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Billet de blog 24 mars 2013

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Le jeune cinéma d'animation russe (in scale)

En France, le printemps bat de l'aile, et à Saint-Pétersbourg, les journées sont soleilleuses, or, on attend encore que la neige fonde. Comme dans ce film d'animation de Tatiana Moshkova, Les remous de rire.

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En France, le printemps bat de l'aile, et à Saint-Pétersbourg, les journées sont soleilleuses, or, on attend encore que la neige fonde. Comme dans ce film d'animation de Tatiana Moshkova, Les remous de rire.

Tatiana et Marina Moshkova sont nées le même jour en 1987. Ces deux sœurs jumelles, majeures de leur promotion à l'Université d'État de cinéma et de télévision de Saint-Pétersbourg, sont dessinatrices de films d'animation. Les deux jeunes femmes ont fait leurs preuves : par exemple, en ayant réalisé le storyboard pour Le Soleil d'Alexandre Sokurov (2004).

Les deux jeunes femmes appartiennent à une nouvelle génération de cinéastes russes qui se confronte inévitablement aux conditions précaires du travail d'artiste dans la Russie d'aujourd'hui : contrats à durée déterminée, salaires plus bas qu'en Europe, un nombre limité d'allocations d'état attribué aux jeunes artistes.

Pourtant, elles s'en sortent pas mal : tout en multipliant des projets personnels et en collaboration (elles travaillent souvent ensemble), elles sont de plus en plus sollicitées et gèrent, depuis quelques années, une entreprise qui aide les jeunes dessinateurs d'animation à constituer et à envoyer leurs dossiers de candidature pour les festivals russes et internationaux. De même, elles participent à des ateliers de création des films d'animation dans les cadre du travail social avec les écoliers de Saint-Pétersbourg, en sensibilisant ceux-ci aux questions de protection de l'environnement, aux dangers de la toxicomanie. Qu'elles travaillent beaucoup en collaboration avec des amis artistes partout dans le monde, qu'elles voyagent beaucoup et connaissent bien l'Europe, il est certain, mais leur attitude diffère de la "philosophie" de ceux qu'on appelle les hypsters de la Russie contemporaine, ces habitants des deux capitales russes collectionnant smartphones et tablettes et autres gadgets, fréquentant les bars à l'européenne, participant vaguement à des mouvements d'opposition libérale, qui lorgnent un Occident de leur rêves en enviant principalement son confort bourgeois et autres fromages et vins. Ce n'est pas le cas de Tania et Marina, qui, sapées de manière très originale, s'exprimant sans aucune difficulté en anglais et en français, connaissent bien les préoccupations sociales de leurs amis européens, et si elles souhaiteraient avoir une expérience de vie à l'étranger, c'est tout à fait pour d'autres raisons. Tatiana explique : "À l'étranger, les hypsters russes cherchent le superficiel, ils ne sont pas de vrais cosmopolites."

Les deux soeurs travaillent très souvent en coopération avec de nombreux amis et collègues russes et étrangers. Depuis un moment leur entourage se préoccupe du destin d'un ami réalisateur syrien qui est rentré en Syrie il y a quelques mois. Cet esprit de solidarité inspire également leur travail. À l'université, avec tous les étudiants de leur promotion, Tatiana et Marina ont participé à un projet commun de film d'animation intitulé L'immeuble. Chacun a dû raconter sa propre petite histoire de la vie d'une cour d'immeuble à Saint-Pétersbourg.Tatiana avait pour mission de faire le montage de toutes les parties du film : "Cela m'a beaucoup plu de rassembler toutes les parties et d'ajouter le son. D'habitude je fais tout moi-même : le scénario, l'animation, le montage, le son. Ici, en travaillant avec les séquences des autres, je résistais à l'envie de changer quelque chose dans un scénario, retoucher une image, ajouter un bruitage. Mais comme c'était un projet collectif, je devais chercher un compromis avec mon désir de faire tout moi-même. La seule chose que je me suis permise était d'ajouter quelque part les sons et les bruits qui pouvaient considérablement améliorer la séquence. En ce moment, je participe à un projet collectif avec plusieurs réalisateurs d'animation qui viennent d'Allemagne, d'Estonie, de Serbie et de Bosnie. Cette fois-ci mon rôle est limité à ma petite séquence d'animation, et je ne suis pas responsable du montage et du son. Et encore, je lutte contre l'envie de faire tout moi-même. La seule personne avec qui je peux parfaitement travailler ensemble, c'est ma sœur. Je peux tranquillement partager les responsabilités avec elle. Je peux lui confier le travail que je fais moi-même d'habitude, parce que nos manières de penser se ressemblent." Pour Marina, l'une des difficultés pratiques est le manque d'expérience pratique, le cursus universitaire russe leur ayant donné plutôt des connaissances théoriques. Sont travail est donc pour elle maintenant son lieu d'apprentissage.

