(Siège de CalPERS - 228, Quality Street - Sacramento - Californie)
Il ne s'agit à ce stade que des bases, d'ailleurs difficilement distinguables au travers du laborieux écran de fumée de ses promoteurs, que des bases, disions-nous, mais elles livrent déjà un aperçu inquiétant des bouleversements à venir.
Nous voulons parler là de l'explosif dossier de la Réforme des Retraites, nous ne dirons pas en cours d'élaboration, mais de concoction.
(Le terme peu utilisé de concoction renvoie au verbe concocter, du latin concoquare, faire cuire ensemble ; en français familier, préparer minutieusement.)
Il nous a paru utile, pour y voir plus clair dans ce qui s'annonce comme peut-être un tournant de civilisation, de prendre l'éclairage du Dr Mabuse, au siège de CalPERS, à Sacramento.
Célèbre psychologue, hypnotiseur et criminel, une des plus célèbres et terrifiantes incarnations du « génie du mal », le Dr Mabuse a abandonné depuis longtemps les rôles maléfiques sur les plateaux cinématographiques pour la respectable activité de Directeur de la Communication au sein du géant californien, le fonds de pension CalPERS (Californian Publics Employees Retirement System).
Tout d'abord, chers lecteurs, qu'est-ce qu'un fonds de pension ? Un fonds de pension,vous remarquerez son pluriel et ne confondrez donc pas avec un fond de sauce, un fond de culottes, encore moins un fond de tiroir, un fonds de pension est une société d'investissement consacré à la retraite par capitalisation. À la quantité d'argent épargné et versé tout au long d'une vie de travail, et merci subséquemment à cet organisme philanthropique, correspondra au final un nombre de points et une rente viagère, le moment venu de la retraite. Le fonds s'étant chargé entre-temps d'avoir fait « fructifier » les sommes engagées.
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Revenons au Dr Mabuse. Recruté en tant que Directeur de la Communication par CalPERS pour son extrême avenance, ses talents de clarté d'exposition et son sens de la formule, le Dr Mabuse nous reçoit aujourd'hui dans son bureau, Quality Street, à Sacramento.
Nous le pressentons, l'excellent homme ne devrait pas tarder à nous éclairer sur ce qui est en jeu aujourd'hui dans cette réforme des retraites annoncées pour le Printemps 2019.
Dr Mabuse, la « réforme » semble être devenue en France, depuis près de 20 ans, le mode d'être permanent de la retraite. C'est toujours la dernière, en attendant la suivante. Que cela peut-il bien signifier, ou, nous sommes devenus méfiants, que cela peut-il bien cacher ?
Cher ami, campons tout d'abord la problématique du financement de la retraite. Nous y verrons ainsi plus clair. Dans les sociétés développées, et depuis environ deux siècles, ce financement peut prendre trois formes monétaires non exclusives et quelquefois juxtaposées : Salaire, Rente ou Allocation.
(1) Soit il s'agit d'un Salaire continué au-delà d'une carrière professionnelle et financé par les cotisations des toujours actifs. C'est le mécanisme collectif de la Répartition.
(2) Soit il s'agit d'une Rente versée en fonction d'une épargne individuelle accumulée durant la vie active et placée dans le circuit lucratif. C'est le mécanisme privé de la Capitalisation.
(3) Soit, enfin, il y aura toujours des miséreux, il s'agit d'une Allocation versée au titre de l'assistance et financée par l'impôt, constituant ainsi une sorte de filet de sécurité accessible à tous ceux dont les deux précédents mécanismes ne peuvent assurer la survie. En quelque sorte, un mécanisme de type minimum - vieillesse financé par l'impôt sur le revenu.
Merci Dr Mabuse, de ce très didactique préliminaire. Justement, qu'en est-il en France aujourd'hui ?
En France, c'est le dispositif (1) qui s'est imposé au cœur du modèle social, en lien avec l'extension de la condition salariale depuis la Libération et les préconisations du Conseil National de la Résistance en 1945. Avec l'accroissement de la richesse nationale depuis 70 ans, il a su absorber sans problème l'augmentation des retraités. Certes, les plus riches pouvaient toujours compléter leur pension par des revenus de capitalisation ; et pour les plus pauvres, restait le filet de sécurité d'une allocation d'assistance. Mais globalement, le régime de répartition est devenu la norme, s'attaquant aux inégalités par les deux bouts, l'affaiblissement de la rente et la résorption de l'assistance.
Mais, Dr Mabuse, tout cela paraît fort bien. Qui plus est, parfaitement moral et équilibré. En quoi, la Réforme, ce terme piégeux qui nous met toujours en alerte, serait-elle devenue nécessaire ?
Pour les élites politico-économiques et leurs relais médiatiques, il convient aujourd'hui d'adapter tout cela aux contraintes de l'économie mondialisée et à son marketing néolibéral. Le tout, en profitant de l'affaiblissement politique du monde du travail. Après tout, la société salariale n'est pas la fin de l'histoire.
Tout l'art de la chose, et nous saluons en cela l'habileté de votre gouvernement parlant de retraite par points – la formule est toute empreinte d'une logique individualiste – tout l'art de la chose doit consister à substituer progressivement au mécanisme collectif de la Répartition, l'abolir n'est aujourd'hui pas dans nos moyens, celui individualiste de la Capitalisation. Le rendement de la Répartition s'amoindrissant pour les futurs retraités, ce sera le résultat de la Réforme, les salariés qu'ils sont encore se tourneront de plus en plus vers la Capitalisation. Épargner pour ses vieux jours, quoi de plus humain.
Nous sommes tout prêts à les accueillir. CalPERS cherche en ce moment même ses futurs bureaux à Paris. Il est d'ailleurs fortement question que j'entraîne moi-même la direction.