C'est la débandade. L'Olympe se vide pour Jupiter, après le départ en caravelle du navigateur Gérard Colomb.
Mais au-delà du tragique de l'événement, ne l'oublions pas, « l'arbre ne doit pas nous cacher la forêt ».
(L'expression L'arbre qui cache la forêt est une métaphore servant à désigner la fixation sur un détail sans voir la chose dans son ensemble. Un événement capte notre attention, nous empêchant de voir quelque chose de plus ample et de plus global.)
Nous ne céderons pas à ce défaut, surtout aujourd'hui 5 Octobre, lendemain du 60e anniversaire de la promulgation de la Constitution de la Ve République, le 4 Octobre 1958.
Replaçons donc tout simplement ce tragique accident de montagne, le dévissage d'un premier de cordée, dans le contexte du moment : l'admission au Service de Soins palliatifs de l'Hôpital de la Sainte Constitution, d'une sexagénaire en phase terminale.
Le Dr Corbillard, médecin-chef du Service de Soins palliatifs et spécialiste de médecine constitutionnelle a bien voulu répondre à notre question : saine ou mauvaise Constitution ? De quelle terrible affection se meurt donc la célèbre sexagénaire ?
Dr Corbillard, au-delà des soins dont vous entourez aujourd'hui la patiente, nous souhaitons qu'ils puissent adoucir les affres de son agonie, pouvez-vous nous expliquer la pathogénie de cette étrange affection en passe d'emporter, disons-le carrément, la future défunte ?
Bien volontiers, cher ami ! Car au-delà de l'obligation au sacro-saint secret médical, notre diagnostic doit être utile au grand public et surtout à l'élaboration d'un Nouveau Vivre Ensemble, pour le dire simplement, une nouvelle Constitution.
En premier lieu, et l'essentiel du mal provient probablement de là, nous mettrons en avant les circonstances troublées de la naissance de la malheureuse. Une conception et une venue au monde sous de fâcheux auspices. Enfant de l'arrivée au pouvoir du Général De Gaulle faisant plier le corps républicain malade de la IVe grâce au chantage au coup d'état militaire des factieux d'Alger, la Constitution de la Ve est la seule de nos constitutions républicaines à n'avoir pas été élaborée par une Assemblée Constituante. Même celle de la IIIe République, en 1875, l'avait été, sinon par une Constituante, du moins par une Législative.
Rédigée par un comité désigné par l'Exécutif et non par une Constituante, la Constitution de la Ve République se distingue finalement très peu, dans son mécanisme d'élaboration, de la Loi Constitutionnelle du 10 Juillet 1940, dont l'article unique stipulait que la Constitution de l'État Français serait rédigée sous l'autorité et la signature du Maréchal Pétain.
Ratifiée tout de même par référendum le 28 Septembre 1958, elle porte, dès sa venue au monde, la tare originelle fondamentale : enfant du despote et non du peuple souverain.
Dr Corbillard, la naissance dans de telles conditions conduisait-elle obligatoirement à une telle évolution ?
Les années de jeunesse voient rapidement s'affirmer ce qui était en germe dès la conception : la volonté permanente de la mise sous tutelle des Assemblées élues, piliers traditionnels, en France et à l'étranger, de tous les systèmes républicains, avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962. Situation qu'un opposant célèbre de l'époque qualifiera de « Coup d'état Permanent ».
Le fondateur disparu, les épigones se succédèrent, démontrant à leur tour que la tare du Pouvoir Personnel ne tenait pas à l'Homme, quel qu'il soit, mais à l'Esprit de la Constitution elle-même : dissolutions régulières des Assemblées lorsqu'elles cessent de convenir ; fait du prince pour toutes les nominations aux plus hautes fonctions ; jusqu'à la maîtrise du pouvoir, seul, de déclarer la guerre.
Congestion progressive jusqu'à la pléthore, organisée pour obtenir l'allégeance des Assemblées et du Chef de gouvernement, et jusqu'à la concentration maximale de tous les pouvoirs autour d'Un Seul avec l'instauration, en 2000, du Quinquennat et d'un calendrier électoral subordonnant à l'extrême l'Assemblée au Président.
Il semblerait bien, Dr Corbillard, que ces deux derniers éléments, le Quinquennat et le calendrier électoral, faisant du Parlement le paillasson du Président, aient joué un rôle fatal.
Tout à fait ! Car après la pléthore et la congestion, l'évolution irréversible se faisait vers la dégénérescence. Après l'hystérisation du Pouvoir d'Un Seul sous les traits d'un histrion bling-bling, grossier, narcissique, prêt à tout et poursuivi pour tel maintenant par toutes les instances judiciaires, après l'hystérisation qualifiée d'hyperprésidence et une accalmie trompeuse dite de normoprésidence, les phénomènes christiques ont repris de façon exacerbée avec les invocations permanentes à l'Olympe, Zeus et Jupiter.
Nombre d'affections en phase terminale présentent de tels phénomènes d'acmé, telles les dernières étincelles d'un foyer qui s'éteint.
Dr Corbillard, un dernier espoir peut-être ! La réforme constitutionnelle annoncée pour les prochains mois ne pourrait-elle pas empêcher cette évolution fatale ?
Je n'y crois pas un instant. La convocation en Congrès d'ours savants pour les habituels exercices cosmétiques ne changera rien. La malheureuse est condamnée. Il est plus que temps aujourd'hui pour le Souverain – le Peuple, ses associations, ses comités, ses intellectuels et ses 60 millions d'anonymes – de rédiger, non pas un Cahier de doléances, mais un Cahier de propositions à l'attention d'une Constituante élue.