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Lien 29 janv. 2023

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Le dilemme de l'hyperpuissance américaine et de l'agenda progressiste

Réponse à l'analyse de Fabien Escalona du 29 janvier 2023 intitulée : La gauche et les dilemmes d’un monde « multipolaire »

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https://www.mediapart.fr/journal/international/290123/la-gauche-et-les-dilemmes-d-un-monde-multipolaire

 « La multipolarité et les progrès du multilatéralisme ne se confondent pas (…) il pourrait en résulter une situation plus dangereuse que les ères bipolaire et unipolaire que nous avons connues. »

La situation est d'autant plus dangereuse que les outils multilatéraux sont en berne, ONU et OSCE [1] n'ont plus de prises sur les bellicismes affichés dans le monde multipolaire naissant.

Mais il me semble contreproductif dans cette analyse de désigner sans preuves un coupable qui me semble être innocent :

« Historiquement, les gauches mondiales ont justement promu l’avènement de la multipolarité. »

Quel est le rapport entre les gauches mondiales et la multipolarité ? La multipolarité est un objectif de Poutine (et autres rivaux) et de sa politique contrehégémonique [2] pour contrer l’hyperpuissance états-unienne [3]

Ainsi il ne faut pas s’étonner que « La version de la multipolarité qui émerge n’est pas émancipatrice. » comme l'affirme Aziz Rana dans l'entretien que vous citez (automne, revue Jacobin)

Mais vous cherchez à accabler un autre coupable visiblement :

« Les approches de gauche qui considèrent que l’affaiblissement de la principale puissance hégémonique, en l’occurrence les États-Unis, est une tâche prioritaire. »

Vous renchérissez en affirmant que ce que vous appelez les gauches « [négligeraient] l’influence croissante d’« États capitalistes autoritaires » à l’échelle régionale, voire internationale, et les menaces qu’ils font planer sur les droits humains et les valeurs libérales. » [4]

En définitive, je crois que vous confondez les critiques que portent les altermondialistes à l’hégémon états-unien vis-à-vis de leur extra-territorialité guerrière (vise à l'affaiblissement de puissances économiques concurrentes) avec une tentative géopolitique de Poutine de défaire ce même hégémon, mais pour des raisons toute autre (retour de la Russie sur le plan international). Ainsi votre raisonnement est faussé :

« On ne voit pas en quoi les idéaux de paix et de justice globale seraient mieux servis par les États autoritaires qui contestent leur prééminence. »

Les mouvements altermondialistes n’ont jamais indiqué que la Russie pouvait servir les idéaux de paix et de justice globale ou bien prouvez le nous ?

« Faut-il en conclure que les progressistes ont fait fausse route ? » 

Pour l’instant ce serait plutôt votre analyse Fabien, qui fait fausse route ? D’ailleurs vous citez plus loin Van Jackson :

« À l’ère contemporaine, la multipolarité est explicitement recherchée par des régimes réactionnaires, pouvant justement être qualifiés de pouvoirs impériaux. De fait, Xi Jinping et Vladimir Poutine ont plusieurs fois appelé de leurs vœux une configuration multipolaire. »

Voilà mais alors pour quel motif souhaitez-vous tellement remettre tout cela sur une gauche aux contours flous ? La vérité me semble pourtant pointer le bout de son nez ici :

« La balance penche plutôt en faveur des classes privilégiées et des dirigeants illibéraux. »

Car on ne peut qu'être d'accord ici rassurez moi : on ne peut remettre la montée des classes privilégiée sur le dos d'une gauche qui aurait soi-disant prôné le multilatéralisme, n'est-ce pas ?

Arrêtez donc votre char ici : « classes privilégiées » et « dirigeants illibéraux » sont les coupables tout désignés me semble-t-il ; la bourgeoisie et les dirigeants en parangon du libéralisme mais qui sont en réalité sont comme vous l’indiquez « illibéraux », de même que les US sont le parangon des idéaux de paix et de justice globale justifient la globalisation du modèle du National Libéralisme de l'hégémon Etats-Unien !

