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Toujours tenter, derrière les symptômes, d'identifier la maladie ; derrière les faux-semblants, la réalité (Louis Pasteur).

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Billet de blog 27 février 2019

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« J'ai peur d'accoucher dans la neige au bord de la route »

La neige est tombée drue la nuit précédente sur le Haut-Jura, prés de Saint Claude.

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(Ministère des Solidarités et de la Santé - 14, rue Duquesne - Paris 7°         27 Février 2019)

Illustration 1

          « J'ai peur d'accoucher dans la neige au bord de la route ! » C'est le cri poignant de Doriane. La neige est tombée drue la nuit précédente sur le Haut-Jura, près de Saint-Claude. Doriane est maintenant au dernier mois de sa grossesse et songe avec angoisse à la route en lacets qui devra la mener à la Maternité de Lons-le-Saunier, à 60 km de là, lorsque surviendront les premières douleurs du travail.

  À 60 km, car la Maternité de Saint-Claude, où elle est née il y a 25 ans,  doit maintenant fermer. Ainsi en a décidé l'Agence Régionale de Santé de Bourgogne Franche-Comté.

          C'est ce cri d'angoisse et de douleur que nous venons aujourd'hui porter, 14, rue Duquesne à Paris, au siège de son ministère, celui de la Santé, à Mme la Ministre Agnès Buzyn.

  Au-delà de ses responsabilités ministérielles, Mme Buzyn est médecin, spécialiste reconnue en hématologie, et professeure des Universités. Nous la pensons digne d'entendre cette souffrance et cette angoisse, peut-être aussi apte à y porter remède.

Illustration 2

          Bonjour, Mme Buzyn. Nous interrogerons  la femme et le médecin. Que répondre à Doriane et à son angoisse, comme à celle de nombreuses futures mamans de cette France dite « périphérique », celle des Gilets Jaunes justement ?

  Oui, cher ami, ces choses nous mettent à la torture. C'est pour des raisons de sécurité que la Maternité de Saint-Claude se voit aujourd'hui retiré son agrément de fonctionnement. De pures raisons de démographie médicale. Nous n'avons plus les médecins nécessaires.

  Après maintenant prés de 50 ans de numerus clausus, cette épouvantable affection, les échéances sont terribles. Nos territoires ne disposent plus, malgré des infrastructures sanitaires et hospitalières de bon niveau, ne disposent plus des praticiens nécessaires à leur fonctionnement. 

          Le numerus clausus, Mme la Ministre ?  Une nouvelle maladie, un nouveau virus ? 

  Non, cher ami, beaucoup plus prosaïque et heureusement non contagieux.

(Le numerus clausus, nombre fermé, est la formule retenue pour désigner le nombre fixe d'étudiants admis, chaque année, à l'entrée aux études médicales. Il fixe irrémédiablement le nombre d'admis au cursus des professions de santé. Instauré en 1971, à la barre 8500, il dégringolait vertigineusement pour atteindre 3500 en 1993, remontant légèrement depuis le début des années 2000, jusqu'au niveau 7500 en 2013, aux alentours de 8500 aujourd'hui.)

Illustration 3

          Mais, Mme la ministre, quelles furent les raisons invoquées alors, dans les années 1970, pour justifier une telle mesure, poursuivie qui plus est de façon drastique jusqu'à aujourd'hui ?

  La raison officielle et toute technocratique et, regrettons-le, avalisée alors par les instances représentatives de la profession, Conseil de l'Ordre et instances syndicales, la raison officielle était, terme encore médical, la « pléthore » des professions de santé, pléthore rendue responsable d'un excès des dépenses de Sécurité Sociale, le plus que fameux « trou », et de la charge que cet excès représentait, par le prélèvement de cotisations, pour la profitabilité de nos entreprises. Oui, on parlait déjà du « coût du travail ». Oui, vous le savez, la cotisation est l’ennemie du dividende. 

  Ceci alors que, et maintenant nous le savons bien, la progression des dépenses de santé est principalement due à l'élévation de l'espérance de vie et à la sophistication toujours plus poussée des technologies de diagnostic et de soin.

          Mme la ministre, nous vous sentons plus que dubitative à l'exposé du bien-fondé de cette mesure.

  Oui, ceci et d'autant plus que son palliatif, les importations sauvages d'infirmières espagnoles, de médecins roumains, libanais, algériens ou maliens, ce palliatif n'a jamais pu résoudre le problème.

  Je ne parle pas de son aspect relativement immoral, priver ces différents pays de ces mêmes professionnels et dilapidant ainsi l'investissement qu'ils avaient consenti dans leur formation. Toutes précieuses économies pour nous-mêmes, reconnaissons-le.

          Quelles pourraient être alors, Mme la Ministre, les raisons de fond de ce refus de notre État de former en nombre suffisant les professionnels dont il a besoin ?

Illustration 4

  Il y en a probablement de nombreuses. Sont-elles avouables ? Pour ma part, j'y vois, en grande partie, le souhait de la technostructure qui nous dirige au niveau de l'UE et de sa Commission, le souhait de voir affaibli le rôle du corps médical dans la vie sociale et politique française.

  Le médecin, il en est ainsi de tous les soignants, de par leur exercice justement, le médecin est un homme ou une femme de terrain, à son contact et à son écoute, connaissant bien le peuple, ses besoins, ses difficultés, ses aspirations.

  Quoi de plus dangereux pour la technostructure néo-libérale qui nous gouverne dans l'ombre par le biais d'appareils politiques fantoches, quoi de plus dangereux et tyrannique qu'une telle profession ? Profession, dont un des fondamentaux, le serment hippocratique, même dévoyé et contourné, est un véritable défi aux logiques de rentabilité et de marchandisation. Une profession, dont les injonctions en matière de santé au travail, de prévention sanitaire, de sécurité alimentaire, sont autant d'obstacles à l'agrobusiness, à l'intensification du travail industriel ou commercial, au forcing des laboratoires pharmaceutiques, toutes vaches sacrées de l'UE néo-libérale.

   Oui, c’est bien l’objectif. Fragiliser la profession en la rendant moins homogène.

          Mme la ministre, ne forcez-vous pas le trait ?

  Non, je ne pense pas. Disant cela, je ne présente pas la profession comme une armée de bienfaisance et de vertu, bien consciente que la logique marchande n'épargne aujourd'hui aucun secteur et que tous les jours peuvent nous apporter des exemples de manquement et de déviance dans la bonne administration des soins.

  Mais il y a probablement beaucoup de cela, pas que de cela, dans ces 40 années poursuivies de sape, aboutissant aujourd'hui aux déserts médicaux, aux files d'attente pour consulter dans nombre de spécialités, aux fermetures d'établissements, et j'en passe.

          Merci, Mme la ministre. Vos propos nous laissent songeurs. Mais nous aurons l'honnêteté, espérons ne pas les avoir déformés, de les faire connaître à nos lecteurs. Nous vous saluons et comprenons maintenant la dure nécessité pour vous de valider la fermeture de la malheureuse Maternité de Saint-Claude. Le numerus clausus. Nous sommes heureux de savoir que vous comptez le remettre en cause. 

Illustration 5

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