David Hockney, exposé en ce moment près des Nymphéas de Monet à l’Orangerie, nous affirme qu’il dessine comme personne. L’enseignement du dessin est l’enseignement du regard, or : « On n’enseigne plus à regarder, on ne l’enseigne plus nulle part au monde » . S’il s’agit de la plastique pure, c’est vrai. « L’enseignement du dessin, c’est l’enseignement du regard. Je suis l’une des seules personnes qui dessine de cette manière ».
Si le néodadaïsme qui domine l’enseignement dans les écoles d’art n’accorde qu’une place mineure au dessin et à la peinture au milieu des installations et des performances, et des soi disant mediums concurrents, si le dessin se conceptualise comme jamais, en quittant son essence plastique, on ne voit pas bien où se situe le regard exceptionnel de David Hockney. A aucun moment son style néo-naïf d’art pop et conceptuel pourrait recevoir l’éloge que Cézanne réservait à Monet : « Monet n’est qu’un œil mais quel œil ».
Mais que l’on se rassure, le pop artiste britannique ne va pas jusqu’à abandonner le dogme greenbergien de l’aplat, celui des deux dimensions.
Laure Adler en effet lui demande dans son émission : « Vos premiers tableaux étaient abstraits, avec des mots écrits à l’intérieur du tableau. » Hockney répond : « Tout tableau est abstrait ». Diable, Hockney s’approche de notre thèse plastique : tout peintre voit abstraitement, l’abstraction est le mode de perception du peintre. Mais Hockney l’affirme pour mieux sombrer dans les deux dimensions de l’essence picturale. « Toute peinture est une abstraction quand elle est sur une surface plane ». Et la photographie ne satisfait pas suffisamment le regard en ce sens.
Hockney a en effet débuté sa carrière par des peintures abstraites et conceptuelles couvertes de mots. Qu’il préfère taire.
En réalité, l’espace à deux dimensions n’est pas moins illusoire ni plus essentiel à la peinture que les trois dimensions. Il s’agit de deux fictions picturales dans les deux cas. La fonction spatiale purement plastique fait alterner dans l’histoire de l’art la peinture en aplat, en plan, qui reste proche de la surface et la peinture en profondeur, celle de l’espace atmosphérique ou en perspective, qui étage les plans en les faisant se succéder les uns derrière les autres.
La surface plane des tableaux de Hockney donne une consistance visuelle assez facile à une peinture amorphe, et sans construction.
Notre artiste pop britannique peint un véritable concentré de temps et d’espace, il a fait dans une seule peinture le travail d’une année, cela n’a jamais été fait selon lui. Il veut dire le travail d’une année à regarder les saisons. Car peindre sur un an, un cycle de fresque est on ne peut plus fréquent. Et de préciser : le temps ne pourrait pas exister sans le temps ni le temps sans l’espace.
Il se félicite de bénéficier aujourd’hui de l’iPad, une technique qui demande bien moins de matériel que la peinture à l’huile et moins de nettoyage. C’est toutes les nymphéas de Monet transformées en tapisserie de Bayeux, dit-il aussi sans rire.
On le voit : Hockney regarde et peint. C’est un nouveau Monet.
Hockney et Hirst pour un peu revendiqueraient l’impressionnisme et finiraient par réussir, comme l’hymne anglais dont l’origine provient d’un Te Deum de Lully, composé à la gloire de Louis XIV qui avait subi avec succès une intervention chirurgicale délicate et risquée visant à percer l’abcès d’une fistule douloureuse à l'anus. Haendel reprit la pièce de Lully et en fit le God save the King, l’hymne de la couronne anglaise.
Le beau passage de témoin qui va du Lorrain à Turner et de Turner à Monet ne continue pas jusqu’à l’imposture actuelle de l’art britannique. La picturalité d’un Lucian Freud est sans comparaison avec ces Blanski de service.
Les lourds aplats de Hockney ne connaissent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, toute la richesse de modulation colorée chère à Monet. Mais Hockney a toujours peint la lumière remarque Laure Adler. Alors ? Couleur saturée et lumière d’écran.
Baselitz dans Le Monde
La tête en bas d'un petit peintre. C'est toujours aussi étonnant de lire une présentation de l'histoire de l'art comme cela : pour réagir aux flots de peinture de l'abstraction gestuelle, certains ont continué à faire de l'abstraction, Hartung, Soulages, d'autres ont introduit l'ironie, la consommation : le pop et le néodadaïsme dont nous ne sommes toujours pas sortis depuis. Le pop n'apporte rien à l'histoire des formes.
Baselitz comparé à Giacometti, Bacon et Lucian Freud ? De qui se moque-t-on ? Qui nous épargnera les génuflexions devant les ridicules Grosse Berta de la matière allemande? L'artiste conceptuel des mythes et des malheurs de l'Allemagne, Anselm Kieffer, et l'expressionniste lilliputien du poirier tout aussi lourd et inepte. Gerhard Richter trouvera grâce à nos yeux qui a fait de jolies peintures colorées.
Et puis il faut arrêter d'employer le mot expérimentation qui justifie déjà toutes les sorties iconoclastes et conceptuelles, et ici de la peinture à la renverse.
Damien Hirst, autre peintre normand post-impressionniste.
