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Billet de blog 9 août 2023

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Autisme sans déficience : sortir du schéma lacanien pour traiter le trouble

Les sciences de l'esprit ont connu un essor décisif avec l'introduction des méthodes du psychiatre français Jacques Lacan. Néanmoins, ces thérapies lacaniennes visant à traiter leurs patients en le liant à des névroses ou des psychoses semblent dépassées.

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Une vie, une œuvre : Jacques Lacan (1901-1981) © Rien ne veut rien dire

Illustration 2

Émergence des thérapies lacaniennes

Lorsqu’ils prennent en charge des patients ayant subi des traumatismes psychologiques, les psychiatres français s’inspirent souvent d’un constat fondamental dans les œuvres de Sigmund Freud et Jacques Lacan : tout acte psychique nécessite la présupposition d'autres actes inconscients, influençant l'activité psychique de chaque individu. Or, Caroline Coq-Chordoge, journaliste santé à Mediapart, démontrait dès 2018 dans une enquête sur la méthode ABA les échecs de ces méthodes sur de nombreux cas cliniques. Un jeune psychiatre ayant été confronté pour la première fois à des patients HPI témoigne. « Lorsque j’ai eu mon poste dans un CMP à Nantes, l’un de mes premiers patients fut un jeune HPI ayant un trouble post-traumatique. Quelques mois avant le début de la thérapie, il avait fait un saut de plus de 10 mètres dans un centre commercial. » Dans un premier temps, le jeune psychiatre prescrit de la Quétiapine à son patient, et l’amène à consulter d’autres spécialistes pour voir s’il ne présente pas des troubles de la bipolarité. « En bon lecteur des livres de Jacques Lacan, je pensais que l’inconscient était intrinsèquement social, et que mon patient avait développé des troubles post-traumatiques dans une société française où les HPI sont mal intégrés. » Puis, convaincu que la psychiatrie et la psychanalyse ne peuvent ignorer comment le lien social est constitué, notamment dans leur dimension politique, le médecin nantais laisse rapidement entendre que les névroses de son patient sont liées à son expérience sociale anxieuse, puisqu’avant son accident, il avait fait deux années de prépa maths-sup. « Dans son œuvre, clame-il, Jacques Lacan insiste sur l'interrelation entre psychologie individuelle et psychologie sociale. Donc, les raisons de cette tentative de suicide me semblaient évidentes. Elles devaient forcément être liées aux problèmes sociaux que mon patient rencontrait : troubles de la communication, intérêt très spécifiques, besoin constant d’être stimulé intellectuellement quitte à perdre toute forme de lien social… ». En effet, Jacques Lacan explique dans son œuvre que toute manifestation de l'inconscient s'inscrit dans une intersubjectivité socio-politique que le jeune psychiatre voit également chez des personnalités comme Julian Assange. En lisant un billet de Jean Vinçot consacré au fondateur de Wikileaks, le jeune psychiatre trouve beaucoup de points communs entre son patient et le journaliste. « Comme Julian Assange, qui n'a pas mesuré l'impact socio-politique de ses révélations du fait de son trouble post-traumatique, mon patient ne peut pas supporter les bavardages sur des choses légères, et se sentait constamment obligé de parler de politique ou de sciences dures avec ses interlocuteurs, sans prendre en compte l’impact que ses actes avaient sur un plan social et politique, ce qui confirme la thèse de Jacques Lacan. »

"l'inconscient, c'est la politique".

 Convaincu que ce cas clinique pouvait être analysé à partir des concepts lacaniens, le jeune psychiatre va encore plus loin, et suggère comme Jacques Lacan que "l'inconscient, c'est la politique". « Cette perspective suggère que l'inconscient se manifeste non seulement dans un contexte social vis-à-vis de l'Autre, mais s'organise aussi fondamentalement autour des notions de pouvoir. » En effet, pour ce cas clinique, le psychiatre s’inspire d’une leçon de Lacan, où il discute de la notion d'"être refusé". « Cette notion proposée par Edmund Bergler pour caractériser un désir masochiste chez certains patients ayant différents troubles psychiques me semblait assez pertinente pour comprendre son fonctionnement ». En effet, dans ce cours, Edmund Bergler prétend que l'analyste doit encourager le patient à surmonter cette jouissance issue du rejet par l'Autre. « Je voulais en faire de même avec ce jeune centralien. J’étais persuadé que les raisons de sa tentative de suicide étaient en grande partie liées à son rejet d’autrui. Je voulais l’aider à surmonter ses troubles sociaux en lui donnant des antipsychotiques. Aujourd’hui, je suis convaincu que c’était une erreur. »  

