Ne jamais republier les pamphlets antisémites de Céline !
Aujourd’hui, une double page du Monde était consacrée à la difficulté croissante d’enseigner les faits et les penseurs antisémites français. Cette complexité découle d'un écart générationnel entre des adultes l’associant à des événements historiques comme l'affaire Dreyfus, où un pamphlet de Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre.
« Il me manque encore quelques haines. Je suis certain qu’elles existent. »
« Vous, "Cocorico" français, partirez pour la guerre, à l'heure choisie par le Baron Rothschild, votre seigneur et maître absolu... à l'heure fixée, en plein accord avec ses cousins souverains de Londres, New York et Moscou ».
Nous sommes en 1938. Dans un élan de critique acerbe et sans concession, Louis-Ferdinand Céline déverse un torrent de haine antisémite dans un manuscrit encore interdit en France, Bagatelles pour un massacre. Composé en six mois entre Le Havre et Saint-Malo, l’ouvrage est un mélange chaotique, d'anticommunisme, et de pacifisme, teinté de ses goûts personnels pour la danse et d’ humour noir. Malgré les inquiétudes de sa compagne Lucette quant au ton de l'ouvrage, Louis-Ferdinand Céline se persuadait qu'il agissait pour le bien de la France, cherchant à prévenir un massacre qu'il attribuait aux Juifs bellicistes. Des propos sont chargés d'une ironie glaçante et amère : « Dégueulage, vaut encore cent mille fois plus, et cent mille fois davantage et de n’importe quelle façon, à n’importe quel moment, que cent vingt-cinq mille Einsteins, debout, tout dérétinisants d’effarante gloire rayonnante… J’espère que l’on m’a bien compris ?… ». Ce texte s'inscrit profondément dans le contexte historique et idéologique conflictuel des années 1930. Le livre est truffé d'affirmations telles que « Les quinze millions de juifs enculeront les cinquante millions d’aryens », qui cherchent à choquer et à interpeller vivement. Au-delà de son caractère outrancier, l'œuvre révèle une obsession dangereuse de l'auteur pour l'idée d'une infiltration juive à tous les niveaux de la société.
Un pamphlet psychologique
Bagatelles pour un massacre est une œuvre complexe. Elle mélange humour acide et colère, et pose une question fondamentale : comment interpréter la fusion explosive d'émotions haineuses d’un écrivain si respecté depuis la publication de Voyage au Bout de la Nuit en 1932, et Mort à Crédit en 1936 ? « S’il fallait voir dans Bagatelles pour un massacre autre chose qu’un jeu, Céline, en dépit de tout son génie, serait sans excuse pour remuer les passions banales avec ce cynisme et cette désinvolture légère », adresse un critique littéraire souhaitant rester anonyme, au vu du contexte à Gaza. Cette remarque soulève une contradiction intrinsèque : la colère de Louis-Ferdinand Céline, émotion brute et immédiate, semble s'opposer à l'humour, qui nécessite une distance réfléchie. L’écrivain, dans un tour de force littéraire, réussit à allier ces deux extrêmes, rendant sa colère plus consciente et son humour plus profondément destructeur. L'aspect ludique de Bagatelles, où Céline se joue des passions banales de l'antisémitisme, ne doit pas masquer la gravité de ses enjeux. En 1937 comme en 2023, jouer avec de tels thèmes était un pari risqué, une observation que André Gide semble minimiser dans sa critique du livre, préférant se concentrer sur les excès lyriques de l'auteur. Pourtant, la haine de Louis-Ferdinand Céline n'était pas sans fondement ; elle reflétait une vision du monde profondément ancrée, que même les critiques les plus sceptiques ne pouvaient ignorer. Les citations et les épigraphes de Céline, tirées de sources aussi diverses que la Bible, le Talmud, les Protocoles des Sages de Sion, ou de son propre cru, ajoutent une couche supplémentaire de complexité à ce labyrinthe intellectuel. Les recherches savantes sur ces sources révèlent une base fragile, souvent erronée, reflétant les préjugés de l'époque."