Pour rappel l’altermondialisme que vous reliez sans preuve à la promotion d’un monde multipolaire, critiquait en réalité le monde unipolaire de par la suprématie incontrôlé et incontrôlable du modèle du National Libéralisme états-unien partout dans le monde [5] ; modèle du National Libéralisme permettant le maintien aux manettes des « classes privilégiées » et « dirigeants illibéraux » que vous désignez, à l’image des réflexions de Aziz Rana que vous citez « Il reste légitime de dénoncer les institutions dysfonctionnelles et le comportement agressif des États-Unis. » et du postmarxiste Göran Therborn dont vous détournez la réflexion à des fins rhétoriques, juste avant votre digression, elle-même essentialiste, à propos de l’autoritarisme de la Chine de Xi Jinping (La Chine et l’Inde n’imposent pas leur modèle à l’extérieur de leur frontière contrairement à l’hégémonie immatérielle des USA) ;

Ce qu’il serait intéressant d’investiguer Fabien, c’est le pourquoi du « Quant au mouvement altermondialiste, il s’est essoufflé et n’a pas permis à des « réseaux de solidarité » puissants de durer. »

Et nous pourrions ajouter :

 « Et tout cela au profit de puissances qui ont surfé sur les opportunités de la mondialisation néolibérale, et reproduisent en leur sein des mécanismes d’exploitation capitaliste. »

D’ailleurs votre Delphine Allès, qui affirme candidement que « les États-Unis sont encore un pays où les gouvernements changent librement » a-t-elle entendu parler des super PAC et donc de la liberté exclusive des oligarques de changer le gouvernement aux USA ? [6]

« Ni l’esprit de croisade [sic !], ni l’appel incantatoire aux Nations unies ne sont des solutions. »

Incantatoire non, mais quid du multilatéralisme pragmatique ? il me semblait pourtant que l’usage sans interruption du multilatéralisme était le seul gage de paix dans un état d’anarchie des relations internationales suivant votre excellente interview de Jean-Vincent Holeindre et Anne-Thida Norodom [7]

« Les impasses d’un anti-impérialisme sélectif et d’un pacifisme impuissant : Il ne s’agit pas d’une évidence partagée. Les polémiques suscitées par le soutien occidental à l’Ukraine, auxquelles l’auteur de ces lignes a pris part, en témoignent ».

En effet Fabien et l'on voit que vous vous défilez à présent car derrière l' « anti-impérialisme sélectif » vous masquez le terme campisme n'est-il pas ? campisme que vous reliez à une certaine gauche, altermondialiste ?

C’est effectivement une fausse route : En Ukraine ce pourrait être un autre « anti-impérialisme sélectif » qui aurait rendu le « pacifisme impuissant » ? Pour parler clairement : le soutien US à la dérussification en Ukraine et la mise hors-jeu du multilatéralisme [8] auraient pu démoder le pacifisme et rendu la possible guerre sur sol Européen en état de nuire ? A cette lumière ne pourrait-on voir « l’insécurité [en Europe comme découlant du] pouvoir militaire et économique des États-Unis. » ?

Voilà à quoi mène « la « dose de puissance » nécessaire pour défendre les intérêts de régimes libéraux, voire progressistes, face à des États révisionnistes et à leurs potentielles victimes. » .. le résultat est éloquent n’est-ce pas ?

« La puissance américaine agit en fonction d’une histoire, d’intérêts et de passions internes qui s’avèrent en grande partie contradictoires avec un agenda progressiste » ah bon ? contradiction vous dites ? je croyais que c'était « la « dose de puissance nécessaire pour défendre les intérêts de régimes libéraux, voire progressistes » dans le monde ? attention à vos contradictions contradictoires Fabien ! A l'image de vos propos plus loin : « Tenir bon sur les principes du droit international n’implique pas de sur-jouer la solidarité euro-atlantique. »

Ainsi cette analyse que vous nous citez de Van Jackson « cette stratégie ne relève pas tant d’un simple maintien des équilibres dans la région, que d’un « endiguement » digne d’une nouvelle guerre froide. Les restrictions édictées à l’égard des entreprises et de la société civile chinoises, ainsi que la pression mise sur des États de la région pour choisir leur camp, sont selon lui contre-productives. » ne serait-elle pas tout aussi applicable pour nous donner à voir les conditions d’avant février 2022 en Ukraine ?