Hirst en prend pour son grade ici à Mediapart dans l’émission « Esprit Critique ». On y dénonce le patron qui licencie d'abord et qui se présente ensuite comme un peintre solitaire dans son atelier, en raison du confinement. Il fait une peinture jugée interchangeable aux yeux des critiques de Mediapart. "Peinture plate et toujours plate et encore du plat, du plat sans fond". "Les mots aussi sont plats". Bon la critique de gauche existe ici. Le tableaux sont quand même jugés jolis dans l’émission, mais on préfère surtout critiquer la pénible et très scandaleuse précarité des petites mains.
Quand je pense que certains depuis une trentaine d'années ont présenté les Rembrandt, Rubens et autres Titien comme des hommes d'entreprise, à l'image de notre époque. Confondre l'artisanat d'un atelier dirigé par un peintre d'autrefois, même une bottega sans créateur, avec ces patrons traders montrent la confusion dans laquelle nous baignons. Avant l'ère néo-libérale, on saluait fréquemment le peintre maudit, solitaire et incompris, ou l'artiste âgé révolutionnaire. Schéma plus romantique et socialiste.
Mais la gestion fait la différence. Leur opportunisme esthétique aussi.
Rembrandt c’est le « Brand », la marque, entendait-on lors de l’exposition du siècle consacrée aux derniers Rembrandt en 2016.
Comment faire comprendre que Damien Hirst n'a pas de propos plastique, et resserre la focale sur un effet répétitif surdimensionné de taches blanches en all over sur des branches noires et un fond bleu. Des signes sélectionnés et répétés avec de la matière pour faire oeuvre.
On a le même problème avec le franco-chinois aimé de Macron qui a exposé récemment au Palais des Papes d'Avignon, Yan Pei Ming. Camaïeux noir, matière chargée, touche large, très grand format, figure géante et gros plan, et aussi un jeu assez parodique avec l’histoire de l’art, surtout avec les peintres de la matière, Courbet, etc., cela ne fait pas une recherche.
Ils ont tous un problème sérieux de mise en place, et dissimulent leur absence de propos plastique derrière la matière, les couleurs, le gigantisme et les références à l'histoire de l'art.
Duchamp a pris acte que l'art est mort. Et en aurait tiré les conséquences. Sauf que l'art qui se dit contemporain a maintenu un semblant. En effet pourquoi y a-t-il de l'art plutôt que rien ? Question naïve : il n'y a rien.
(Sylvère Lotringer récemment disparu confirme le diagnostic de Baudrillard dans sa préface au Complot de l'art. « En conférent à la banalité le statut d'art, Duchamp n'avait pas voulu engendrer une nouvelle ère artistique, il avait laissé l'art intestat, machine célibataire qui n'avait plus rien à moudre qu'elle-même. Mais cela avait suffit qu'on retourne son geste iconographique en un nouveau paradidme artistique. On lui avait fait un enfant dans le dos. il est toujours possible de reterritorialiser quelque chose sur rien. C'est en quoi consistait en réalité le "complot" de l'art selon Baudrillard : "viser la nullité alors que l'on est déjà nul. Viser le non-sens alors qu'on est déjà insignifiant"». Loin de Jacques Villon, le frère de Duchamp, qui se réjouissait que le sujet de l'art soit devenu le métier de peindre, la discipline elle-même. Duchamp au reste nous nous plaisons souvent à le rappeler opposait précisément le cubisme toujours plastique et le surréalisme qui n'a pas grand chose à voir avec la peinture (Entretien Charbonnier). Et il a désavoué tous les courants américains qui se sont réclamés de lui. Alors soyons plus duchampiens plus que tous les duchampiens et plus anti-duchampiens que tous les anti-duchampiens).
« L’art est fini ». C’est ce que pense Yves Michaud dans son dernier livre.
Un philosophie analytique qui a viré sa cuti, mais qui a en réalité poursuivi dans la même voie la condamnation de l'art dit "traditionnel" et esthétique, en associant cette fois l'art contemporain à son avis de décès de l’art.
L’art désesthétise a qui mieux mieux depuis des décennies, et la société esthétise au contraire. Un art à l’état gazeux selon son expression. Yves Michaud comme beaucoup ne connaît pas la plastique. Il confond avec l'esthétisme.
Pour y voir clair il faut se rappeler et bien garder à l'esprit la scène stupéfiante qui eut lieu en 1920 à Paris au Café de la Closerie des Lilas, lieu de réunion de la Section d'or. Celle-ci porteuse du mouvement cubiste avant-guerre, comprenait en son sein les dadaïstes parisiens. Or, devant leur avant-gardisme déchaîné, "l'attitude provocatrice de Dada anti-art", on dut mettre aux voix la question de savoir si la Section d'or se prononçait pour ou contre la peinture. Les dadaïstes (Tzara, Breton, Picabia) votèrent contre la peinture. Dada fut bien sûr mis en minorité. Dans un chahut indescriptible l'assemblée générale de la Section d'or finit par exclure Dada. La deuxième tentative dans les années 1960 fut couronnée de succès. On assiste depuis lors à une tentative d'affiliation picturale de l'art contemporain, multipliant les gestes de confusion intéressée. La Vérité en peinture de Derrida devait s'appeler Le droit à la peinture.
Portrait de Jacques Derrida 1997
Agrandissement : Illustration 1