUR VIVRE ENSEMBLE : Notre devise républicaine ne consiste pas seulement en un idéal qu’il faut atteindre. Elle est aussi ce qui nous lie les uns aux autres et permet à notre société d’exister : pas de liberté sans égalité, pas d’égalité sans fraternité, pas de fraternité sans laïcité.

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Illustration 1

 De la Liberté

Selon l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme de 1789, la liberté est ainsi définie :

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »

À elle seule, cette phrase contient la plus solide fondation de la République : chacun est libre  tant qu’il ne porte aucun préjudice à l’autre, ce qui inclut la liberté d’agir, de penser, de s’exprimer, de vivre comme il l’entend. La seule limite posée est celle de la loi, mais la loi elle-même se voit imposée sa propre limite en ce qu’elle « est l'expression de la volonté générale » (article 6).

De l’Égalité

Le principe de l’égalité républicaine repose quant à elle sur le postulat posé par l’article 1er de la déclaration des droits de l’homme de 1789 :

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

S’il paraît utopique d’affirmer l’égalité sociale comme principe intangible, autrement dit absolu, il en va différemment de l’égalité des droits, qui est accordée à tous par la République : chaque citoyen bénéficie des mêmes droits dès sa naissance, et les conserve toute sa vie. Ainsi en va-t-il, par exemple, devant la loi, comme le dispose la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1795 : « L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. L'égalité n'admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs. »

De la Fraternité

Il en existe plusieurs interprétations : la première, d’après l’historienne Mona Ozouf, étant la « fraternité de rébellion », incarnée, lors du serment du jeu de paume en juin 1789, par l’union des députés qui décidèrent de braver l’ordre de dispersion du roi Louis XVI : « Nous faisons serment solennel de ne jamais nous séparer, et de nous rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »

À l’origine, dans son esprit premier, la notion de fraternité est donc celle d’une allégeance à une cause commune, celle de la Constitution face à l’ancien régime.

Le principe de fraternité semble donc pour sa part difficile à définir.  Mais il semble bien résumé dans cette sentence qui figure également dans la déclaration de 1795 :

« Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir. »

Au-delà de la maxime, certes idéaliste, notre République repose sur un fonctionnement solidaire qui permet d’assurer la pérennité de la société et la dignité de chacun à travers les époques et les âges de la vie : ainsi, par exemple, les actifs financent par leur travail la retraite de leurs ainés.

Dans ses différentes rédactions successives, la déclaration des droits de l’homme prend toujours soin d’englober « toute la société, tous les citoyens, tout homme, tout individu ». La fraternité consiste dès lors à préserver la dignité de tous en assurant la sécurité de chacun, en veillant à ce que nul ne puisse dominer les autres :  « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » (article 12 de la déclaration de 1789).

Un peu d’histoire

C’est Camille Desmoulins qui, le premier, associe les trois termes dans cet ordre en 1790.  Dans son journal Les révolutions de France et de Brabant, à propos de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, il écrit : « Après le serment surtout, ce fut un spectacle touchant de voir les soldats citoyens se précipiter dans les bras l'un de l'autre en se promettant, liberté, égalité, fraternité.»

Mais c’est Robespierre, qui, dans son Discours sur l'organisation des gardes nationales, imprimé en décembre 1790, en fait réellement une devise. Il rédige ainsi l’article 16 de son projet de décret : «  Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇAIS, et au-dessous : LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation. »

Reprise par le club des Cordeliers le 29 mai 1791 puis lors de la fête de la liberté le 15 avril 1792, c'est finalement la Commune de Paris qui l’adoptera officiellement le 21 juin 1793. Son maire, Jean-Nicolas Pache, ordonne alors de faire peindre sur les murs de la maison commune la formule : « La République une et indivisible - Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort ».