Bagatelles pour un massacre est une œuvre qui mélange humour et colère, et pose une question fondamentale : À sa publication en décembre 1937, "Bagatelles pour un massacre" choqua même les plus fidèles admirateurs de Céline. Le livre, lu de façon littérale dans un climat antisémite similaire à celui que nous vivons en 2023, depuis le 7 octobre 2023. Nourri par des réactions au Front populaire de Blum, Céline contribua, malgré lui, à alimenter les propagandes racistes de l'époque. Des officines diffusaient des brochures antisémites, prétendument savantes, influençant largement les pensées et les écrits contemporains. Lorsqu’il écrivit Bagatelles pour un massacre, Céline s'inspira de ces publications pour forger sa propre « documentation ». Sa plume ne ménage personne. Il pointe du doigt ce qu'il perçoit comme une déliquescence de la nation, exacerbée par la « mainmise juive ». Dans un de ses discours les plus controversés, il déclare : « Quand tes maîtres juifs, la prochaine fois, te donneront l’ordre de leur passer une fière languette dans le creux des miches… ».
Ces propos, d’une violence inouïe, visent à choquer et à remettre en question l'ordre établi, dans un style rappelant fortement celui de pamphlétaires d’extrême droite ayant défini le concept de Grand Remplacement. Céline n’est pas le seul auteur antisémite de cette époque. Les années 30 sont une période historique marquée par un antisémitisme se manifestant dans les écrits de plusieurs figures pamphlétaires politiques de l'époque. Marcel Jouhandeau, par exemple, exprimait ouvertement son hostilité envers les Juifs : « J’en suis arrivé à considérer le peuple juif comme le pire ennemi de mon pays, l’ennemi de l’intérieur ». Un autre auteur, comme Giraudoux, habituellement considéré comme mesuré, écrivait dans "Pleins Pouvoirs" : « Nous sommes pleinement d’accord avec Adolf Hitler pour proclamer qu’une politique n’atteint sa forme supérieure que si elle est raciale ». Ces mots reflètent l'état d'esprit de l'époque, où même les écrivains les plus respectés pouvaient se montrer ouvertement antisémites. Néanmoins, Louis-Ferdinand Céline, avec "Bagatelles pour un massacre", porta l'antisémitisme à un niveau encore plus extrême. Léon Daudet, un auteur d’extrême droite consciente du danger de l'œuvre, avertissait : « Ce livre est un acte qui aura peut-être, un jour, de redoutables conséquences ». La réaction de Maurice de Vlaminck à la lecture du livre était tout aussi forte : « Ce n’est plus de la haine dans Bagatelles pour un massacre, mais un pogrome, une incitation à une Saint-Barthélemy ».
Un pamphlet miroir une époque toxique
« Comment le plus infime crétin, le canard le plus rebutant, la plus désespérante donzelle, peuvent-ils se muer en dieux ?... déesses ? recueillir plus d’âmes en un jour que Jésus-Christ en deux mille ans ?... Publicité ! » — Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre pic.twitter.com/7NQeBnCosP
Bagatelles pour un massacre est une œuvre qui mélange humour et colère, et pose une question fondamentale : Ce pamphlet antisémite témoigne de la prévalence des idées toxiques dans la France des années 30. Il révèle un aspect sombre de notre histoire culturelle et politique, où l'antisémitisme était non seulement accepté mais aussi promu par des figures publiques influentes, rappelant fortement celles qui traitent aujourd’hui les musulmans de terroristes. Marqué par une haine dangereuse, ce pamphlet, avec ses horribles insultes, rappelant celles que subissent aujourd’hui les musulmans, et son style direct, soulève de nombreuses questions essentielles sur la nature de la propagande, l'impact de l'antisémitisme, de l'islamophobie, et d'autres idéologies toxiques sur la littérature, ainsi que sur la responsabilité de l'écrivain en tant que commentateur social. En fin de compte, "Bagatelles pour un massacre" reste un document historique difficile à lire, un miroir antisémite des tensions et des idéologies d’une époque triste, où l’extrême droite gouvernait un peu partout en Europe. Ces bouleversements politiques ne sont pas sans rappeler les récentes victoires de l’extrême droite aux Pays-Bas, en Italie, ou en Slovaquie. Comme d’autres auteurs, Louis-Ferdinand Céline incarne un courant de pensée qui allait bientôt conduire à l'un des plus grands cataclysmes de l'histoire humaine, La Shoah et la solution finale mise en place lors de la Seconde Guerre mondiale.
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