Dans cette état d’esprit votre "source diplomatique française" qui nous dit que « Se défaire d’une dépendance excessive à la Chine, ce n’est pas la même chose que de priver l’économie chinoise des conditions de sa prospérité. Diversifier nos approvisionnements, ce n’est pas pareil que de recourir à des mesures protectionnistes unilatérales. » semble nous inviter à tirer les leçons de mesures protectionnistes unilatérales malheureusement reconduites et donc toujours d’actualité !

Ainsi les US ne seraient-ils pas très largement écartés du « chemin de crête à suivre entre passivité et agressivité vis-à-vis des nouveaux pôles de puissance ne communiant pas dans la démocratie libérale. » en soutenant la révolution orange en 2004 et le Maïdan 2014 ? par le débranchement du réseau électrique ukrainien du réseau russe au profit du réseau électrique de l’UE [9] ? par le maintien à tout prix du monopole de l’acheminement du gaz Russe par l’Ukraine pour exclure l’Allemagne et leur realpolitik ? [10]

+ [11]

[1] OSCE : Seule institution de sécurité européenne où Russie, USA, Canada, les pays d’Europe et d’Asie centrale, peuvent dialoguer dans un cadre multilatéral et sur un pied d’égalité, l’OSCE souffre depuis 20 ans d'une perte d’importance qui s’explique par la concurrence d’autres Organisations multilatérales, le regain de tensions entre la Russie et les Occidentaux, et ses faiblesses intrinsèques, voir https://blogs.mediapart.fr/thomasbarrio/blog/290123/limites-de-lorganisation-pour-la-securite-et-la-cooperation-en-europe-osce

[2] voir l’article (Attention mise en garde : tendance pro-Russe..) «  La dynamique des systèmes suit ses propres règles - et non la pensée de groupe » du 2 janvier 2023 par Alastair Crooke publié ici https://strategic-culture.org/news/2023/01/02/systems-dynamics-follow-their-own-rules-and-not-groupthink/ et traduit là-bas : https://blogs.mediapart.fr/rocafortis/blog/030123/la-fin-de-la-fin-de-l-histoire-et-ce-qui-demeure-note-de-rocafortis

[3] l'influence mondiale des US est incontestable dans la plupart des domaines économique, technologique, financier, militaire, géopolitique, diplomatique, culturel et médiatique. Voir Brzezinski dans Le Grand Échiquier : "l'Amérique et le reste du monde", où il décrit les États-Unis comme la seule puissance à avoir la suprématie simultanée dans les quatre domaines-clés : militaire, économique, technologique et culturel.
Par définition, l’hyperpuissance est une superpuissance qui perd son rival (Le rival, l’URSS, était la clef de la relativisation de cette superpuissance)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperpuissance_(politique)

[4] "Si avant la seconde guerre mondiale le nazisme et le fascisme étaient les menaces pour le monde, aujourd'hui c'est la Chine qui lance un défi aux états dits démocratiques, avec un mélange de fascisme, de tradition impériale chinoise et de totalitarisme technologique.

Si l'on prend en compte que la Chine est la 2eme économie, la première population, le 4eme territoire et le plus grand parti autoritaire du monde, on comprend que le défi qu'elle représente est plus dangereux que les précédents défis."

https://blogs.mediapart.fr/thomasbarrio/blog/120123/le-monde-de-xi-jinping-documentaire-sur-lcp

[5] 2023: en route vers un bi-monde, deux mondes parrallèles;

En Océania le modèle du National Libéralisme permet de mettre au pas les peuples, qui rêvent du meilleur des mondes;

En Estasia, le modèle du Capitalisme Autoritaire permet de mettre au pas les peuples, qui ne rêvent plus (1984), mais produisent pour Océania (hors matériel militaire);

Une mise à jour de la mappemonde d'Orwell s'impose;

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 [6] voir documentaire arte USA : La démocratie du dollar

Aux USA, l’argent est roi, dit-on. Nuance : l’argent fait et défait les rois. Derrière chaque élection, le cash coule à flots. En 2020, plus de 6 milliards de dollars seront dépensés en publicités politiques. Derrière cette frénésie d’argent, lobbys aux manettes, milliardaires à la manoeuvre, bonnes oeuvres, cyniques et beaux esprits se livrent une lutte acharnée, à grands renforts de billets.