Sous l'Empire et la Restauration, la devise est abandonnée. Mais elle reparait avec les révolution de 1830 et de 1848, année où la IIème République l’adopte comme devise officielle le 27 février 1848 grâce au futur député Louis Blanc. À nouveau occultée sous le second empire, la devise est définitivement adoptée comme symbole officiel sous la IIIème République, et réinscrite sur le fronton des édifices publics à partir du 14 juillet 1880.

Le régime de Vichy la remplacera par la devise Travail, Famille, Patrie, mais la constitution de 1946, au lendemain de la guerre, la fera entrer durablement dans l’identité républicaine de la France.

Perspectives 

Dans les périodes de crises et d’agitation, les valeurs républicaines sont régulièrement mises à mal : le régime de Vichy remplace Liberté, égalité, fraternité par Travail, famille, patrie. C’est, au-delà du symbole, qui acte du renversement de la république, l’image d’une autre société fermée sur elle-même, où l’individu n’est plus citoyen de la nation mais soumis à un état autoritariste dans lequel la fraternité et la liberté n’ont plus court, et où l’égalité n’a plus d’existence ni de signification puisqu’elle est remplacée par la logique de l’arbitraire.

Mais dans les phases de troubles économiques comme celles que nous traversons, la vigilance que nous devons observer pour préserver les valeurs de la République est tout aussi importante. La tentation sécuritaire des états qui se sentent menacés et redoutent de perdre le contrôle de la situation ouvre la voie à de nombreuses restrictions des libertés individuelles, et à une surveillance accrue des citoyens. Les difficultés économiques fragilisent la fraternité en exacerbant le repli sur soi : on n’aide plus les autres parce que l’on a peur ou que l’on tente soi-même de s’en sortir, et l’interaction entre tous est réduite au strict nécessaire. C’est justement dans les périodes où il faut se tendre la main que l’on serre les poings. Dans la même logique, l’égalité semble alors redevenir hors de portée : réflexe identitaire, manque de ressources, absence de travail, conduisent à vouloir réduire les droits des autres ou à justifier les abus de droit les plus divers.  Quand les citoyens commencent à penser que la loi n’est plus la même pour tous, la République est chaque fois remise en cause dans ses fondements et doit réaffirmer ses principes afin de les préserver.

Tous enfants de la République

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), quoique tardive puisqu’elle ne date que de 1989, est un héritage direct de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et son élargissement aux enfants mineurs de toutes origines ethniques, culturelles ou sociales. Elle les place à leur tour dans une logique d’égalité de droits, de liberté d’être et de penser, en leur reconnaissant la qualité d’individu à part entière. Dans cette optique, l’éducation nationale marque d’ailleurs une immense avancée républicaine, car elle offre l’égalité des chances à tous, permettant d’acquérir une instruction à tous les enfants quelle que soit leur origine sociale.

La CIDE réaffirme également le principe de fraternité, cette fois-ci en rappelant aux adultes qu’ils ont leurs propres devoirs face aux enfants, qu’ils doivent leur apporter bien-être et protection tout en veillant à leur éducation.

Aujourd’hui, pour la plupart des enfants et des adolescents, les principes fondamentaux qui régissent la République semblent acquis depuis toujours. Ils ont la force de l’évidence. La France est un pays de libertés individuelles, où l’égalité des chances et des droits est une valeur absolue, et où la fraternité induit que chaque membre de la société est interdépendant des autres. L’histoire démontre pourtant qu’il n’en est rien : la République doit toujours se conquérir et se reconquérir. Sa devise Liberté, égalité, fraternité, a déjà plusieurs fois disparu des frontons et le risque que cela se produise à nouveau n’est jamais tout à fait écarté.

Il appartient à tous de transmettre ses valeurs, de les partager et de les faire vivre. Pour les enfants, et tous les jeunes d’une manière générale, la question est d’en prendre conscience, et d’agir afin que leurs propres droits, ceux qui leur sont donnés à la naissance par la République, continuent d’être respectés, et même d’être renforcés quand l’évolution de la société l’appelle à travers ses exigences de progrès politique et social.

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