Les parcours professionnels des deux sœurs se complètent : "Actuellement ma soeur et moi, raconte Tania, nous travaillons dans deux domaines du cinéma d'animation différents: elle est réalisatrice dans un studio qui fait une série d'animation pour enfants, et moi, je travaille de manière indépendante, à chaque fois pour un nouveau client et sur divers projets. Or, en même temps, nous avons un projet commun en cours : notre film d'animation Les fils électriques qui fera partie d'un almanach des films d'animation consacrés à Saint-Pétersbourg. Ce projet se fait avec le soutien du Ministère de la Culture. C'est notre premier projet d'auteur qui est financé par quelqu'un d'autre, car d'habitude nous faisons nos films avec un budget "zéro" en n'y investissant que notre enthousiasme. De plus, ce sera notre premier projet commun, ce qui nous permettra de nous présenter comme deux soeurs réalisatrices de films d'animation." 

Toutes les deux élèves du réalisateur des films d'animation Serge Ovcharov, elles créent dans leurs films un univers simple, touchant et fragile, anodin et profondement humain. Le film de Marina Moshkova, In Scale, qui a fait le tour du monde en recoltant les prix de plusieurs festivals internationaux, montre comment une démarche insignifiante d'un tout petit oiseau en train de construire son nid peut avoir des conséquences à l'échelle globale. Dans le Big Bang, Tatiana Moshkova se demande si le progrès technique est justifié et utile s'il sert à inventer de nouvelles armes qui rendent les guerres de plus en plus dévastatrices. Dans Les feux de la nuit, leur court-métrage commun, la lumière des reverbères traverse discrètement une ville italienne en mettant en rapport les petits moments de sa vie nocturne, où chaque petite histoire individuelle fait partie de cette vie collective qui continue jour et nuit. Big Heart de Tatiana est une déclaration d'amour volontairement naïve - ce qui lui la rend, d'ailleurs, intemporelle - en stop-motion dessinée à la craie sur un écriteau d'école. Beaucoup de leurs films d'animation ont été réalisés en Italie, lors du festival international "Cinemadamare". Tous les étés, Tania et Marina s'y retrouvent avec leurs amis venus de partout. Selon Marina, "ce sont principalement les festivals internationaux et les forums cinématographiques qui nous donnent la possibilité de nouer des relations professionnelles". Elle ajoute : "En ce qui me concerne, je travaille actuellement sur un projet avec un réalisateur français. J'espère pouvoir le mener à bien". Tania témoigne : "À l'avenir, je voudrais plus travailler en Europe. En travaillant comme réalisatrice indépendante des films d'animation en Russie, je dois souvent accepter les projets qui ne m'inspirent pas. On peut faire quelque chose de créatif en Russie uniquement en engageant des projets à compte d'auteur. Sinon, il y a la possibilité des financements du Ministère de la Culture. Pourtant, l'un de mes derniers projets en Russie qui m'ont plu était de créer les séquences d'animation pour l'émission "Livres" sur la chaîne de télévsion indéperndante russe "Dozhd" (TV Rain). Je pouvais faire ce que je voulais, et ce travail m'a apporté une vraie satisfaction artistique."  

Voici, dans mon premier billet de blog, le premier portrait (double) dans la série de mes portraits russes.

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