SylvainPö (avatar)

SylvainPö

Abonné·e de Mediapart

61 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 décembre 2014

SylvainPö (avatar)

SylvainPö

Abonné·e de Mediapart

Route Verglacée

« Curieuse activité solitaire que celle d’écrire. Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et alors, la tentation est grande de revenir en arrière et de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route. 

SylvainPö (avatar)

SylvainPö

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Curieuse activité solitaire que celle d’écrire. Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et alors, la tentation est grande de revenir en arrière et de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route. C’est un peu comme d’être au volant d’une voiture, la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité. Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas faire marche arrière, vous devez continuer d’avancer en vous disant que la route finira bien par être plus stable et que le brouillard se dissipera. » Extrait du discours de réception du Prix Nobel de Littérature de Patrick Modiano

Je l'impression en effet que nous roulons tous sur une étrange et brumeuse route verglacée ou nous évitons la sortie de route au prix de savants dosages entre freinage et accélération, et dans lesquels la chance et l'irrationnel tiennent haut leur place au même titre que notre intelligence ou notre aptitude à garder notre calme.

Vendredi un ami m'envoyait une brève qui reprenait une récente citation d'un célèbre scientifique, en l'occurrence Stephen Hawking. Celui-ci y déclarait que la survie de l'Humanité était désormais menacée par l'intelligence artificielle. Je répondais à mon ami que j'y voyais là une nième manifestation de la pensée unique. Le Cognitivisme dominant béni par le pape de l'astrophysique. J'argumentais qu'au départ nous avions conçu les ordinateurs sur le même modèle que nos cerveaux, et que maintenant nous modélisions nos cerveaux à l'image des ordinateurs. Et que du coup notre idée du cerveau convergeait dans un jeu de miroir avec l'ordinateur. Je conseillais à cet ami de lire "Un sage est sans idée" de François Jullien, un philosophe et sinologue trop peu connu, et dont voici un extrait.

Sans idée" signifie qu'il se garde de mettre une idée en avant des autres: il n'est pas d'idée qu'il mette en tête, posée en principe, servant de fondement ou simplement de début, à partir du quoi pourrait se déduire, ou du moins, se déployer sa pensée (...) "Sans idée" signifie que le sage n'est en possession d'aucune, prisonnier d'aucune.

Et comme François Jullien est là pour nous éclairer sur la pensée chinoise, je me disait finalement que l'ordinateur ressemble surtout à un cerveau occidental. Y a-t-il des machines capables de ne pas penser, de méditer, de faire de la poésie?

Samedi, j'ouvrais un vieille cantine abandonnée sur la terrasse pour y découvrir parmi divers objets obsolètes le livre de Stephen Hawking, une brève histoire du temps. Par quel miracle de la déformation de l'espace temps, le nom de l'astrophysicien, était-il apparu à deux reprises sur ma route verglacée en à peine vingt-quatre heures d'intervalle alors qu'il n'avait pas traversé mon esprit depuis au moins vingt années? 

Dimanche en prenant le thé, une amie me confiait qu'elle était en train de relire La Case de L'Oncle Tom et qu'elle y découvrait une oeuvre majeure alors qu'elle l'avait toujours méprisée.

Lundi matin, c'est un plombier qui sonnait à ma porte tôt le matin. Il était là pour chercher une fuite d'eau qui envahissait le plafond de mon voisin à l'étage inférieur. Nous finîmes tous deux par ramper sous l'escalier dans la remise parmi d'autres vieilles caisses en quête d'un tuyau percé. Je sortais une caisse justement pour faire plus de place, et aussi parce que elle m'avait, comme on dit pour une jeune fille, tapée dans l'œil. J'y découvrais de vieux livres d'enfance que je m'empressais d'offrir à mon fils. Et au fond de la caisse, dormait caché depuis plus de trente ans, la case de l'oncle Tom que je n'avais jamais lu. Il repose maintenant désormais sur ma table de nuit près à être livré à mon examen.

Aujourd'hui je filais tôt le matin à une de ces conférences ennuyeuses à laquelle j'assiste de temps à autre. Les transports en commun m'y menaient tant bien que mal. J'aurais pu y arriver à neuf heures moins le quart ou à neuf heures vingt. Peu importe. Lorsque j'entrais, je passais au vestiaire pour y déposer mon manteau, ce que je fais rarement. On me remit un ticket dont le numéro m'intrigua toute une journée, le huit cent quatre-vingt huit. Chacun sait que dans la culture chinoise il est signe d'une incroyable chance, et mon épouse à qui je communiquais cette anecdote s'empressait de passer des ordres à l'autre bout du monde, quelque part à trois degré de l'équateur dans une lointaine et ancienne colonie britannique, afin qu'on acheta un nombre important de billets de loterie. 

Ainsi surgissent depuis quelques jours ces évènements sur ma route verglacée. Impossible de faire marche arrière. La seule solution est de continuer à écrire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.