Une situation qui a explosé depuis 10 ans avec une décision de la Cour suprême : l’arrêt Citizens United. Promulgué au nom du sacro-saint Premier amendement  -la Constitution garantissant la liberté d’expression-, il stipule que l’Etat ne peut limiter les dépenses des campagnes électorales. Depuis, l’argent coule à flots. “Super PAC”, “dark money”, autant de mécanismes légaux favorisés par Citizens United, utilisés par les milliardaires de tous bords et qui régissent aujourd’hui les élections américaines, dictant leurs résultats. Certains n’hésitent pas aujourd’hui à parler de corruption légale… Suprême ironie : désabusés par ce système, les Américains ont fini par s’en remettre à celui-qui fut le plus virulent à le dénoncer, Donald Trump, un milliardaire sulfureux qui, une fois élu, a renié toutes ses promesses de vertu.

https://tube.nuagelibre.fr/videos/watch/a3274a35-306b-4a75-9d0c-e61d711995f9

[7] interview de Jean-Vincent Holeindre et Anne-Thida Norodom sur Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/international/240722/pourquoi-le-multilateralisme-est-en-panne-mais-reste-indispensable

et quelques éléments de réflexion glanés ici et là : https://blogs.mediapart.fr/thomasbarrio/blog/190123/indispensable-multilateralisme-dans-un-etat-danarchie-des-relations-internationales

[8] Suite aux trois référendums de Budapest signés 1994 par la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine ainsi que par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, et puis la confirmation de la validité de ces mêmes trois référendums en 2009 par les États-Unis et la Russie,

Poutine a délibérément franchi les règles définies par ces référendums en ne respectant pas la souveraineté des frontières ukrainiennes (Crimée, Donbass et Louhansk, 2014), établissant un état de guerre notamment dans le Donbass et le Louhansk (la Crimée n'ayant pas été sujette à une opposition armée). Pour sortir de cet état de guerre, l'Allemagne, la France, la Russie et l'Ukraine se sont mis autour de la table et ont signé les protocoles de Minsk I et II ? Pourquoi les USA n'étaient pas présents aux protocoles de Minsk I et II ?

[9] débranchement du réseau électrique ukrainien du réseau russe au profit du réseau électrique de l’UE: premier test organisé et planifié par les US en date du 24 février 2022 (!) voir https://blogs.mediapart.fr/thomasbarrio/blog/081222/s01e02-facts-checks-la-guerre-en-urkaine-est-une-guerre-pour-l-energie

[10] La Russie ne menace pas la position mondiale de l'Amérique, mais la simple possibilité qu'elle collabore avec l'Europe et en particulier l'Allemagne est la menace la plus importante de la décennie, une menace à long terme qui doit être étouffée dans l'œuf", expliquait George Friedman, fondateur de la société privée de renseignement américaine Stratfor, dans un livre publié en 2010

https://blogs.mediapart.fr/thomasbarrio/blog/300123/la-prochaine-decennie-le-retour-de-la-russie-par-george-friedman-2010

[11] j'analyserais dans un billet ultérieur la référence faite ici : https://www.contretemps.eu/guerre-ukraine-recit-dominant-gauche-anti-imperialiste/ concernant les propositions qui y sont faites : « le retrait de toutes les forces russes de l’ensemble du territoire ukrainien », « le retour à la table de négociations », la dénonciation de « l’envoi des armes en Ukraine », et « le retrait de nos États respectifs de l’Otan »

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