De nouveau étudiant

Au bout de 5 séances, le jeune psychiatre a compris que son patient avait fait une crise d’épilepsie dans le centre commercial, et qu’il devait absolument aller consulter un neurologue. « Avant de rentrer dans le magasin, il m’affirme qu’il n’était pas dans une situation d’angoisse ou de stress particulière, et qu’il était simplement sensible au bruit et à la lumière. Je pense que tout cela est vrai. » Conscient que la frontière entre les troubles épileptiques et les psychosomatiques sont poreuses, le médecin nantais se trouve vite démuni. « Avant le début de cette thérapie, je voyais les syndromes post-traumatiques comme des troubles lié à des psychoses et une forme de bipolarité. Cependant, je n’avais aucune idée de l’erreur que j’étais en train de commettre dans mon diagnostic. A la fac, tous mes profs présentaient les autistes comme des personnes ayant des troubles du comportement pouvant être pris en charge par des antipsychotiques comme le Risperidone. ». Néanmoins, Aurélie, une autiste Asperger ayant eu des troubles post-traumatiques se montre sceptique quant aux effets du traitement. « Un médecin de CMP a déjà tenté de m'en faire prendre j'en ai pris 3 fois. C'était censé m'aider à dormir et à m'éviter de ruminer, en réalité ces médicaments m'embrouillaient la tête est me mettaient de mauvaise humeur. Je n'avais pas de prescription maximum pour ce médicament et avait le droit d'en prendre plusieurs à la fois. » Aurélie indique que ces proches ont constaté un changement rapide dans son comportement. Ils lui ont donc demandé de réduire la posologie de l’antipsychotique, ou de tout simplement arrêter de le prendre. Lorsqu’elle annonce ce choix à son médecin, la jeune fille se retrouve face à un mur. « La psychiatre de mon CMP a été très triste que j’arrête ce traitement. Elle fait partie de ceux qui ont noirci mon dossier psychiatrique en disant que je n’étais pas coopérative du tout. » Aurélie parle même d’une désinformation face à ses troubles post-traumatiques. « Il s'agit de raconter n'importe quoi à propos d'un TDN connu correctement à l'étranger ensuite il s'agit de continuer encore aujourd'hui dans l'univers collectif à penser que l'on est malade et que le handicap est à fuir. »  Puis, c’est en rencontrant des anglo-saxons respectivement australiens et américains qu’Aurélie réellement située face à l'horreur française, où le discours lacanien reste dominant, notamment dans les services de psychiatrie et les CMP. « Le trouble post-traumatiques clame-elle, est forcément liée à une autre façon de voir le monde. »

Un grand scepticisme

Curieux et conscient qu’il n'existe pas de traitement médicamenteux efficace pour les principales dimensions symptomatiques des TSA, le jeune psychiatre retourne à la BU d’une grande fac de médecine qu’il fréquentait lors de ses années d’internat. Il tombe sur quelques ouvrages et un article du blogueur  Mediapart Jean Vinçot laissant entendre que l'ocytocine est une option thérapeutique prometteuse. Néanmoins, il est toujours face au même problème. « Dans la majorité des ouvrages que j’ai consultés, clame-il, l'halopéridol reste la molécule que l’on conseille le plus aux psychiatres pour des patients HPI ayant un trouble post-traumatique. Néanmoins, on est toujours face au même problème : cette molécule démontre son efficacité sur des symptômes tels que l'agressivité, l'hyperactivité et l'impulsivité. Or, tous les autistes ne présentent pas ces troubles ». Puis, lorsqu’il prend le risque de prescrire une boite d’Ocytocine à son patient ingénieur, ce dernier se plaint rapidement des effets néfastes du traitement sur son fonctionnement cognitif. « Mes capacités d'apprentissage d’une formule de maths, de chimie, ou des lignes de code me permettant d’exécuter un programme informatique ont été impactés par ce traitement. J’étais moins efficace dans mon travail. De plus, je prenais du poids. » Donc, le patient et son médecin se trouvent sans solutions. « A ma grande déception, clame le jeune psychiatre, je n’ai trouvé aucune solution thérapeutique n'entrainant pas d’effets métaboliques indésirables chez mon patient, ni aucune surveillance clinique sur une potentielle prise de poids ou un changement de son rythme de sommeil souvent décalé, puisqu’il est dans un cursus universitaire où tous les étudiants travaillent plus de douze heures par jour. »

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